La violence à l’école : quelques éléments de compréhension
s’appliquant à des pays membres de l’OCDE
I.             Introduction
Phénomène
troublant - passablement médiatisé -, la violence à l’école figure au nombre
des problématiques socio-éducatives qui ont fait l’objet d’une attention
soutenue ces dernières années de la part du monde de l’éducation..
Le
fait de s’employer à comprendre la violence à l’école et de tenter d’en
identifier les causes principales participe d’un exercice difficile et
complexe. La persistance de représentations, de présupposés qui se nourrissent
de préjugés ou de faits divers ainsi que l’hétérogénéité des méthodologies de
recherche n’autorisent donc pas de conclusions universelles sur le sujet.
Violence
scolaire, violence à l’école, violence anti-scolaire, autant d’expressions qui
ne désignent pas toujours la même chose bien qu’elles semblent se nourrir
toutes d’une impression globale de désordre et de menaces à la sécurité.
Au plan des recherches conduites dans le domaine, la dimension interactive de la violence est couramment prise en
compte, circonscrivant de fait l’objet autour de la violence physique contre la
personne et de l’atteinte aux biens. Pour Stromquist et Vigil (1996), cette
classification est importante parce qu’elle fait la distinction entre cibles
humaines et cibles matérielles, qui correspondent vraisemblablement à des
facteurs de déclenchement différents.
II.           La violence : faits et causes
Faisant
état de recherches sur les élèves et les agressions aux Pays-Bas,
Ton Mooij (1998) examine les variables environnementales du comportement
antisocial. Tout en reconnaissant que la variable biologique du genre peut
jouer un rôle significatif lorsque analysée dans un contexte culturel donné,
l’auteur insiste particulièrement sur les variables suivantes :
§
Les relations familiales dans les
processus éducatifs de la prime enfance. À titre d’exemple, Mooij évoque la
relation mère-nourrisson, et en particulier la tendance de la mère Ă
s’intéresser positivement à l’enfant et à soutenir son développement vers
l’indépendance. À l’opposé, la tendance à dominer et à infliger des punitions
dures aux enfants entraînerait le développement de comportements antisociaux.
§
Les méthodes d’évaluation des
apprentissages, les dispositifs didactiques et les approches pédagogiques
influent sur le comportement des élèves. Quand la méthode d’évaluation des
apprentissages est basée sur la performance comparative des élèves, souligne
Mooij, les résultats négatifs signifient que certains d’entre eux ne pourront
pas réussir. Le sentiment d’isolement, qui en découlerait, constituerait un
terreau fertile pour le développement de comportements violents.
§
L’influence des camarades et la
dynamique de groupe.
§
Les caractéristiques du quartier où se
trouve l’école : le tissu socioculturel et économique, la nature, les caractéristiques
et la quantité des contrôles sociaux.
§
L’importance accordée au pouvoir et
aux performances, à la virilité (machisme) et au sensationnalisme.
Mooij
ajoute qu’à la lumière de recherches utilisant différentes analyses
multivariées, il appert que le fait d’être un garçon, d’être plus extraverti,
d’être plus importun, de rencontrer peu de professeurs ayant un comportement
positif et d’être scolarisé dans un établissement scolaire secondaire à niveau
plus faible, sont des variables pertinentes qui expliquent pourquoi et comment
on devient initiateur de violence.
Des
recherches conduites en Suède (Lindström et Campart, 1998) indiquent que
les garçons sont bien plus nombreux que les filles comme victimes et comme
auteurs de violence et un pourcentage substantiellement important des auteurs
d’actes violents disent ne pas avoir une relation très positive avec leurs
parents.
Une
étude conduite auprès d’élèves allemands des ordres primaire et secondaire
(Walter Funk, 1998) identifie les principaux dĂ©terminants de la violence Ă
l’école :
§
les traits de personnalité de
l’élève : plus celui-ci se sent isolé plus il est partie aux bagarres; par
ailleurs, plus un élève est consciencieux, moins grands sont les risques de
commettre des gestes violents;
§
les attitudes parentales : plus
les parents offrent un bon encadrement Ă leurs enfants, moins grandes sont les
chances pour eux de développer des comportements violents;
§
le voisinage et le quartier :
plus les élèves ont une perception positive de leur environnement social, moins
ceux-ci commettent des actes de vandalisme à l’école;
§
les groupes de pairs : les actes
de vandalisme seraient plus fréquemment commis par des groupes informels de
pairs que par des élèves inscrits dans des groupes structurés d’activités
parascolaires;
§
Les élèves ayant le sentiment de bien
réussir à l’école auraient moins tendance à être violents que ceux qui ont le
sentiment de se trouver dans des situations d’échec scolaire.
