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compte-rendu d’une session d’ECJS en classe de seconde,

Compte-rendu d’une session d’ECJS en classe de seconde,

« Est-on un citoyen quand on est au travail ? Â»

par Frédéric Barbe (frederic.barbe@laposte.net  )

 

Attention, ce travail de présentation réalisé de manière volontaire et hors obligations de service est libre d’utilisation pour les collègues et les élèves, mais il est également protégé et ne peut être repris dans un ouvrage, une publication ou un site quelconques sans autorisation écrite préalable de son auteur.

 

Cadre général de ce travail

Septembre 2001, je travaille à nouveau en lycée, dans la banlieue nantaise. Je découvre le programme et le nouvel esprit qui semble animer la jeune discipline scolaire ECJS. Lors de la première rencontre avec les élèves de seconde, je leur présente ce que j’ai compris du programme, en insistant sur l’esprit coopératif allié au caractère principalement oral du dispositif pédagogique, ainsi que les deux problématiques de l’année élaborées à l’intérieur du programme officiel. J’impose la première problématique « est-on un citoyen quand on est au travail ? Â» et propose la seconde « la publicité est-elle une incivilité ? Â», à charge pour les élèves de me proposer autre chose s’ils le souhaitent, en cours d’année. Nous disposons d’une heure d’ECJS tous les quinze jours et ce travail a été mené dans deux classes de seconde, soit quatre demi-groupes. Je présente ici un bref compte-rendu de cette première session, compte-rendu suivi d’une invitation à discuter le couple loi/contrat et l’avenir du droit du travail en France et dans l’Union Européenne. Contrairement à certaines habitudes de l’institution, je ne tais aucunement les difficultés et les limites intellectuelles de ce travail réalisé avec des élèves de seconde dans un cadre temporel réduit et parfois décousu (absence ou vacances et c’est le grand écart). En tous cas, ce travail a l’immense mérite d’avoir réellement eu lieu avec des élèves en activité, dans le cadre de la mise au point de cette nouvelle discipline et hors évaluation chiffrée, c’est-à-dire, pour les élèves, dans un contexte de « désintéressement Â» statistique maximal, au profit, je l’espère, d’une vraie curiosité intellectuelle.

 

Principes d’organisation de la session et des séances de travail avec les élèves

La session est organisée en vue du débat argumenté de clôture, débat construit lui-même autour de la question « est-on un citoyen quand on est au travail ? Â». Ce débat durera une heure et donnera lieu à un compte-rendu écrit et personnalisé de la part de chaque élève.

Toutes les séances préalables sont utilisées pour faire monter petit à petit les enjeux de la problématique « est-on un citoyen quand on est au travail ? Â» dans l’esprit des élèves en une sorte d’imprégnation qui tire parfois vers le comique de répétition, ainsi que pour nourrir la réflexion collective grâce à une documentation de qualité, c’est-à-dire variée, récente, en prise sur notre expérience aux uns et aux autres (incluant l’expérience lycéenne).

Afin de tenter un double mouvement – optimisation de procédures orales en demi-classe, valorisation orale de l’ensemble des élèves -, chaque séance préparatoire est présidée par un(e) élève, qui assure la gestion de la parole et la dynamisation de l’activité. Un(e) autre élève établit un compte-rendu associant idées du débat et ambiance du débat (liste des prises de parole, temps morts, etc.). je photocopie le compte-rendu ainsi réalisé pour le demi-groupe et autorise conséquemment les élèves à ne pas prendre de notes afin de se rendre disponibles pour écouter, intervenir, interagir.

Les élèves responsables de chaque séance ont été tirés au sort dans l’ensemble du groupe en début de session. Seul le volontariat est envisagé pour le débat argumenté de clôture, car, évidemment, les performances brutes des élèves dans l’animation de séance sont extrêmement variables, et le débat doit procéder d’un engagement et d’une certaine capacité (travaillée dans l’année certes, mais aussi préalable et parfois indifférente à l’expérience scolaire, et, en tous cas, à la moyenne arithmétique de l’élève dans la discipline de référence, ici l’histoire-géographie).

