Qu’est ce qui mériterait
d’être débattu en matière éducative et comment pourrions-nous espérer voir ces
questions réellement posées sur la place publique ?
Intervention Ă Bordeaux
4-07-03 dans le cadre de la rencontre « initiatives et Perspectives en
Education » organisée par la Fondation pour le Progrès en Education »
Précautions
Je commencerai pas
poser deux préalables qui conditionnent ma réflexion :
·
Chacun perçoit le monde en triant
l’information qu’il capte par l’intermédiaire d’une hiérarchie de critères.
Parmi ceux-ci, l’échelle de temps qui le préoccupe est un des facteurs
importants. Selon qu’on s’intéresse au court,au moyen ou au long terme, nous ne
privilĂ©gions pas les mĂŞmes choses. Traiter des problèmes Ă©ducatifs oblige Ă
disposer d’une vision plurielle des choses.
·
L’éducation n’est pas une simple affaire
de pédagogie mais bien une affaire politique au sens large. Les politiques
étant préoccupés par le court terme, cela rend difficile de faire évoluer
réellement les choses, en l’absence de véritable crise.
RĂ©flexions de base
Je continuerai par
quelques remarques qui à mon sens influent sur le débat que nous pouvons avoir,
avant de formuler ce qui me paraît être les axes principaux du débat et les
questions plus particulièrement d’actualité.
- Il y a sans doute un problème de crédibilité de
la transmission des savoirs qui se pose de façon nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Pensons
tous aux « leçons » et aux évolutions vécues au cours du siècle
dernier : question de la Shoah quiÂ
renvoie aux difficulté à identifier le bien et le mal, course
effrénée à la consommation de matières premières qui renvoie aux limites
de notre planète, rêve d’immortalité qui renvoie à la frontière entre le
réel et le virtuel, fin de la paysannerie qui pose la question de nos
racines, Ă©mancipation des femmes qui pose la question de la place de
chacun, recherche permanente du meilleur qui interroge s’il y a un au delĂ
de la compétition, évolution vertigineuse des savoirs qui pose la question
de leur utilité et de leur sens.
- les problèmes que nous rencontrons sont sans
commune mesure avec ceux des pays en voie de développement
- La marchandisation des savoirs pose avec acuité
la question de la spécificité de chaque culture.
- On constate qu’à la fois l’école a du mal Ă
répondre aux exigences du monde moderne, (entre autres parce qu’elle
prépare peu l’individu à quérir du savoir, à affronter l’inconnu à être
créateur de sa propre vie et probablement parce qu’elle a du mal à prendre
en compte la multiplicité des formes d’intelligence) et, paradoxe
flagrant, qu’elle est « plébiscitée » par les sondages. Ce n’est donc pas une catastrophe pour
tout le monde. (le monde n’est donc peut être pas encore mûr pour
développer des valeurs humanitaires, c’est aussi bête que cela, cela
n’empêche pas d’y croire, nous sommes tout simplement tenus d’être
attentifs aux rapports de forces.
- On n’a toujours pas réussi à mettre en place
l’article 26.3 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipulant : « les
parents ont par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner
à leur enfant ». Il doit y avoir des raisons à cela. Il faut accéder
à des écoles privées pour bénéficier de certaines pédagogies attrayantes.
- Aujourd’hui deux tâches majeures incombent aux
enseignants : transmettre des contenus et gérer des individus et des
groupes. Or ils ne sont pas recrutés sur leurs qualités relationnelles
mais sur leur unique savoir livresque (le ministre actuel a même affirmé
devant 250 inspecteurs que le métier de prof des collèges et de lycées
n’était pas un vrai métier puisque les connaissances acquises suffisaient à l’exercer). Dans
les dix prochaines années 50% du corps enseignant va être renouvelé. Les
idées de notre actuel ministre ne plaident pas pour renforcer l’aspect
transdisciplinaire de la formation des enseignants.
- On ne pourra entreprendre aucune inflexion de la
politique en matière éducative sans avoir une stratégie de ralliement ou
tout au moins de non opposition du corps enseignant. Toute stratégie
dépend aussi bien entendu des finalités.
- La « droite » est au pouvoir pour au
minimum 5 ans et probablement 20 ans comme la gauche auparavant. La
« gauche » n’a pas réussi à faire diminuer les inégalités, ce
qui est pourtant une de ses valeurs (le collège unique suscité par Haby,
plébiscité par la gauche, avait pour finalités de former des élites et 80%
de supposés futurs OS ).
Qui pense sérieusement que
l’actuel gouvernement peut faire mieux que les précédents ?
- L’éducation concerne tout le monde et pas
seulement les enseignants. Donc toute inflexion de la politique doit avoir
l’aval de la majorité des citoyens. (le débat doit toucher la société
civile toute entière)
- L’éducation ne peut se gérer comme une
entreprise. En particulier la corrélation moyens /résultats n’y est jamais
directe. (il faut donc en permanence expliquer que tout n’est pas
quantifiable).
