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From: "VOGEL, Laurent" <LVOGEL@ETUC.ORG>

Sent: Friday, May 23, 2003 9:44 AM

Subject: besoin de partager

 

 

 

Je vous envoie cette lettre de Marianne Blume qui se trouve à Gaza. Prenez

le temps de la lire et, si vous le trouvez utile, diffusez-la autour de

vous.

 

Amicalement

Laurent Vogel

 

BTS-TUTB

Bd du roi Albert II, 5, boîte 5

B-1210 Bruxelles

Belgique

 

Tel 322 224 05 60

Fax 322 224 05 61

 

web site: http://www.etuc.org/tutb

 

Email: lvogel@etuc.org

 

PS Vous pouvez écrire directement à Marianne: marianne blume

[mailto:marianneblume@hotmail.com]

 

 

Scène de vie à l'ezbah Beit Hanoun

En Palestine, ils ont perdu leur logement et leur moyens de subsistance:

plus d'oliviers, de citronniers, de troupeau. Plus de larmes. C'est

l'assassinat journalier d'un peuple et de son avenir.

MARIANNE BLUME, professeur à Ghaza

 

Chers amis,

Je n'écris pas souvent parce qu'à force de vivre dans l'injustice et

l'absurde, on finit par avoir l'impression de se répéter et souvent pour

rien. Mais aujourd'hui, la coupe déborde plus que d'habitude. J'en ai marre

d'entendre, de lire dans toutes les langues que les attentats sabotent la

feuille de route et donc les efforts de paix, marre d'écouter les litanies

contre Arafat et tous ceux qu'Israël n'aime pas, marre de ne rien lire ou

entendre sur le terrorisme israélien qui tue dans l'oeuf l'espoir même de la

paix. Alors, je décide de vous faire partager une petite part de notre

quotidien.

Hier, 19 mai 2003, un ancien étudiant m'appelle avec une voix étrange que je

ne lui connais pas. Il me demande de venir au plus vite pour voir ... et

d'amener des étrangers si je peux. Il s'arrête et je me doute qu'il est ému,

qu'il pleure. Les Israéliens ont démoli la maison de son beau-père et celle

de son cousin. Ils ont aussi démoli une autre maison, endommagé la mosquée

et puis ils s'en sont pris aux arbres suivant une bonne vieille habitude.

Les chars et les bulldozers sont encore là.

J'hésite, prise d'angoisse à l'idée que je ne pourrai rien y faire et que je

rencontrerai peut-être un de ces insectes hideux qui crachent des balles sur

tout ce qui passe. Avec un ami, nous décidons d'y aller. Pour atteindre

l'ezbah Beit Hanoun, nous ne pouvons prendre la route principale

(Salaheddine) puisque les chars occupent Beit Hanoun depuis quatre jours.

Nous sommes obligés d'aller par un chemin de traverse que je ne connais pas.

Et nous arrivons. Les hommes sont assis comme pour les deuils, les femmes

sont ensemble plus loin. L'atmosphère est si lourde que nous ne savons que

dire. Nous écoutons le récit de la nuit passée. Les hommes sont

extraordinairement calmes, mais les visages sont marqués par la fatigue et

l'inquiétude. Les femmes sont là avec des enfants qui ne comprennent pas ce

qui est arrivé ou qui comprennent trop bien et sont trop sages. Elles

racontent et contemplent l'amas de ce qu'on a pu sauver avec dans les yeux

tout ce qui est perdu. Les plus grands cherchent leurs cahiers ou leurs

livres car les exemens ont commencé.

Ce que j'ai vu est indescriptible. J'ai vu une maison rasée et enterrée avec

du sable par ceux qui l'ont démolie. J'ai vu la famille aider des voisins à

creuser pour retrouver tout ce qui serait récupérable. Leur quête désespérée

ressemblait à un jeu morbide car rien ne subsiste, pas même le tracteur

écrasé avec le reste. J'ai vu une femme jeune errer sur les décombres où

sont engloutis tous ses espoirs. J'ai vu les corps des chèvres et des

animaux que le bulldozer a écrasé avec le reste. J'ai vu des ruchers

saccagés et des arbres déracinés. J'ai vu des enfants surexcités qui ne

trouvaient pas d'autre moyen de dire l'indiscible que de se rassembler et de

guetter le blindé qui passait et repassait sur la route, tirant

sporadiquement vers des paysans qui tâchaient de traverser la rue.

J'ai vu deux autres maisons embouties par les bulldozers et qui semblaient

tenir par miracle. J'ai vu le poste électrique qui dessert l'ezbah

vandalisé. J'ai vu ou plutot je n'ai plus vu la route nouvellement refaite:

les Huns sont passés par là. Et pourtant, je n'ai pas vu de larmes, sauf

dans les yeux de mon étudiant qui n'en peut plus de cette vie absurde: il

vient d'avoir un enfant et il se demande avec angoisse ce qu'il pourra pour

lui. J'ai respiré l'odeur de la poussière et de la terre retournée, l'odeur

de la mort aussi: les mouches bleues sont agglutinées où les animaux sont

engloutis.

Et puis, j'ai entendu des récits si sobres que j'en ai eu la chair de poule.

Les soldats sont venus, ont intimé l'ordre de sortir immédiatement sans rien

prendre, ni l'argent, ni le lait pour les enfants, ni les papiers

importants, ni les couvertures, ni... Tout cela dans la nuit. Tous sont

sortis sans résistance pour assister de loin à l'anéantissement de leurs

biens.

Ailleurs, les soldats s'en sont pris à un père de famille; sa gamine de 5

ans tout au plus s'est mise à pleurer et a couru vers son père. Le soldat a

mis son arme sur sa tempe et lui a ordonné de lever les mains. Ailleurs, une

femme a demandé aux soldats de pouvoir sortir au moins les animaux, le chien

et les moutons. Et les soldats ont refusé. «Ils n'ont pitie de rien», me dit

celle-ci. «Pourquoi les animaux?»

Maintenant, les familles ont trouvé asile chez leurs proches. Vingt

personnes en plus, tout d'un coup, dans une maison qui en abrite déjà à peu

près autant. Des gens qui ont perdu leur logement et leurs moyens de

subsistance: plus d'oliviers, plus de citronniers, plus de troupeau, plus

rien. Plus rien dans un hameau où les gens n'ont déjà rien.

Je vous raconte l'histoire d'une nuit à l'ezbah Beit Hanoun parce que j'ai

vu. N'importe qui pourrait vous faire un récit similaire et plus sanglant

sur Rafah, Khan Younis, Garara, Moghraga, Nuseirat, Jabalya ou autre. C'est

ça le quotidien. Et quand on vous dit à la radio, à la TV ou dans vos

journaux qu'après une période d'accalmie, les attentats ont recommencé, vous

devez savoir que l'accalmie, ici, en Palestine, c'est la mort, les

destructions, les vexations quotidiennes. Le terrorisme, c'est l'occupation

et son cortège répressif. Le terrorisme, c'est l'assassinat journalier d'un

peuple et de son avenir. Et c'est ça aussi le sabotage de toutes les

feuilles de route qu'on se plaira à imaginer.


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