 

Voici le travail de documentation et d’élucidation, d’objectivation devrait-on dire, poursuivi de septembre 2001 à février 2002, à travers l’inventaire commenté des sources utilisées avec les élèves et le bilan des débats argumentés.

 

1/ octobre 2001 : sortie au conseil des prud’hommes de Nantes avec reprise en classe.

sortie gratuite, mais obligatoirement par demi-groupe, dans une ambiance de bureau moderne qui contraste avec celle, beaucoup plus empesée et solennelle, du tribunal correctionnel (que ce soit dans l’ancien ou dans le nouveau palais). Selon les jours, nous assistons à des sessions « encadrement Â», « employés Â» et « divers Â».

Chaque élève réalise un compte-rendu personnel, en prise de notes et/ou à la maison, afin d’être capable de présenter oralement une des affaires observées. Une à deux séances en classe sont consacrées à la reprise de la session, comprendre la logique de chaque plainte, identifier les concepts juridiques mobilisables tant par le demandeur que par le défendeur, réfléchir à l’établissement des faits et au caractère de la preuve, observer les habitudes de travail, les procédures, les personnes au travail (accompagnant les quatre sorties, je revois plusieurs fois les mêmes avocat(e)s).

Un demi-groupe a eu un comportement que j’ai trouvé peu agréable, juste avant le début de séance, et pour retrouver le calme, j’ai exigé la remise du compte-rendu écrit. Une des séances ayant été écourtée, par défaut de plaignants, le tribunal nous a offert une présentation intéressante, quoique partielle, de la structure prud’hommale. En effet, ce n’est qu’à ma demande expresse, qu’un des juges (du collège salarié) accepte de parler des raisons de l’engagement en tant que juge prud’hommal, à travers le filtre de l’engagement syndical. Cette réticence à objectiver sa propre situation m’étonne toujours, comme s’il fallait présenter aux élèves une façade totalement rationalisée et apurée de son itinéraire personnel. Il ne faut pas mentir aux enfants.

Lors des séances de reprise, je présente aux élèves l’excellent et efficace « Droit du travail Â» de Brigitte Hess-Fallon et Anne-marie Simon (13ème édition, chez Sirey), un aide-mémoire que j’ai fait acheter par le CDI du lycée et qui permet, avec grande facilité, de raccorder les observations issues du tribunal avec les règles du droit du travail français compilées dans le livre, grâce à un sommaire clair et pratique. J’utilise également les brochures de présentation fournies gracieusement par le tribunal.

 

2/ Lecture préparée d’un dossier de la revue « Sciences et avenir Â», octobre et novembre 2001

dossier de 5 pages dans la rubrique découvrir : « l’arme psychologique, outil du management. La science du harcèlement Â», extrait du numéro d’octobre 2001 de la revue, photocopié et remis aux élèves afin qu’ils en réalisent une lecture préparée à la maison. Une série de questions est proposée pour aider les élèves.

Q1. Etablissez la liste exacte des articles composant le dossier de « Sciences et avenir Â».

Q2. Décrivez l’action de Fernand Carayon à Marignane.

Q3. En quoi son action comporte-t-elle des phénomènes de violence ?

Q4. Quels étaient les objectifs de Fernand Carayon ? Ces objectifs sont-ils atteints ?

Q5. D’après le dossier, qu’est-ce que le harcèlement moral (dans une entreprise) ?

Q6. Qu’est-ce qui explique, d’après le dossier, l’apparition du harcèlement moral dans les entreprises ?

Q7. Le tribunal des prud’hommes a-t-il eu à statuer sur des conflits dans l’entreprise de Fernand Carayon ? Expliquez.

