Qu’est ce qui mériterait
d’être débattu en matière éducative et comment pourrions-nous espérer voir ces
questions réellement posées sur la place publique ?
Intervention à Bordeaux 4-07-03 dans le cadre de la rencontre « initiatives et Perspectives en Education » organisée par la Fondation pour le Progrès en Education »
Je commencerai pas poser deux préalables qui conditionnent ma réflexion :
· Chacun perçoit le monde en triant l’information qu’il capte par l’intermédiaire d’une hiérarchie de critères. Parmi ceux-ci, l’échelle de temps qui le préoccupe est un des facteurs importants. Selon qu’on s’intéresse au court,au moyen ou au long terme, nous ne privilégions pas les mêmes choses. Traiter des problèmes éducatifs oblige à disposer d’une vision plurielle des choses.
· L’éducation n’est pas une simple affaire de pédagogie mais bien une affaire politique au sens large. Les politiques étant préoccupés par le court terme, cela rend difficile de faire évoluer réellement les choses, en l’absence de véritable crise.
Je continuerai par quelques remarques qui à mon sens influent sur le débat que nous pouvons avoir, avant de formuler ce qui me paraît être les axes principaux du débat et les questions plus particulièrement d’actualité.
Qui pense sérieusement que l’actuel gouvernement peut faire mieux que les précédents ?
Questions
fondamentales.
Quelques questions me paraissent être à la base de toute discussion sur l’éducation, ce qui n’empêche nullement de privilégier certains axes à l’heure actuelle. Je les présenterai sous forme d’une grille. Ce qui est en noir représente des pistes, et n’est en aucun cas exhaustif.
Quoi
apprendre, enseigner? Autonomie, risque,
respect,…
Questions plus
particulièrement d’actualité?
1.
Je
commencerai par une question hautement sensible pour les politiques et qui
recueillerait vraisemblablement l’aval d’une majorité écrasante de la société
civile :Pourquoi ne limiterait-on pas les prérogatives d’un ministre, d’un
gouvernement en matière éducative ? Laissant le choix des orientations
fondamentales à un organisme, d’une
centaine de personnalités, qui aurait autorité sur les politiques et serait le
fruit d’un large consensus. Il pourrait regrouper des représentants du monde du
travail, du monde politique, des pédagogues, des universitaires, des
chercheurs, des philosophes, des scientifiques, des manuels, des exclus, des
médecins, des parents, des associations…
2. Quelle que soit la réponse à la première question : trois domaines majeurs devraient être au cœur des débats :
· Reformuler les grandes orientations d’une éducation et les missions des professeurs.
· Repenser les pouvoirs des uns et des autres.
· Mettre en place de véritables dispositifs d’évaluation pour tous les acteurs de la vie scolaire.
3. Que l’on rajoute ou non des questions tout ceci ne pourra avoir de conséquences que si l’on parvient à rendre effectif le débat.
Reformuler les grandes orientations et les missions des enseignants.
En matière de finalités, comment se fait-il qu’avec l’école de masse que nous nous contentions de « lire écrire et compter ». Sans compter qu’avec l’irruption de l’image, le lire a évolué et qu’avec les calculatrices, le compter s’estompe. Nous avons suggéré, il y a 10 ans, le triptyque : penser, entreprendre, discerner. Qui propose autre chose ?
Les
missions des enseignants ne peuvent pas ne pas tenir compte de la réalité de
notre société. Ils sont en permanence
face à des attentes de familles qui s’en remettent à eux pour régler des
problèmes qu’elles n’arrivent pas à solutionner et ils sont confrontés à
l’accessibilité de plus en plus imposante des savoirs via les nouvelles
technologies. Le professeur ainsi devrait évoluer vers des tâches de
facilitateur d’apprentissages, de communicateur sachant écouter, motiver,
responsabiliser …, d’évaluateur de pertinence, de cohérence bien plus que de simple transmetteur. Cela suppose une autre
formation que celle en place et une redéfinition du service. Définition qui pourrait devenir effective avec de
nouvelles générations et avec les volontaires en place.
Repenser les pouvoirs.
Comment pourraient se répartir les pouvoirs des enseignants, des élèves, des parents, des citoyens dans l’ensemble du dispositif éducatif ?
En matière de choix des contenus, il faudrait associer les professionnels, les citoyens et les professeurs. C’est très dangereux de laisser à un petit groupe de spécialiste le choix de modifier les programmes. Si seul un petit groupe peut rédiger le programme, les grandes orientations devraient être débattues beaucoup plus largement. Il n’est quand même pas bien difficile de demander à chaque catégorie de dégager l’essentiel de l’accessoire.
En matière de pédagogie. Les parents en accord avec leurs enfants devraient pouvoir exprimer des voeux.
En matière de rythmes scolaires, la décision finale pourrait être le fruit d’une concertation entre les partenaires d’une cité scolaire.
En matière d’orientation et de passage de classe. Il est nécessaire que l’on redonne du pouvoir aux conseils de classe. Ne pourrait-on pas promouvoir, au moins à partir de la seconde des unités capitalisables plutôt que des passages quasi automatiques ou une masse importante d’élèves n’ayant pas assimilé les connaissances indispensables vont dans la classe supérieure. Cela redonnerait très simplement du pouvoir aux enseignants.
