pour imprimer le texte
Il y a quelque chose de positif dans l’évolution de l’opinion à propos du projet de Traité constitutionnel : bien des électeur

 

 

TRAITE  CONSTITUTIONNEL : OUI OU NON ?

 

 

Il y a quelque chose de positif dans l’évolution de l’opinion à propos du projet de « Traité établissant une constitution pour l’Europe Â» (TCE) : les citoyens annoncent plus facilement leur choix, ou leur hésitation, que pour d‘autres scrutins, bien des électeurs se déterminent indépendamment des positions officielles de leur parti de référence (sinon d’adhésion), un choix personnel donc et non un réflexe. Mais il faut tempérer  cette affirmation. Les choix sont encore largement pré-déterminés : si ce n’est pas par la position d’un parti, c’est par la force de certains préjugés qui transcendent les partis. Et l’éventualité de scissions durables ne peut être exclue, et avec elle l’aggravation du morcellement de la gauche (je me tourmente peu du morcellement de la droite) alors qu‘on ne voit pas clairement aujourd’hui s’il existe une personnalité capable d’opérer un rassemblement comme cela s’était fait dans les années 1970 autour de Mitterrand[1]. Les partis et groupes du Non de gauche ne forment pas une coalition capable de produire un programme alternatif viable et encore moins de le mettre en Å“uvre en cas de succès électoral[2].   

 

Quelques considérations périphériques

 

- le texte est très long, verbeux, « monstrueux Â» (Le Goff). Il mélange les (projets de)  décisions, les bons sentiments  et les vÅ“ux qui n’engagent pas. Il n’a pas fait l’objet d’une explication claire en direction de l’opinion, à qui on n’a pas bien dit qu’une grande partie du texte (surtout la partie III) n’est que le rassemblement de textes déjà signés et qui donc, même si le TCE est rejeté, continueront à s’appliquer : or la majorité des critiques portent sur cette partie III. C’est la limite du référendum : cette procédure n’est démocratique que si la question est simple, si on peut lui répondre par  Oui ou Non. Ainsi, on pourra demander (plus tard !) : Voulez-vous que la Turquie entre dans l’Europe ? parce que la réponse est simple ; tandis que  l’on peut être d’accord avec tels articles du TCE et en désaccord avec tels autres articles, et être embarrassé pour décider ce qui est le plus important et doit commander le choix final.  Le référendum est un piège, qui risque d’ailleurs de perdre celui qui l’a tendu.  

 

-  mais la plupart des grands choix simples ont été faits depuis parfois  plusieurs décennies, et  le nouveau texte ne pouvait qu’être complexe. Toute réduction en slogans serait  une mystification.

 

- une mystification qui permet tous les travestissements. Ainsi, j’ai vu sur Internet un amusant diaporama « Testez vos connaissances… Â»[3]. Il reprend des distinctions byzantines entre droit de travailler et droit au travail (en oubliant que le premier est celui de chaque individu  tandis que le second interpelle chaque Etat), entre droit de se loger et droit au logement (en oubliant l’aide au logement, 94-3), il stigmatise l’absence du mot « fraternité Â» en oubliant que le mot « solidarité Â», plus concret,  est présent dès l’article 2 qui liste les valeurs de l’Europe.  Et surtout il a une lecture sélective de certains articles : c’est une lecture biaisée de l’article 3 (« l’Union Å“uvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix Â»)  que de lui faire dire « la priorité de l’Union c’est la lutte contre l’inflation Â» ; lecture biaisée aussi de l’article 41-3 qui ferait à chaque pays « obligation d’augmenter son budget militaire Â» (il est écrit : « améliorer progressivement les capacités militaires Â») ; sur l’article 6, on frise la manipulation en écrivant que « la Constitution prime le droit des Etats membres Â» sans ajouter « dans l’exercice des compétences qui sont attribuées à l’Union Â», attribuées par… les Etats membres. La laïcité n’est pas mentionnée dans l’article 2, mais le pluralisme et la tolérance le sont, et sont d’ailleurs plus faciles à définir que la laïcité ; on affirme que « la constitution édicte le statut des Eglises Â», alors qu’il est écrit (52) que « l’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises Â» : ce n’est pas la même chose. L’article 70  sur la liberté de pensée ne fait que reprendre la Convention européenne des droits de l’homme, déjà reprise en 9-2. Quant à la liberté de créer des établissements d’enseignement (74), qui est de valeur constitutionnelle en France, elle s’exerce « selon les lois nationales Â». Mais, pour la Libre Pensée, le projet « est une véritable machine de guerre contre la laïcité Â».