Enfin,
W. Funk aborde la question de l’influence des médias sur les comportements.
À ce chapitre, il y aurait une corrélation très nette entre le fait d’être
exposĂ© Ă la violence par les films, vidĂ©os, etc., et celui d’être violent Ă
l’école (insultes, bagarres, vandalisme, brimades - «bullying» - et harcèlement
sexuel). Avant d’atteindre l’adolescence, signale pour sa part le Conseil de
l’Europe, l’enfant aura été témoin de milliers de meurtres et d’actes violents,
simplement en regardant la télévision[2].
Aux
États-Unis, de nombreuses études ont été réalisées sur la violence scolaire
dont plusieurs, ces dernières années, ont porté sur les manifestations de
violence criminelle. Ce que l’on
peut dire à cet égard, à la lumière de récentes enquêtes, c’est que les actes
de violence de cette nature sont surtout commis par des adolescents de sexe
masculin appartenant à des minorités ethniques. Même si, d’autre part, les
actes criminels paraissent en régression aux États-Unis,
cette constatation ne dispose pas de la question de la violence scolaire dans
ses multiples et moins dramatiques situations. À ce chapitre, il est mentionné
que des données fiables doivent être collectées à l’échelle locale en vue de
permettre aux autorités d’établir des plans d’action efficaces pour contrer la
violence scolaire.
Au
Japon, pays longtemps perçu comme un endroit où la discipline des élèves
faisait l’admiration de nombreux observateurs occidentaux, la situation semble
avoir changé au point où certains vont jusqu’à parler de l’effondrement de la
salle de classe («classroom collapse»). Un récent rapport du National Institute for Educational Policy
Research indique que la moitié des écoles secondaires du pays ont connu des
actes de violence, des problèmes de prostitution juvénile et une augmentation
du taux d’abandon scolaire.
Les causes explicatives de ces phénomènes semblent prêter à des interprétations
divergentes. Les parents montreraient du doigt les enseignants pour leur manque
d’autoritĂ©, d’autres constateraient leur manque de formation pour faire face Ă
la situation. Certains enseignants, d’autre part, reprocheraient aux parents
leur trop grand laxisme à l’endroit de leurs enfants désormais contestataires
annoncés de l’autorité parentale.
En
Ontario, le Centre de toxicomanie et de santé a rendu
publique, en mai 2002, la première Ă©tude du problème de l'intimidation Ă
l'école à l’échelle de la province. Selon cette étude, le quart des élèves
ontariens, soit environ 225 300, ont dit avoir été victimes d'intimidation
à l'école depuis le début de l'année scolaire, et le tiers des élèves ont avoué
avoir eux-mêmes intimidé quelqu'un. L’étude précise cependant que les données
collectées sont fondées sur les dires des répondants plutôt que sur des données
cliniques.
Au Québec, les données disponibles proviennent d’une enquête conduite, au printemps 1999, par l’Institut de la
Statistique du Québec et la Direction de Santé-Québec.
Cette enquête a été menée auprès d’un échantillon d’élèves âgés de 9 ans,
13 ans et 16 ans et avait comme objectif de présenter un portrait de
l’état de santĂ© et de bien-ĂŞtre des jeunes quĂ©bĂ©cois et quĂ©bĂ©coises Ă
différentes étapes de leur développement. Sans pour autant porter sur la
violence scolaire comme telle, celle-ci et les problèmes de comportement furent
néanmoins abordés. Les données recueillies révèlent que :
§
les garçons sont plus fréquemment
victimes de violence que les filles, et ce, dans tous les groupes d’âge;
§
ce serait surtout la violence verbale
qui serait le plus souvent vécue par les jeunes, mais le tiers des enfants de
9 ans et 15 % des enfants de 13 ans ont dit s’être fait frapper
ou pousser violemment à l’école ou sur le chemin de l’école;
§
le taxage
est davantage présent chez les plus jeunes car environ 10 % des jeunes de
9 ans ont dit avoir été victimes de taxage
comparativement Ă 2 % chez les jeunes de 13 ans et 1,3 % chez
ceux de 16 ans. Toutefois, les données de l’enquête ne permettent pas de
dire si le taxage a eu lieu Ă
l’école.