A l’occasion de ce travail, très bien préparé par la plupart des élèves, j’utilise pour la première fois en ECJS des figures mythologiques (incluant la mythologie contemporaine) pour exprimer et condenser des points difficiles : la figure double du « docteur Jekill et mister Hide Â» à propos de la gestion exemplaire de l’usine de Marignane, celle des « sept nains Â» pour illustrer la deuxième vérité du travail (le plaisir au travail, la réalisation dans le travail, tels que les décrit Pierre Bourdieu et que beaucoup d’élèves réfutent avec véhémence), d’autres viendront plus tard (le « syndrome Dracula Â», le « Père Noël Â» bien sûr qui existe réellement sans exister matériellement, etc.). Ces figures me semblent d’une grande efficacité pédagogique.

J’amène aux élèves deux livres, que je présente et fait circuler. D’abord « L’aubépine de mai, chronique d’une usine occupée, Sud-Aviation , Nantes, 1968 Â» de François Le Madec aux éditions du CDMOT de Nantes, récit de la longue grève (avec séquestration du directeur) aux usines Sud-Aviation de Bouguenais, qui démarre le mai ouvrier de 1968 et que je compare avec les informations recueillis sur Marignane et le management participatif. Voilà pour l’histoire locale. Je présente aussi le contexte du moment, qui est celui de la négociation de la réduction du temps de travail, en faisant circuler « Bien négocier les 35 heures, guide pratique et critique à l’usage exclusif des salariés Â»,  livre co-écrit par Gérard Filoche.

 

3/ Lecture partielle préparée d’un dossier de la revue « Alternatives économiques Â», décembre 2001 et janvier 2002.

Dossier « Jouets, l’envers du décor Â», Alternatives Economiques, n°197, novembre 2001, réduit à la partie « la mobilisation citoyenne Â» soit quatre pages. Le but est ici d’élargir l’échelle de réflexion à propos de notre question « est-on un citoyen quand on est au travail ? » et donc de quitter nos lunettes aux optiques par trop franco-françaises.

Je demande aux élèves d’établir la liste des acteurs du commerce international des jouets. On aboutit à une situation classique en trois groupes, consommateurs finaux, producteurs (à cet instant, les gens au travail dans les usines chinoises) et intermédiaires. J’ajoute dans les quatre demi-classes la figure du Père Noël, c’est l’occasion d’un bref apport magistral sur la fabrication récente de ce personnage de la mythologie capitaliste du monde développé. Le travail documentaire, l’effort d’oralisation, la mise en place d’une structure coopérative avec les élèves (le professeur demande la parole comme les autres) ne doit pas empêcher un apport magistral lorsqu’il est bienvenu, en amorce ou en cours de travail.

Inévitablement, à propos de l’avenir incertain des enfants chinois dans les sweat shops du Père Noël, la question, ou plutôt l’affirmation vient, empreint du fatalisme le plus étroit.

« Tout de manière, on n’y peut rien ! Â» Bien sûr, à ce stade, ce sont les autres élèves qui, avec le professeur, ont compris que, bien sûr, on y peut quelque chose. Certains lui répondent, en finesse. On y peut peu, mais on y peut quelque chose, et même à distance, magie de la modernité. La figure fragmentée du travailleur en tant que consommateur est alors posée. Le mode de consommation, le monde du client, est en lien étroit avec le mode de fabrication, le monde du travail (fabrication, distribution). Ce n’est qu’en tant que citoyen que l’individu peut s’unifier et abandonner la dangereuse schizophrénie du travailleur/consommateur, elle-même illustrée dans la posture ultime et totalement absurde du salarié titulaire d’un fond de pension et « dégraissé Â» à l’instigation des gestionnaires du fond de pension auquel il contribue.