 

- il y a d’autres mensonges, qu’on ne peut pas tous mettre sur le compte d’une lecture rapide. Ils visent bien à faire peur. Ainsi à propos de l’IVG, qui serait désormais interdite : « Toute   personne a droit à la vie Â» (62), cela n’indique pas à partir de quand le fÅ“tus est considéré comme une personne, et ne modifie pas la législation française sur ce sujet (112-6). La Convention européenne des droits de l’homme n’a pas fait obstacle à cette législation, et  le 112-3 dit expressément que les droits que cette Convention garantit  sont garantis aussi par le TCE.  De même, on veut faire croire que le TCE met à mal la notion de service public : querelle sémantique à nouveau sur le sens de l’expression « service d’intérêt économique général Â», et surtout mauvaise lecture du 122 [4] qui distingue les compétences respectives des Etats et de l’UE (principe de subsidiarité, 11-3) et du 166-2, qui prévoit l’exemption de concurrence si celle-ci faisait « Ã©chec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière impartie Â» à ces services publics [5].

 

- la complexité du texte explique facilement que l’on regarde ce qu’en disent des personnalités que l’on respecte ou que l’on critique : voter serait alors soutenir Chirac et Raffarin ou les rejeter (souhaiter les rejeter ; mais le président, qui n’a pas le panache de De Gaulle, a dit qu’il resterait de toutes façons), soutenir Hollande ou encourager Besancenot. L’argument n’est pas très solide, tant les camps sont hétérogènes : voter avec Chirac, Bayrou, et Giscard, mais aussi avec Delors, Badinter, Rocard, Jospin, Gilles Martinet, et un grand nombre de responsables syndicaux français et européens, dont Edmond Maire, avec Jorge Semprun, Patrick Viveret, avec de grands scientifiques comme Charpak, de Gennes, Coppens, Jacques Le Goff ou Edgar Morin [6], ou avec l’abbé Pïerre [7]; voter avec Fabius et Buffet, mais aussi avec Le Pen, Pasqua, Villiers, Chevènement, Besancenot, Laguiller, et quelques autres responsables syndicaux, sans oublier à leurs côtés Jacques Calvet, le très libéral ancien PDG de PSA-Peugeot-Citroën. Mais l’argument est commode dans une polémique…

 

- plus élaboré, l’argument qui rassemble tous les sujets de mécontentement des Français, et ils sont nombreux, du chômage aux retraites et aux inégalités monstrueuses, de la loi Fillon aux délocalisations, des dates d’ouverture de la chasse au calibre des poissons à pêcher, du lundi de Pentecôte aux difficultés des buralistes dans les régions frontalières, etc. Le show Chirac à la télévision n’a pas seulement permis de constater, s’il en était besoin, combien le président était loin des préoccupations des jeunes, il a montré aussi que ces préoccupations étaient loin de l’Europe : le tri sélectif des déchets, le  statut des artisans coiffeurs, les droits des homosexuels, etc. sont  certes des questions importantes, mais elles relèvent de législations nationales. On a vu là les conséquences d’un déficit d’information et de pédagogie sur ces questions.  

 

- même si la question ne se posera pas avant au moins dix ans et si elle sera soumise à référendum, l’opposition à l’adhésion de la Turquie est présente dans bien des esprits, liée chez beaucoup à une islamophobie plus ou moins avouée, souvent doublée d’une confusion entre Turcs et Arabes.  Le Pen et De Villiers enfoncent  le clou  de  la peur irrationnelle de l’immigration, qu’elle vienne du Sud de la Méditerranée ou de l’Europe de l’Est. Cela évite à d’autres de le faire, mais ne soyons pas dupes.

 

- enfin, le souverainisme, le refus plus ou moins total de l’idée même d’Europe, reste vivace, et pas seulement dans une certaine droite. Il se mâtine peut-être de nationalisme discret, chez ceux qui voulaient bien d‘une Europe dominée par la France (ou le tandem France-Allemagne) mais qui supportent mal que la France ne soit plus qu’un Etat sur  25, au même plan que Malte ou Chypre.

                                         

Une Europe libérale

 

Si on regarde maintenant le fond du sujet, on voit que, curieusement, les débats les plus vifs portent sur la partie III, qui comme on l’a dit est surtout composée de mesures déjà prises, et non sur les parties I et II, qui sont nouvelles et permettent une réelle avancée de l’Europe.

Il s’agit du libéralisme.  Deux remarques ici.

