Europe 1 - 31 Mars
2003.
Interview de Mgr
Dubost, évêque d'Evry par Jean Pierre Elkabach
Jean
Pierre Elkabach : Vous êtes à Evry, Monseigneur Dubost,
au cœur des mosquées, des synagogues, des églises et vous êtes cités à Evry
comme un des exemples d'équilibre entre les communautés. Je vous remercie
d'être venu.
Monseigneur
Dubost : Bonjour et merci.
J-P.E.:
La guerre d'Irak fait partout monter
la tension ; à Evry –dit le journal La Croix ce matin- l'entente est
cordiale mais fragile. Il y a cette fragilité ?
Mgr.D.:
Il y a surtout cette entente
cordiale. Vous savez que lorsqu'il y a une guerre, une tension, les extrêmes
peuvent se réveiller ; nous sommes très attentifs, nous, responsables de
communautés à ce que les extrêmes ne se réveillent pas, mais pour le moment ce
que je constate, c'est plutôt une entente cordiale.
J-P.E.:
Et est-ce que les évêques, les
prêtres, sont aussi écoutés ou moins écoutés que les imams ?
Mgr.D.:
Je pense que nous sommes écoutés…
vous savez, notre société est séculière et il faut admettre que nous ne sommes
peut-être pas autant écoutés que nous le souhaiterions.
J-P.E.:
C'est à dire qu'il faut à la fois
combiner cette inquiétude que l'on sent monter et une forme de vigilance à la
fois des religieux et des laïcs ?
Mgr.D.:
Oui. Et j'allais dire que la-dessus,
laïcs et religieux nous devons faire en sorte que la religion ne soit pas
utilisée comme une arme de guerre. Ça me semblerait épouvantable. Utiliser Dieu
en ce moment comme une arme de guerre, c'est un blasphème, et je crois que mes
frères musulmans, mes frères juifs et mes frères chrétiens pensent comme moi.
J-P.E.:
On entendait tout à l'heure Odon
Vallet dire à Stéphane Soumier dans le journal d'Europe 1 vers 7 heures, que
chaque guerre se conduit en ce moment au nom de Dieu, est-ce qu'on ne peut pas
laisser Dieu tranquille ?
Mgr.D.:
Justement. Oui, j'écoutais Odon
Vallet en venant en voiture tout à l'heure, je n'étais pas exactement d'accord
avec lui ; je ne dirais pas que chaque guerre utilise Dieu. Au XXe
siècle on a sacralisé bien d'autres causes que Dieu pour permettre aux gens de
se tuer ; la Liberté ou la Révolution a servi de prétexte. Je crois que
chaque guerre tend à sacraliser la cause pour éviter de réfléchir aux problèmes
moraux que pose la conduite de la guerre. Il me semble qu'aujourd'hui, notre
rôle est de désacraliser les conflits. Dans les meilleurs ménages, on finit par
se battre quelquefois ; ce n'est pas Dieu qu'il faut mettre en cause.
J-P.E.:
C'est à dire, ne pas instrumentaliser
Dieu ou son Dieu parce qu'il devient facteur d'intolérance, de haine ou de
conflit…
Mgr.D.:
Exactement. Notre Dieu est un Dieu
d'amour qui aime tous les hommes.
J-P.E.:
Mais alors, par exemple lorsque vous
voyez Georges Bush commencer ses réunions de ministres par une prière, que le
Congrès américain vote une résolution en faveur du jeûne et de la prière,
qu'est-ce que vous vous dites… et surtout que de l'autre côté on appelle à un
certain jihad ?