 

4. Etude d’un fait divers lié au travail, ici une école primaire envisagée comme lieu de travail, janvier 2002.

Il s’agit, à ce stade, et je le présente ainsi aux élèves, d’un petit exercice d’échauffement en vue du prochain débat argumenté « est-on un citoyen quand on est au travail ? Â». Je rappelle les informations recueillies depuis le début du travail et ce qui me semble être notre travail d’objectivation au cours du premier semestre de travail ECJS seconde. L’article court est tiré du quotidien Libération du 11 janvier 2002 et s’intitule « l’écart de conduite des instituteurs. Ils ont fait déshabiller les élèves d’une école de Châteauroux Â».

Notre travail est de clarifier puis d’interpréter les faits rapportés dans l’article, en essayant de lever tous les pièges d’une lecture emportée. 

Il faut regarder tout cela du point de vue 1/ des élèves  2/ des enseignants 3/ de leurs parents 4/ de l’employeur et réfléchir en référence à de nombreuses notions 1/ le droit 2/ la professionnalité des enseignants (les règles du métier) 3/ la tradition (expériences déjà vécues, notion d’acceptabilité) 4/ l’état d’esprit du moment (modes, discours des médias) 5/ le surgissement d’une situation exceptionnelle 6/ la responsabilité et l’autonomie (notamment celle d’un individu adulte à l’intérieur d’un groupe d’adultes) 7/ la fiabilité des informations fournies par le journaliste 8/ l’amour et la responsabilité des parents envers leurs enfants 9/ la formation citoyenne des élèves assurée par l’Ecole.

Le sujet est d’importance, puisqu’au delà même de l’établissement de faits tels qu’advenus (la visualisation spectaculaire de l’événement par les lecteurs pousse vraiment à recommander aux journalistes de redoubler de précautions en matière d’écriture), au delà des ambiances qui orientent les lectures (« c’est de la pédophilie ! Â»), du déballage par quelques élèves (et même le professeur qui compare avec sa propre scolarité primaire à l’école Dervallières-Château de Nantes il y a longtemps) de situations scolaires présentées comme authentiques, c’est la question de la faute professionnelle et de la sanction. Est-ce un effet de l’expérience scolaire ou simplement de l’inexpérience adolescente, il est certain que les élèves ne sont guère enclins à la proportionnalité de la sanction, et, que massivement, la sanction est sanction, dépourvue de sa part réparatrice. C’est un fait bien curieux, une aporie du système éducatif manifestement.

 

5. Lectures préparées en autonomie (norme vestimentaire et devoir de réserve) et fabrication d’un argumentaire personnel, février 2002.

Deux lectures obligatoires pour la dernière séance avant le débat lui-même :

- Les contentieux vestimentaires perturbent la relation sociale (le Monde du 15 janvier 2002)

- La fuite sur les pertes financières attribuées à un Nazairien, Aérospatiale : syndicalistes au tribunal

(Ouest France du 15 janvier 2002)

Un travail simple est proposé. Après lecture, chez eux ou au CDI, de ces deux articles, les élèves doivent lister droits et devoirs du salarié, tels qu’ils sont discutés dans ces deux articles, en les rapportant toujours à la question du débat « est-on un citoyen quand on est au travail ? Â» et à la documentation précédemment utilisée.

Lors de cette dernière séance préparatoire, au CDI, après avoir vérifié collectivement les lectures, un travail de réflexion et de recherche complémentaire (individuel ou en petit groupe) est mené, afin que chacun puisse intervenir lors du débat avec une approche préalablement construite. Une feuille de route est proposée aux élèves en vue du débat. Ceux-ci devront la compléter, seul ou à plusieurs, en révisant le travail de recherche déjà effectué (listage des problématiques, des idées et du vocabulaire nouveaux) et en initiant leur « réponse Â» personnelle, c’est-à-dire plutôt en construisant une position personnelle dans le questionnement du débat à venir. Cette feuille sera relevée, pour chacun des groupes, dans la semaine qui suivra le débat.