- L’évolution de l’éducation ne peut que se penser
sur du long terme, alors que les aspirations dominantes aspirent Ă des
résultats à court terme. On a donc besoin de se trouver des alliés qui
sont préoccupés par le long terme.
Questions
fondamentales.
Quelques questions me paraissent
être à la base de toute discussion sur l’éducation, ce qui n’empêche nullement
de privilégier certains axes à l’heure
actuelle. Je les présenterai sous forme d’une grille. Ce qui est en noir
représente des pistes, et n’est en aucun cas exhaustif.
|
|
Quoi
apprendre,
enseigner?
Autonomie, risque,
respect,…
|
|
Questions plus
particulièrement d’actualité?
1.
Je
commencerai par une question hautement sensible pour les politiques et qui
recueillerait vraisemblablement l’aval d’une majorité écrasante de la société
civile :Pourquoi ne limiterait-on pas les prérogatives d’un ministre, d’un
gouvernement en matière éducative ? Laissant le choix des orientations
fondamentales à un organisme, d’une
centaine de personnalités, qui aurait autorité sur les politiques et serait le
fruit d’un large consensus. Il pourrait regrouper des représentants du monde du
travail, du monde politique, des pédagogues, des universitaires, des
chercheurs, des philosophes, des scientifiques, des manuels, des exclus, des
médecins, des parents, des associations…
2.
Quelle que soit la réponse à la première
question : trois domaines majeurs devraient être au cœur des débats :
·
Reformuler les grandes orientations d’une
Ă©ducation et les missions des professeurs.
·
Repenser les pouvoirs des uns et des
autres.
·
Mettre en place de véritables dispositifs
d’évaluation pour tous les acteurs de la vie scolaire.
3.
Que l’on rajoute ou non des questions
tout ceci ne pourra avoir de conséquences que si l’on parvient à rendre
effectif le débat.
Reformuler les grandes orientations et les missions des enseignants.
En
matière de finalités, comment se fait-il qu’avec l’école de masse que nous
nous contentions de « lire écrire
et compter ». Sans compter qu’avec l’irruption de l’image, le lire a
évolué et qu’avec les calculatrices, le compter s’estompe. Nous avons suggéré, il y a 10 ans, le
triptyque : penser, entreprendre, discerner. Qui propose autre chose ?
Les
missions des enseignants ne peuvent pas ne pas tenir compte de la réalité de
notre société. Ils sont en permanence
face à des attentes de familles qui s’en remettent à eux pour régler des
problèmes qu’elles n’arrivent pas Ă solutionner et ils sont confrontĂ©s Ă
l’accessibilité de plus en plus imposante des savoirs via les nouvelles
technologies. Le professeur ainsi devrait évoluer vers des tâches de
facilitateur d’apprentissages, de communicateur sachant écouter, motiver,
responsabiliser …, d’évaluateur de pertinence, de cohérence bien plus que de simple transmetteur. Cela suppose une autre
formation que celle en place et une redéfinition du service. Définition qui pourrait devenir effective avec de
nouvelles générations et avec les volontaires en place.
Repenser les pouvoirs.
Comment
pourraient se répartir les pouvoirs des enseignants, des élèves, des parents,
des citoyens dans l’ensemble duÂ
dispositif Ă©ducatif ?
En
matière de choix des contenus, il
faudrait associer les professionnels, les citoyens et les professeurs. C’est
très dangereux de laisser à un petit groupe de spécialiste le choix de modifier
les programmes. Si seul un petit groupe peut rédiger le programme, les grandes
orientations devraient être débattues beaucoup plus largement. Il n’est quand
mĂŞme pas bien difficile de demander Ă
chaque catégorie de dégager l’essentiel de l’accessoire.
En
matière de pédagogie. Les parents
en accord avec leurs enfants devraient pouvoir exprimer des voeux.
En
matière de rythmes scolaires, la
décision finale pourrait être le fruit d’une concertation entre les partenaires
d’une cité scolaire.
En
matière d’orientation et de passage de classe. Il est nécessaire que l’on redonne du
pouvoir aux conseils de classe. Ne pourrait-on pas promouvoir, au moins Ă
partir de la seconde des unités capitalisables plutôt que des passages quasi
automatiques ou une masse importante d’élèves n’ayant pas assimilé les
connaissances indispensables vont dans la classe supérieure. Cela redonnerait
très simplement du pouvoir aux enseignants.
En
matière de carte scolaire,
pourquoi ne pas demander des choix Ă©largis aux parents. Et se donner les moyens
de faire évoluer les structures qui sont moins demandées comme instrument
d’évaluation de ce qui ne va pas ?
En
matière de carrière pourquoi les
enseignants les plus dynamiques ne seraient pas valorisĂ©s sur des critères Ă
dĂ©finir et accèderaient aux Ă©chellesÂ
hors classes parce qu’ils auraient fait un peu plus que les autres. La
gestion devant rester de l’ordre du ministère en lien avec les régions pour ne
pas paralyser les mutations.