Mgr.D.:
Pour moi, le jihad, lorsque je lis le
Coran, me semble plus une guerre spirituelle contre soi-même, et, pour
comprendre ce qui se passe aux Etats-Unis, il ne faudrait pas aller trop vite
dans le jugement. Vous savez que les Etats-Unis sont nés d'une sorte de révolution
spirituelle ; des gens sont partis d'Europe pour abandonner le vieux
Continent, ils ont été un fond de nation spirituel. Tout au long du XIXe
siècle on a vu les grands "revivors", les grands retours à la
religion au moment des crises importantes, et au fond ce à quoi nous sommes en
train d'assister, c'est comme une renaissance, une reprise des sources des
Etats-Unis dans la spiritualité ; ça nous semble très très bizarre à nous,
mais c'est justement pour ça qu'ils nous ont quittés et à mon avis, la question
qui est derrière-et qui est une question très grave- c'est que les attentats du
11 septembre ont été perpétrés aux Etats-Unis avec l'idée que les Etats-Unis
étaient sans Dieu et ça, pour un Américain, ou en tous cas pour Mr Bush et le
parti de Mr Bush, c'est intolérable d'être traité de "sans Dieu".
J-P.E.:
… et donc on le fait revenir…
Mgr.D.:
… donc on le fait revenir.
J-P.E.:
Monseigneur Dubost, est-ce que je
vous rappelle que vous avez été pendant combien d'années –11 ans ?-évêque
aux armées.
Mgr.D.:
Oui.
J-P.E.:
C'est à dire que vous étiez sur les
lieux des conflits.
Mgr.D.:
Ça m'est arrivé, oui, souvent.
J-P.E.:
Et alors pourquoi, au moment des
combats, on en appelle à Dieu ? Au moment où les jeunes vont se battre ou
peut-être mourir, pourquoi faire venir Dieu ? Ça fait passer le
sacrifice ?…
Mgr.D.:
Oui, bien sûr, ça fait regarder la
mort plus facilement… et puis, on ne va pas dire qu'on se bat pour un peu de
pétrole… on va dire qu'on se bat pour la liberté… ou pour Dieu… je veux dire
que c'est beaucoup plus noble… et puis ça permet de ne pas se poser un certain
nombre de problèmes moraux simples, puisque la cause est tellement grande.
Alors je crois que le rôle de l'Eglise, c'est de dire "Attention !
Des conflits, il y en a, mais il est important de mettre les droits de l'homme
au dessus de tout". Ce qui nous caractérise et ce qui est, je crois, le
grand progrès spirituel du XXe siècle c'est la Charte des Nations
Unies, c'est cette découverte – elle a été faite avant mais mise en avant au XXe
siècle - des Droits de l'Homme ; pour nous Dieu est plutôt du côté des
victimes que des canons.
J-P.E.:
Le XXIe siècle qui
commence avec cette guerre d'Irak, s'il est un siècle de conflits, ça va être
le siècle de Dieu ?
Mgr.D.:
Malraux disait cela paraît-il. Moi,
je crois qu'on a voulu éliminer Dieu d'une manière ou d'une autre, je crois que
Dieu "est" et qu'il ne faut pas chercher à l'instrumentaliser d'une
manière ou d'une autre…
J-P.E.:
… Vous avez dit "c'est un
blasphème"…
Mgr.D.:
… c'est un blasphème de l'utiliser,
mais je crois que l'homme n'est lui-même que lorsqu'il va vers l'absolu.
J-P.E.:
Alors, Monseigneur Dubost, si la
guerre entre dans les rues de Bagdad, qu'est-ce qu'il se passe à Evry et… Ã
Lille… Tourcoing… Lyon… Marseille….
Mgr.D.:
Je crois que notre entente entre
personnes différentes et d'opinions différentes est suffisamment grande pour
dépasser ce conflit. Vous savez très bien –et je crois qu'on ne le dit pas
assez- que le cœur de la difficulté n'est pas à Bagdad. Le cœur de la
difficulté, c'est Jérusalem.
J-P.E.:
C'est à dire que les héros à Evry,
c'est qui ? Ce n'est pas Saddam Hussein, Ben Laden, c'est qui ?
Mgr.D.:
Oh j'allais dire que chez les jeunes
ça peut être cela, mais vraiment, globalement, les communautés sont en dehors
de cela ; elles ne veulent pas importer la guerre d'ailleurs. Ce que je
crois par contre, c'est que nos raisonnements, quand on dit non à la guerre, ce
n'est pas suffisant. Je veux dire qu'on n'éduque pas des jeunes à coups de
slogans. Il faut des raisonnements, il faut réfléchir ; je voudrais
plaider ici que, si nous voulons la paix, il faut faire de la politique au sens
noble du terme, c'est à dire qu'il faut donner des raisons de vivre.