 

6. Le débat argumenté, séance d’une heure, mars 2002

Des précautions techniques ont été prises :

- révision/préparation avec la feuille de route

- appel à un volontariat pour un-e ou deux (co)président-e-s chargé-e-s de gérer le débat, afin de s’assurer d’un fonctionnement optimal.

- demande d’un bref compte-rendu individuel en deux points, comme indiqué ci-dessous

 

Compte-rendu du premier débat argumenté d’ECJS              Qui êtes-vous ? ………………………………….

1/ Entourez, sur la fiche ci-dessous, deux sentiments qui vous viennent après ce débat et l’ensemble des séances de préparation ECJS.

2/ Au dos de la feuille, faites un compte-rendu du débat, compte-rendu organisé autour du déroulement du débat lui-même (comment il s’est déroulé, qui s’est exprimé, pourquoi, etc.) et des idées échangées (qu’est-ce qui s’est dit, est-on arrivé à des conclusions, de nouvelles questions, etc.).

Remettez-moi cette fiche lors du premier cours d’histoire-géographie qui suivra le débat, agrafée avec la fiche de préparation/révision du débat.

 

- rappel aux élèves et au professeur du caractère raisonnable et relatif de l’exercice « débat argumenté Â» : on ne saurait exiger d’élèves de seconde une maîtrise technique et une élucidation de la problématique que la plupart des adultes mis en situation ne sauraient atteindre. On pense bien sûr a diverses situations professionnelles (vécues) de l’Education nationale qui doivent nous faire réfléchir au degré d’exigence raisonnable en ECJS. De même, je rappelle que le silence, s’il crée spontanément chez certains un malaise (« ne se passerait-il plus rien ? Â»), est un passage obligé des débats d’adultes (hors la télévision et la radio) en groupe nombreux. Le silence possède beaucoup de qualités.

- annonce de la récupération prochaine des copies des jugements des affaires observées en début d’année aux prud’hommes, jugements rendus en janvier et février 2002. Ils seront étudiés avec les élèves après le débat, pour bien mettre au point un aspect de la citoyenneté au travail, c’est-à-dire la judiciarisation des conflits du travail aux dépens d’autres formes de régulation, les conséquences et les caractéristiques du système prud’hommal. Il s’agit de discuter du recours à la justice en matière de droit du travail.

 

Quelque remarques générales :

*En matière d’expérience scolaire (équivalent lycéen de l’expérience professionnelle), certains élèves « balancent Â» au cours du débat.

*En matière de prise de parole, ce sont surtout les filles qui se portent volontaires pour présider (6 co-présidentes pour 2 co-présidents) et qui animent le débat, forçant parfois des garçons à justifier de brèves prises de parole souvent négatives.

*Chaque débat a pris une direction différente et mes interventions (techniques ou informatives) se sont calées sur le cheminement propre à chaque groupe, plus pertinentes sans doute sur les deux derniers débats que sur les premiers (à force d’entendre que les débats ECJS ne marchent pas, on finit par inhiber sa propre démarche, à refuser la prise de risques).

*Trois quarts d’heure effectifs de débat (une fois la salle mise en ordre, une fois effectuée la nécessaire mise en route – c’est une première pour moi comme pour les élèves-), c’est court. Pour trois des groupes, cela ne permet aucunement de conclure et d’épuiser le sujet. L’ensemble reste finalement très ouvert et donc insatisfaisant pour certains élèves.

* Ci-dessous, quelques éléments sur deux des débats.

 

CLASSE 1, groupe 1

10 avis positifs (satisfait, soulagé, intéressé, obstiné, méditatif, prudent, satisfait, perplexe, méditatif, optimiste, prudent) et  3 négatifs (en désaccord, déçu, ennuyé, indifférent, soulagé, ennuyé).