III.         Dispositifs de lutte contre la
violence
Les
initiatives dans ce domaine sont variées et peuvent être regroupées de la
manière suivante :
§
Dispositifs d’observation et de
surveillance.
Citons,
à titre d’exemples : l’Observatoire européen de la violence scolaire,
l’Observatoire français de la sécurité des établissements scolaires et
d’enseignement supérieur, le Comité national français de lutte contre la
violence,
ainsi, qu’aux États‑Unis, la mise Ă jour de statistiques sur les actes de
violence par le truchement de divers organismes d’État, tels le ministère de la
Justice, le National Center for Education
Statistics et le National Institute
on Drug Abuse. Au plan de la collecte de statistiques, mentionnons
également la mise en place, en France, d’un logiciel – Signa – censé recenser et mieux cerner les actes de violence dans
les Ă©tablissements scolaires.
§
Dispositifs de prévention
Au plan des organisations internationales gouvernementales,
c’est à l’Unesco qu’il revient d’avoir initié, depuis le début des années 50,
des actions successives jusqu’à ce jour, en vue de promouvoir une éducation
fondée sur des principes d’éducation à la paix, à la non-violence et à la
tolérance. La culture de paix promue aujourd’hui par l’Organisation s’inscrit
dans une continuité historique qui puise à même les fondements qui lui
donnèrent naissance, en 1945.
Dans sa DĂ©claration
et Programme d’action sur une culture de la paix (1999),
l’Unesco invite à faire en sorte que les enfants reçoivent, dès leur jeune âge,
une Ă©ducation au sujet des valeurs, des attitudes, des comportements et des
modes de vie qui doivent leur permettre de régler tout différend de manière
pacifique et dans un esprit de respect de la dignité humaine, de la tolérance
et de la non-discrimination.
En 2001, l’Unesco publiait un recueil de «Bonnes pratiques
de résolution non-violente des conflits en milieu scolaire». L’objectif que
cette publication voudrait atteindre est d’informer tous ceux - enseignants,
formateurs, éducateurs, parents, jeunes, élèves - qui, d’une manière ou d’une
autre, sont confrontés aux phénomènes de la violence à l’école ou au sein des
communautés éducatives non formelles. L’intention de l’Unesco, dans ce projet,
est de proposer à l’ensemble de ces acteurs des outils pédagogiques concrets
pour prévenir et transformer la violence à laquelle ils sont confrontés
quotidiennement dans leur travail.
Aux États-Unis,
selon l’approche Safe schools, les
programmes de prévention couvrent un large spectre et concernent aussi bien,
par exemple, la liberté surveillée à l’école (des contrôleurs judiciaires
suivent des jeunes à risque) que la médiation par les pairs. En Suède, la politique
d’une école sûre est portée par trois
paliers d’intervention : un réseau central contre le harcèlement, le plan
d’action municipal contre le harcèlement et, enfin, la mise en œuvre des
orientations par l’école (Lindström et Campart, 1998).
En
Angleterre, les approches préventives se caractérisent surtout par des
activités de tutorat, de création de school
clubs où enseignants et élèves se rencontrent après les heures de cours,
l’exercice de la fonction enseignante par chef d’établissement à raison de
quelques heures de cours par semaine en classe en vue de la reprocher des
enseignants, la participation active des parents dans la classe (supporting the teacher).
Ă€
l’instar de la Grande-Bretagne, l’Allemagne favorise une approche individuelle
de la violence et l’État fédéral encourage la formation continue des
enseignants à la gestion des conflits et à la médiation. En France, le Commissariat général du plan
publiait, en mars 2001, un rapport sur la «Jeunesse, un devoir d’avenir»
et des mesures pour prévenir la violence scolaire y sont proposées :
§
associer les jeunes au fonctionnement
collectif des institutions;
§
individualiser l’enseignement;
§
diversifier les parcours de formation;
§
définir un projet collectif
d’établissement;
§
renforcer le partenariat;
§
assurer une formation initiale et
continue des personnels intégrant la gestion de la violence;
§
mettre en place des cellules d’aide
psychologique aux parents.
