Dit au cœur de la banlieue.
Minguettes novembre 2005.
La violence d'une partie de la
jeunesse des banlieues est légitime, nécessaire et saine.
Cette violence est légitime
parce qu'elle est à la mesure de la somme inouïe des violences sociales subies
par cette jeunesse, génération après génération, depuis 30 ans.
Cette violence est à la mesure
du refus d'entendre cette voix par tous ceux à qui elle était adressée. Pendant
des dizaines d'années il y a eu une volonté systématique d'étouffer,
de déformer l'expression
pacifique qui n'a jamais cessé de se manifester.
Cette violence aujourd'hui
n'est ni gratuite ni insignifiante ni délinquante.
Elle dit des choses
essentielles aujourd'hui pour la vie des populations des quartiers d'habitat
populaires et à partir de là pour la société toute entière.
C'était le seul recours pour se
faire entendre. C'est la violence des oubliés qui se manifestent avec rage
parce que en face on veut les oublier et les faire taire.
Cette violence est saine parce
qu'elle ne vise pas à maintenir l'injustice et le désordre social ; elle
n'est pas le fait d'une minorité privilégiée qui veut préserver ses privilèges.
Au delà des apparences
trompeuses, cette jeunesse qui se manifeste depuis quelque jours, est en lutte
contre l'injustice fondamentale de cette société.
Elle exprime un immense désir
de vivre dignement, autrement que dans l'absence d'avenir.
Cette jeunesse des quartiers
populaires est courageuse, révoltée et très désespérée.
Le temps est venu de dire cela
publiquement, à haute voix, avec courage si on veut réellement prendre la
mesure de la situation et être à la hauteur de ce qui se passe dans les
banlieues.
Voilà ce qu'il faut affirmer
aujourd'hui, sans préalable et sans se laisser intimider, si on veut être entendu
par ces jeunes qui se sont révoltés parce qu'il n'avait pas d'autre issue pour
faire entendre leur désespoir et et leurs espoirs.
Il faut oser affirmer cela
parce que la révolte spontanée et pourtant si ample de ces jeunes est un signe
pour la population des quartiers : le temps de subir, de se faire
insulter, de se laisser diviser est passé. Quelque chose commence qui s'appelle
l'espoir et nous le devons à ces jeunes sans espoir.
Nous connaissons bien tous ces
responsables qui parlent soudain de paix, qui appellent à la fin des violences
et au retour à l'ordre. Pendant des années, pour des raisons électorales, ils
ont fait de la surenchère dans le sécuritaire ; ils ont jeté de l'huile sur le
feu pour dresser les habitants des quartiers, attisant les conflits, profitant
de toutes les occasions pour propager l'intolérance, salir les richesses de nos
cultures diverses, de nos valeurs.
Nous n'appellerons pas au calme
avec eux parce que les quartiers connaissent bien ce « calme », celui
de l'abandon, du découragement, de la mise à l'écart.
Nous ne dirons pas un seul mot
pour appeller au calme.
Parce que le calme que nous
voulons ne peut être que celui que la population des quartiers obtiendra en
mettant fin aux violences policières provocatrices. Le calme que nous voulons
ne peut naitre que du débat incessant et intense : une prise de parole
directe, vivante comme savent le faire ceux qui en sont privés. Le calme que
nous voulons avec tous les habitants des quartiers ne sera pas le calme de la
soumission.
La répression policière, la
justice d' exception et le quadrillage n'ont jamais rien réglé,
ni ici ni ailleurs.
Le calme que nous voulons ne
reviendra que lorsque la population des quartiers, si semblable dans la
souffrance, dans le courage, dans la ténacité et dans la générosité, mais aussi
si diverse, si multiple et si contradictoire, fera taire elle-même les discours
de haine et de division que tiennent tous ceux qui veulent nous maintenir
dans l'impuissance à changer ce monde
pour nous et nos enfants.
Qu'ils soient de droite ou de
gauche, nous les connaissons bien ceux qui nous insultent dans leurs mairies ou
dans leurs ministères en disant que nous sommes des assistés, des poids morts,
et qu'il faut nous répartir un peu partout comme un rebut dangereux ; ceux qui
accusent les familles qui ont si peu quand eux-mêmes s'accordent tout et
s'excusent tout ; ceux qui commencent à raser nos quartiers pour ne plus nous
entendre, pour ne plus nous voir, si près de leur petit monde égoïste et
peureux ; ceux qui aujourd'hui s'indignent de la violence des jeunes alors que
eux-mêmes se sont tus et ont été complices des violences policières des
humiliations et même de la mort de jeunes pendant des années.
La population des quartiers
n'attend plus rien depuis longtemps de tous ceux là , et leurs petites disputes
complices sont dérisoires. Il est à craindre que le retour à ce qu'ils
appellent l'ordre républicain ne soit le retour à leurs vieux discours, avec en
prime la haine suscité par la peur.
Peu importe.
A partir de maintenant dans nos
quartiers doit se manifester une parole publique organisée, se développer le
dialogue entre tous et sur tout, pour faire entendre nos besoins,nos projets
dans tous les domaines.
Personne ne doit plus décider
pour nous, sans nous, contre nous sans courir le risque de nous retouver en
face.
La politique de rénovation
urbaine et le prétexte de la mixité sociale, présentées maintenant comme des
remèdes miracle, sont au contraire les éléments qui préparent tôt ou tard de
nouvelles explosions.
Mais depuis quelques jours la
banlieue a cessé d'être un enjeu pour les "autres " ou un prétexte Ã
gesticulations électorales ; elle est devenue un acteur. Et nous le devons Ã
cette révolte.
Michel Ganozzi.