Un avis négatif (extrait) : dans l’ensemble, le débat s’est déroulé de façon peu percutante, voire inactive. Les personnes ayant pris part au débat restent en majorité les mêmes. Les intervenants manquent parfois d’objectivité sur leurs différents points de vue, faisant abstraction des réflexions énoncées précédemment, sans doute à cause d’une argumentation trop superficielle pour une séance ayant pris le nom contradictoire de débat ARGUMENTE (…) Voici donc un médiocre compte-rendu correspondant à un débat pour le moins décevant (c’est un début, restons optimistes).

Un avis positif (extrait) : le débat argumenté entre les élèves autour de la question « est-on un citoyen quand on est au travail ? Â» s’est, dans l’ensemble, bien déroulé. Pour cette séance, il y avait deux présidents volontaires, ce qui leur a permis de s’entraider. Le débat a démarré assez rapidement et pendant l’heure, il s’est dit de nombreuses choses. Ce sont tout de même souvent les mêmes élèves qui se détachent du lot et participent toujours. Pour débattre de la question, on a utilisé quelques documents que l’on avait étudiés auparavant (les prud’hommes, l’envers du décor,…). Mais on a aussi été plus loin en imaginant des situations concrètes pour nous aider et avancer un peu plus (…).

 

CLASSE 2, groupe 1

9 avis positifs (joyeux, intéressé, soulagé, méditatif, indifférent, satisfait, optimiste) et 5 avis négatifs (ennuyé, méditatif, navré, allez allez, déçu, anxieux).

un avis négatif (extrait) : aspect du débat très vivant car tout le monde parlait en même temps.(…) Le sujet « est-on un citoyen quand on est au travail ? Â» très vaste, dont la question est « a-t-on les mêmes droits et devoirs au travail ? Â». la réponse, au vu des travaux et du débat, négative. Tous les sujets d’ECJS ont été regroupés et discutés autour de la question sur le travail, mais le sujet et la question sur le sujet ont été oubliés pour laisser place à un débat sans intérêt qui n‘a été que survolé.

Un avis positif (extrait) : au niveau de la classe, forte participation des filles et aucune des garçons. Le sujet abordé est « est-on un citoyen quand on est au travail Â», c’est-à-dire avons-nous des droits et des devoirs ? Alors, oui, on a des droits et des devoirs. Toute personne a le droit de s’exprimer et de ne pas dévoiler les secrets professionnels…Pour la tenue vestimentaire, dans certains, secteurs, elles sont plus exigées que dans d’autres mais ce n’est pas un devoir mais plutôt une forme de politesse (…) on peut conclure que tout travailleur est un citoyen au travail avec des libertés réduites.

 

 

 

Copie de la feuille de route

 

Feuille de route pour la préparation du débat argumenté

« est-on un citoyen quand on est au travail ? Â»

 

Le débat argumenté n’est pas une compétition, il est un échange constructif entre personnes afin d’élucider une situation, une question réelle, ici « est-on un citoyen quand on est au travail ? Â».

La question de ce premier débat renvoie à votre future expérience professionnelle, à celle des gens que vous connaissez, à votre expérience de lycéen (qui est une forme particulière de travail non directement rémunéré). Elle n’est donc pas simplement théorique, mais fonctionne avec des situations réelles passées, actuelles ou à venir.

Le petit schéma ci-dessous permet de représenter des points de vue. Une même personne est à la fois individu avec sa vie privée, travailleur, consommateur et citoyen.

 

 

                                                           société

 

 


                                                                       citoyen

 

 


                                                                                                travailleur

                                                                                  vie

                privée

 

 

                                              

                                                                       consommateur

 

 

 

Quelle place la société accorde-t-elle à chacun des points de vue ?

Comment concilier des points de vue apparemment contradictoires ?

Est-on un citoyen quand on est au travail ?

Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ?

 

A vous de préparer vos questions, vos arguments !

N’oubliez pas toute la documentation accumulée depuis le début de l’année (et toutes les questions précédemment évoquées).