J-P.E.:
C'est le retour du politique dans le
sens le plus noble… mais dans les manifestations de samedi par exemple, on
entendait "Bush, Blair, assassins !". Aucune mention n'était
faite du dictateur aux cinq cent mille ou au million de victimes.
Mgr.D.:
C'est là que je dis que nos
politiques manquent gravement à leurs devoirs.
J-P.E.:
Pourquoi ? Pourquoi encore
eux ?
Mgr.D.:
Parce qu'il y a un million de morts
sur les mains de Saddam Hussein et que nous ne pouvons pas avoir une partie des
gens qui disent non à la guerre en laissant supposer que d'un côté et de
l'autre il y a le même crime. Je veux dire que Saddam Hussein est un criminel
et un grave criminel. Moi, je ne suis pas du tout d'accord sur cette guerre
parce qu'elle n'a pas été décrétée par l'O.N.U. et qu'il faudrait réhabiliter
l'O.N.U. ; je ne suis pas du tout d'accord avec cette guerre parce qu'on
aurait pu, probablement, faire en sorte que les inspections soient menées
jusqu'au bout, mais pour autant, il ne faut pas mettre Saddam, Bush et Blair
sur le même plan ; ça n'est pas du tout les mêmes choses. La démocratie,
vous savez, ça doit se défendre.
J-P.E.:
Vous avez noté que les proviseurs,
les professeurs, comme les ministres Ferry, Darcos sont inquiets d'une vague
d'antisémitisme en France…
Mgr.D.:
… moi aussi…
J-P.E.:
… elle n'arrive pas, disaient Bernard
Kouchner ou Jack Lang ou Pierre Lellouche, elle existe, et vous dites Oui.
Mgr.D.:
Oui. Elle existe, et elle existe par
provocation. Ce n'est pas de l'antisémitisme au sens où il y avait de
l'antisémitisme en France avant la guerre de 39-45, mais c'est quelque chose
qui est de l'ordre de la provocation. Ce qu'il faudrait écouter, ce n'est pas
seulement ces marques horribles –et je suis tout à fait contre cela- mais c'est
aussi entendre ces jeunes qui veulent être intégrés et qui essaient par tous
les moyens de se distinguer des autres.
J-P.E.:
Est-ce que ça veut dire que pour être
mieux intégré dans la République et la démocratie françaises il faut être
antijuif ?
Mgr.D.:
Non. Merci de me reprendre si j'ai
laissé croire ça. Mais ce que je crois, c'est que les jeunes ont l'impression
qu'ils sont sur la touche et qu'ils font n'importe quoi pour attirer l'attention
sur eux.
J-P.E.:
Et donc il faut accélérer, amplifier
l'intégration…
Mgr.D.:
Il faut amplifier l'intégration et
veiller vraiment au travail des jeunes.
J-P.E.:
Monseigneur Dubost, vous rendez
visite à la Mosquée d'Evry ; le dimanche, l'imam Khalil Méroun vient vous
voir à la Cathédrale, le rabbin Michel Serfati d'Evry vous rencontre, etc…
Quels signes ou quels actes symboliques et durables pouvez-vous faire ensemble ?
Je sais que c'est votre intention.
Mgr.D.:
Nous essayons en ce moment de monter
une soirée où nous réfléchirons ensemble sur ce que disent nos livres saints
sur la paix.
J-P.E.:
C'est facile à monter ?
Mgr.D.:
Ce n'est jamais facile à monter,
parce qu'il faut que chacun trouve le mieux la manière de faire qui convienne Ã
chacun et vous savez, c'est ça la démocratie française. Ce n'est pas que les
gens se taisent sur l'essentiel, mais qu'ils arrivent à le dire les uns à côté
des autres, fraternellement ; et je crois qu'on y arrive plus dans le
département de l'Essonne qu'on y arrive ailleurs.