En matière de carte scolaire, pourquoi ne pas demander des choix élargis aux parents. Et se donner les moyens de faire évoluer les structures qui sont moins demandées comme instrument d’évaluation de ce qui ne va pas ?
En matière de carrière pourquoi les enseignants les plus dynamiques ne seraient pas valorisés sur des critères à définir et accèderaient aux échelles hors classes parce qu’ils auraient fait un peu plus que les autres. La gestion devant rester de l’ordre du ministère en lien avec les régions pour ne pas paralyser les mutations.
En matière de formation continuée. Encourager les groupes type « balint » des enseignants, les formations traitant des difficultés.
En ce qui concerne les élèves encourager les groupes de paroles.
Mettre l’évaluation au cœur du système.
Comment se fait-il qu’il y ait si peu d’évaluations extérieures au système ?
Quelle rigolade qu’un inspecteur ait en charge 1500 enseignants !
Sur quels critères sont recrutés les inspecteurs ?
Si chacun comprenait que l’évaluation n’est pas une brimade, mais un moyen d’exercer mieux son métier, un peu comme un entraîneur, un coach, face à un joueur dans un milieu sportif. Que de progrès pourraient être constatés, cela deviendrait un réflexe de base des nouvelles générations d’enseignants, cela donnerait de l’épaisseur à la fonction de conseiller pédagogique.
Si en matière de transmission des connaissances l’évaluation ne fonctionne guère, en matière de compétences éducatives tout est à créer.
Personne n’a jamais été recruté pour ses compétences sur les questions de violence et d’incivilité. Il règne là un no man’s land préoccupant. Nous pourrions longuement témoigner d’exemples vécus ou la qualité des interventions pour régler des problèmes pourtant criants n’a pas fait le poids face aux rigidités d’interprétation de la mission du professeur, rigidités véhiculées par des « responsables » qui ne sont contrôlés par personne.
Que
le gouvernement fasse son boulot : signale les faiblesses et se donne les
moyens pour mobiliser la société civile afin de trouver des solutions, au lieu
de croire qu’il les détient et que son rôle se limite à les faire appliquer. Nous voulons d’abord et avant tout un gouvernement
qui sache mobiliser les énergies plutôt qu’un
gouvernement qui décrète. Rêvons un instant d’un ministre qui laisserait
son nom dans l’histoire pour avoir su s’en référer à l’ensemble des personnels
plutôt que d’imposer sa réforme !
C’est tout l’enjeu de nouvelles formes de démocratie dont l’urgence n’est jamais apparue aussi grande que dans l’éducation.
Il y a quelques années nous avions proposé une méthode qui reste valable.
Lancer un vaste débat sur plusieurs mois associant tous les partenaires éducatifs dans le but de proposer des réponses crédibles aux questions qui se posent.
Débat en trois temps :
· Faire l’inventaire écrit hiérarchisé des points sur lesquels tout le monde s’accorde (du moins l’immense majorité).
Par exemple :
- l’éducation c’est primordial.
- Elle concerne tout le monde au même titre que la santé, l’organisation de l’espace, etc..
- La société par l’irruption massive de l’image et des multimédias a, de fait, fourni des accès à des savoirs qui ne sont pas proposés par le corps enseignant, ce qui contribue à relativiser le rôle des enseignants comme seuls transmetteurs…
· Sur quoi y a-t-il des désaccords, et quels sont les plus importants ?
Lesquels sont porteurs de stimulation,
lesquels sont porteurs de blocages.
·
Que
proposez vous pour vivre avec?
Et l’on ne retiendrait que les propositions qui recueilleraient l’accord de 80% des participants.
On pourrait imaginer le dispositif suivant : chaque établissement scolaire élaborant ses propositions pendant une demi-douzaine de rencontres organisées sur un trimestre, dont une journée de pré rentrée ( avec présence des élèves, des parents des politiques locaux…). Trois représentants élus font alors état des propositions à une assemblée regroupant une trentaine d’établissements d’un bassin scolaire pendant 2 ou 3 séances. Cette assemblée élit 3 représentants au niveau académique qui eux-mêmes se réunissent 2 ou 3 fois avant de publier leurs conclusions sur un site Internet . Chaque académie élit 3 représentants pour un débat public sur les chaînes de télé et de radios nationales.
Les établissements scolaires se réunissent alors et font état de leur sentiment sur ce qui s’est passé. Cela peut tenir en 6 mois. Le gouvernement est alors mûr pour faire des propositions.
Vu la difficulté de la tâche ce n’est vraisemblablement pas ni en se racontant des histoires, ni en vitupérant que l’on risque de faire avancer les choses. Beaucoup d’entre nous se sont investis dans des approches plus respectueuses de l’individu, plus communicantes, ils n’en restent pas moins très fortement minoritaires. Je crois qu’il serait prudent de regarder en face les résistances et de tenter de trouver ensemble des moyens pour les réduire. Cela me paraît être la voie essentielle pour espérer que le débat public débouche sur quelque chose.
Antoine Valabregue