 

7. un bilan sur le débat argumenté, un relevé de conclusions

J’ai participé quatre fois de suite à ce débat. Il est évident que c’est un apport, les élèves ont co-construit avec moi ce qui pourrait s’appeler un relevé de conclusions sur la citoyenneté au travail (niveau seconde) dont voici le texte – ce relevé renvoie aussi aux deux séances du module « politique, gauche et droite en France Â» tenu pendant la période des débats argumentés, le droit du/au travail et la revendication d’une citoyenneté au travail relevant manifestant de la construction à la fois historique et contemporaine de ces notions.

 

« Est-on un citoyen quand au travail ? Â», relevé de conclusions.

D’un point de vue théorique, les citoyens disposent de droits inaliénables (théorie philosophique des droits naturels, droits garantis par la constitution en France) et ses droits ne peuvent être limités que par l’intérêt général, qui donne aussi des devoirs civiques aux citoyens.

Cela étant, le contrat de travail passé entre un employeur (qui veut réaliser des profits) et un salarié (qui recherche un travail rémunéré) est dérogatoire au principe général de la citoyenneté : c’est un contrat de subordination, de soumission en échange d’une rémunération (elle-même très variable selon les professions, les lieux, les époques), par lequel le citoyen abandonne certains de ses droits.

Il y a donc une certaine contradiction entre l’exercice  de sa citoyenneté et la signature d’un contrat de travail.

C’est la politique qui règle cette contradiction de la société. Le parlement et le gouvernement, sous la pression elle-même contradictoire des organisations de salariés (syndicats) et des organisations patronales, élaborent les lois et les règlements concernant le travail (code et inspection du travail, tribunaux spécialisés). La vie politique institutionnelle organise les conditions de travail depuis le haut.

Mais, en bas, dans chaque lieu de travail, le rapport de force entre l’employeur et ses salariés détermine largement les conditions de travail (culture de métier, grève, discussion, arrangement… ) et oriente les décisions de la classe politique.

Enfin, il n’y a pas que des conflits au travail, le travail est également un lieu de réalisation et de créativité personnelle, individuelle et collective. D’ailleurs, le travail n’est pas un devoir, c’est un droit. Tout citoyen a droit à un travail. Ce qui renvoie à l’injustice du chômage et à ses conséquences sur l’établissement dans les entreprises d’un rapport de force défavorable aux salariés (peur du chômage) rendant plus difficile l’exercice de sa citoyenneté au travail en période de chômage.

 

Ceci a été écrit de manière plus ramassée dans le compte-rendu d’une élève :

Au travail, on est souvent en équipe et quand un problème se manifeste, il faut s’entraider. Ainsi, on a constaté qu’il fallait reformuler l’intitulé du débat et le remplacer par « sommes-nous des citoyens quand nous sommes au travail ? Â»

Une autre (co-présidente) écrit :

Je pense que c’est dommage que les autres élèves n’aient pas participé, car je suis sûr qu’ils ont de bonnes idées, on en a parlé après. Dommage, nous n’avons été que sept à parler.

 

8. réception des jugements des affaires observés au conseil des Prud’hommes à l’automne 2001.

J’en profite pour remercier les agents et juges du tribunal qui nous ont accueillis puis transmis les documents demandés. Les jugements se présentent de la manière suivante :

D’abord cette en-tête « république française, au nom du peuple français Â» puis la date et l’identité des deux parties (demandeur et défendeur), la composition du bureau de jugement, les éléments de procédure et les demandes formulées par les parties. Ensuite vient le texte issu du conseil lui-même, à savoir l’exposé des faits, les dires et les prétentions de la partie demanderesse, les dires et les prétentions de la partie défenderesse, la discussion par les juges relative à la qualification des faits et aux demandes s’y rapportant. Cette dernière discussion examine chaque point très précisément et donne la décision du tribunal par rapport aux demandes des parties. La fin du jugement « par ces motifs Â» reprend sous une forme brève les décisions du tribunal et les montants éventuels (en chiffres et en toutes lettres) et les modalités d’exécution. Une affaire d’envergure moyenne peut ainsi  recevoir un jugement de plus de 10 pages.