En
matière de formation continuée.
Encourager les groupes type « balint » des enseignants, les
formations traitant des difficultés.
En
ce qui concerne les élèves
encourager les groupes de paroles.
Mettre l’évaluation au cœur du système.
Comment
se fait-il qu’il y ait si peu d’évaluations extérieures au système ?
Quelle
rigolade qu’un inspecteur ait en charge 1500 enseignants !
Sur
quels critères sont recrutés les inspecteurs ?
Si
chacun comprenait que l’évaluation
n’est pas une brimade, mais un moyen
d’exercer mieux son métier, un peu comme un entraîneur, un coach, face à un joueur dans un milieu sportif. Que
de progrès pourraient être constatés, cela deviendrait un réflexe de base des
nouvelles générations d’enseignants, cela donnerait de l’épaisseur à la
fonction de conseiller pédagogique.
Si
en matière de transmission des connaissances l’évaluation ne fonctionne guère,
en matière de compétences éducatives tout est à créer.
Personne n’a jamais été recruté pour
ses compétences sur les questions de
violence et d’incivilité. Il règne là un no man’s land préoccupant. Nous
pourrions longuement témoigner d’exemples vécus ou la qualité des interventions pour régler des problèmes
pourtant criants n’a pas fait le poids face aux rigidités d’interprétation de
la mission du professeur, rigidités véhiculées par des
« responsables » qui ne sont contrôlés par personne.
COMMENT DISCUTER ?
Que
le gouvernement fasse son boulot : signale les faiblesses et se donne les
moyens pour mobiliser la société civile afin de trouver des solutions, au lieu
de croire qu’il les détient et que son rôle se limite à les faire appliquer. Nous voulons d’abord et avant tout un gouvernement
qui sache mobiliser les Ă©nergies plutĂ´t qu’unÂ
gouvernement qui décrète. Rêvons un instant d’un ministre qui laisserait
son nom dans l’histoire pour avoir su s’en référer à l’ensemble des personnels
plutôt que d’imposer sa réforme !
C’est
tout l’enjeu de nouvelles formes de démocratie dont l’urgence n’est jamais
apparue aussi grande que dans l’éducation.
Il
y a quelques années nous avions proposé une méthode qui reste valable.
Lancer
un vaste dĂ©bat sur plusieurs moisÂ
associant tous les partenaires Ă©ducatifs dans le but de proposer des
réponses crédibles aux questions qui se posent.
DĂ©bat
en trois temps :
·
Faire
l’inventaire écrit hiérarchisé des points sur lesquels tout le monde s’accorde (du
moins l’immense majorité).
Par
exemple :
- l’éducation c’est
primordial.
-
Elle concerne tout le monde au même titre que la santé, l’organisation de
l’espace, etc..
- La société par
l’irruption massive de l’image et des multimédias a, de fait, fourni des accès
à des savoirs qui ne sont pas proposés par le corps enseignant, ce qui
contribue à relativiser le rôle des enseignants comme seuls transmetteurs…
·
Sur quoi y a-t-il des désaccords, et quels sont les plus
importants ?
Lesquels sont porteurs de stimulation,Â
lesquels sont porteurs de blocages.
·
Que
proposez vous pour vivre avec?
Et l’on ne retiendrait que les
propositions qui recueilleraient l’accord de 80% des participants.
On pourrait imaginer le dispositif suivant :
chaque établissement scolaire élaborant ses propositions pendant une demi-douzaine de rencontres organisées
sur un trimestre, dont une journée de pré rentrée ( avec présence des élèves,
des parents des politiques locaux…).Â
Trois représentants élus font
alors état des propositions à une
assemblée regroupant une trentaine d’établissements d’un bassin scolaire pendant 2 ou 3 séances. Cette assemblée élit 3
représentants au niveau académique qui eux-mêmes se réunissent 2 ou 3 fois
avant de publier leurs conclusions sur un site Internet . Chaque académie élit
3 représentants pour un débat public sur les chaînes de télé et de radios
nationales.
Les Ă©tablissements scolaires se
réunissent alors et font état de leur sentiment sur ce qui s’est passé. Cela peut tenir en 6 mois. Le gouvernement
est alors mûr pour faire des
propositions.
En guise d’épilogue
Vu la difficulté de la tâche ce
n’est vraisemblablement pas ni en se racontant des histoires, ni en vitupérant
que l’on risque de faire avancer les choses. Beaucoup d’entre nous se sont
investis dans des approches plus respectueuses de l’individu, plus
communicantes, ils n’en restent pas moins très fortement minoritaires. Je crois
qu’il serait prudent de regarder en face les résistances et de tenter de trouver
ensemble des moyens pour les réduire. Cela me paraît être la voie essentielle
pour espérer que le débat public débouche sur quelque chose.
Antoine
Valabregue
ecoledupossible@free.fr