Au
Québec, la Fondation Docteur Philippe Pinel diffuse une trousse de prévention
de la violence à l’école secondaire. Plus de 250 écoles et organismes ont
recours à ce matériel. À la Commission scolaire de Montréal, un plan de
sensibilisation et de prévention de lutte contre la violence a démarré en
décembre 2000 par un rassemblement de 8 000 membres du personnel
au Centre Molson. Par la suite, la
Commission fit l’embauche de sept professionnels spécialisés en prévention de
la violence. Ces personnes travaillent surtout dans les Ă©coles et s’emploient Ă
créer des liens avec la communauté de proximité. À cette mesure s’ajoutent
l’inclusion de services psychologiques dans le programme d’aide aux employés,
la création d’un conseil des jeunes commissaires, la mise sur pied de groupes
d’entraide avec la collaboration de CLSC en vue de prévenir la toxicomanie, le
développement d’un site Intranet pour permettre aux personnels de partager de
l’information et des expériences ainsi que la diffusion de dépliants faisant la
promotion de comportements pacifiques.
De
manière générale, l’ensemble des plans de prévention insistent sur
l’établissement de relations de confiance avec la famille, le développement de
partenariats avec la communauté de proximité, des approches pédagogiques
favorisant le dialogue, un suivi des cas Ă risque et des dispositifs
d’auto-évaluation de la violence, l’élaboration de règles de conduite au sein
de l’établissement et des campagnes de sensibilisation.
§
Dispositifs d’intervention
Ă€
ce chapitre, les mesures employées varient, elles aussi, selon les politiques
de l’établissement et la gravité de l’acte et vont de l’encadrement
personnalisé à l’expulsion de l’élève (signalons au passage que certains États
des États‑Unis d’AmĂ©rique peuvent retirer Ă un Ă©tablissement son
accréditation si le climat de ce dernier est jugé malsain). Pourtant, comme le
suggèrent Stromquist et Vigil (déjà cité), il suffit parfois de pratiquer le
renforcement positif pour éviter l’application de sanctions négatives «– c’est
un peu comme la différence qui existe entre Pelouse
interdite et Restez sur les allées».
Un
guide, publié conjointement en 2002 par les services secrets américains et le Department of Education, propose un plan
d’action en vue d’améliorer le climat de l’école et de diminuer les risques
potentiels de manifestations de violence. Pour ce faire, le guide propose un
certain nombre de repères dont ceux-ci :
§
prendre la mesure du climat Ă©motionnel
de l’école;
§
insister sur l’importance de l’écoute
attentive;
§
ne pas tolérer la loi du silence;
§
changer la perception selon laquelle
un élève qui parle de la violence avec un adulte est considéré comme un
mouchard;
§
trouver des moyens pour mettre fin Ă
l’intimidation physique;
§
associer les élèves au développement
d’une culture de paix et de respect dans l’école;
§
développer le sentiment de confiance
des élèves envers les adultes de l’école;
§
se rappeler qu’ultimement, un climat
sécuritaire se développe d’abord et avant tout à l’échelle locale.
IV.         Perspectives
La
lutte contre la violence à l’école est devenue un sujet de préoccupation élevé
dans nombre de pays de la zone OCDE, mais aussi dans d’autres régions du monde.
Il appert, cependant, que les frontières entre la violence à l’école et la
violence en tant que phénomène social en général ne soient pas toujours
clairement délimitées, sans doute parce qu’entre elles, des liens peuvent être
Ă©tablis, notamment entre le climat familial et les attitudes des Ă©lèves Ă
l’école.
Il
paraît, selon notre survol de la situation, que la documentation du phénomène
de la violence scolaire offre un portrait à géométrie variable selon les pays.
Ainsi, certaines enquêtes s’intéressent aux multiples dimensions de cette
violence cependant que d’autres se limitent à la recension des actes violents
et criminels, ce qui entraîne par conséquent des dispositifs de prévention et
d’intervention contrastés. Il paraît donc important de cerner l’objet sur
lequel porte une enquête et d’en justifier le choix.
Ce
qui paraît tout aussi important, c’est le fait de pouvoir comparer les
perceptions du phénomène de la violence scolaire aux manifestations répertoriées
de cette même violence. En effet, le sentiment d’insécurité à lui seul ne
saurait commander des interventions non fondées sur des faits documentés et
avérés.
D’autre
part, la mise à jour des données collectées sur la violence semble également
nécessaire, car les manifestations de celle-ci ont évolué dans le temps pour se
concentrer, aujourd’hui, sur les agressions contre la personne et la
dégradation des biens. Rien ne nous dit
cependant qu’il en sera de même tout le temps, d’où l’importance d’actualiser
les résultats des enquêtes. Il en va de même pour les causes explicatives de la
violence dont la compréhension appelle à des analyses sociologiques et
psychosociales.
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