Je photocopie un des jugements pour lecture par binôme d’élèves, dans chacun des groupes d’ECJS. La lecture directe s’impose, le jugement reste très clair, très lisible. Les élèves sont plus habiles qu’on ne le croit.

Un exemple d’affaire de la section encadrement :

Plainte d’un responsable d’agence d’intérim à rémunération très élevée (le demandeur a déjà eu recours avec succès au tribunal pour obtenir le versement d’un complément de salaire dû par l’employeur, mais non versé), licencié pour insubordination, comportement agressif et dénigrement de sa société, pendant la phase de restructuration de celle-ci, suite à une fusion : le tribunal dans sa discussion observe que la société n’apporte aucun élément de preuve venant étayer ses affirmations, surtout compte-tenu de l’ancienneté du demandeur dans son emploi (absence de réaction et de sanction antérieure), conclut que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et qu’il est donc abusif. Le tribunal ordonne le versements des sommes dues à la simple requalification du licenciement (après examen des revenus moyens du demandeur), condamne le défendeur aux dépens (frais de justice), à rembourser à l’ASSEDIC les indemnités de chômage versées précédemment au demandeur, à verser des dommages-intérêts pour licenciement abusif, soit une somme totale à verser au demandeur de plus de 64 000 euros (421 557 francs)

Evidemment, comme chez les assureurs (dans le remboursement des préjudices subis, dans l’estimation des pertes d’espérance professionnelle – où les résultats scolaires des enfants, l’itinéraire scolaire probable sont pris en compte, d’où des indemnisations socialement différenciées), les sections employés ou divers ont beaucoup moins de zéros dans leurs jugements : un employé d’une déchetterie dans une affaire proche (le défendeur apporte une preuve peu circonstanciée et non conforme aux nouvelles dispositions du code de procédure civile et il n’ y a pas, hors un avertissement oral, de reproches antérieurs à l’affaire en cours), affaire dans laquelle on tient compte aussi de la situation familiale (demandeur célibataire tuteur de sa petite sÅ“ur) pour apprécier les conséquences du licenciement et les dommages-intérêts, ne touche finalement que 4712 euros (30 908 francs). L’accent est mis aussi sur la fourniture par l’ancien employeur de certificats et attestations « rectifiés Â» sous astreinte financière. Le défendeur est, en outre, condamné à rembourser au Trésor public la totalité des sommes exposées par l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle dont a bénéficié le demandeur.

Au cours de cette séance, outre la question sérieuse du formalisme juridique et de ses limites, sont discutées (en reprise du débat pour certains groupes) les alternatives au tribunal en matière de conflit du travail : dialogue social avec ses instances régulières (atones dans certains secteurs : on pense aux PME), organisation collective (syndicats), rapport de force (les diverses formes de la grève, le rapport à l’autorité, la culture anti-hiérarchique), rôle du politique comme tiers (négociateurs), itinéraires personnels (démission, reconversion, etc.).

 

8. Le droit du travail sera-t-il bientôt…hors la loi ?

Ainsi débute le passionnant dossier du « Monde de l’Economie Â» du mardi 12 mars 2002 (7 articles sur trois pages) que je vous invite à lire.

Faudra-t-il alors supprimer l’ECJS ?

Pourtant, alors même que j’écris la fin de ce compte-rendu, le scandale des notations 4 chez IBM France fait rage….

(Le Monde, samedi 23 mars 2002, Les mal notés : « Le Monde Â» a collecté les témoignages de nombreux salariés du groupe informatique s’estimant victimes d’un système de notation interne particulièrement arbitraire, destiné à leur faire quitter l’entreprise.)

 

Frédéric Barbe (frederic.barbe@laposte.net )


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