 

D’abord, on peut le déplorer, mais la majorité des pays européens ont des majorités libérales (et même, quand elles ne le sont pas, on les soupçonne de l’être de façon camouflée). Y compris la France. On ne peut pas ne pas évoquer l’élection de 2002 qui a installé au pouvoir Chirac et Raffarin ;  pas le second tour de la présidentielle, qui a conduit un grand nombre de gens de gauche à voter Chirac pour éviter Le Pen, mais bien le premier tour, qui justement a mis en deuxième position Le Pen et non Jospin comme on pouvait s’y attendre. Pourquoi ?  ceux  qui ont voulu donner un avertissement à la gauche de gouvernement  à qui ils reprochaient de ne pas être assez à gauche et une grande partie de ceux qui se sont abstenus ne voulaient sans doute pas la victoire de Chirac ; mais ils en sont bien une des causes, à côté de ceux qui persistent à gaspiller leurs voix pour des candidats qui ne savent qu’être  protestataires et qui gaspillent leur militantisme en cultivant les rivalités entre groupuscules.

 

Ensuite, qu’est-ce que le libéralisme, et est-ce bien de lui qu’il est question  dans le TCE ?  

On met en avant l’expression « concurrence libre et non faussée Â» (3-2) -  que l’on trouvait déjà dans le Traité de Rome en 1957 -  et on évoque alors un monde de concurrence forcenée,  [8] sans souci des travailleurs (nombre d’emplois et conditions de travail) ni des consommateurs (dont la publicité et les médias, souvent aux mains des monopoles, ligotent à leur insu la liberté de choix). Mais on oublie l’expression « Ã©conomie sociale de marché Â» (3-3), qui « tend au plein emploi et au progrès social Â», ce qui encadre et limite la concurrence par la législation sociale ; il ne s’agit donc pas de ce libéralisme sauvage, dont on connaît les méfaits.

L’alternative est-elle une économie totalement administrée et bureaucratisée, genre économie soviétique ? on sait dans quel état des décennies de ce régime ont laissé aussi bien l’URSS que les « démocraties populaires Â», la Chine maoïste ou, aujourd’hui encore la Corée du Nord et Cuba ; on sait que leur fermeture s’est toujours accompagnée de totalitarisme. Le problème, la difficulté, c’est  de parer aux « dégâts du progrès Â», pour reprendre le titre d‘un livre publié jadis par la CFDT, et donc de définir et de mettre en oeuvre la responsabilité de l’Etat, supposé démocratique, dans la marche de cette économie « sociale Â». C’est de prévoir et d’accompagner les mutations, par exemple celles qui sont dues au développement des échanges entre pays où les niveaux de productivité et les conditions sociales sont très inégaux[9]. Ce ne sont pas les préoccupations dominantes de ceux qui trouvent le TCE trop peu libéral, comme  Madelin. Ceux qui s’y opposent parce qu’il est libéral ne sont pas très  clairs sur la question des échanges de marchandises, préférant concentrer leurs attaques sur celle des échanges de services. Enfin, quand on met en avant comme récemment la montée rapide des importations de textiles chinois, on se garde d’ajouter que la levée des quotas était annoncée depuis longtemps et que beaucoup d’entreprises (et de ministres) n’ont rien fait pour s’y préparer, qu’elle s’accompagne d’une baisse des prix[10], et enfin que les Chinois nous achètent - entre autres - des Airbus, entreprise européenne ; même dissymétrie dans l’indignation à propos d’autres importations, intra- ou extra-communautaires en oubliant la balance favorable des échanges agro-alimentaires. On comprend que les travailleurs  d’un secteur déterminé soient inquiets quand les échanges menacent les emplois dans ce secteur, mais le rôle des responsables économiques et politiques est bien de préparer les mutations et les reconversions indispensables et non de vouloir perpétuer des situations dépassées en s’abritant derrière des protections réglementaires. Bien sûr, s’il s’agit de dénoncer les rentes de situation, les inégalités salariales, les parachutes en or des dirigeants,  de déplorer que les mutations pèsent plus sur les petits que sur les dirigeants, on sera facilement d’accord ; mais cela ne suffit pas à définir une politique économique offensive, et cela n’est pas lié à l’Europe. Un « niveau d‘emploi élevé Â» fait partie des objectifs  tant des Etats membres (204-2) que de l’Union elle-même (205). 

  

Autre grief : la Banque centrale européenne est indépendante de la Commission ou du Conseil. Cela rend difficile l’utilisation de la monnaie pour soutenir une grande politique, économique ou  sociale ; mais, symétriquement, on ne doit pas oublier les ravages qu’une inflation incontrôlée a entraîné dans certains pays, y compris en France il n’y a pas si longtemps, ni que la victoire sur l’inflation reste fragile, ce qui interdit certaines facilités de court terme. On se gardera donc d’utiliser trop rapidement cet argument.

 

Il faut regarder de plus près la difficulté – qui n’est pas seulement celle des Français – à prendre en considération  en même temps le point de vue national et le point de vue de l’ensemble. C’est très net dans l’agriculture, où le solde des échanges est positif, mais avec des succès pour tel produit et concurrence difficilement soutenue pour tel autre. Dans l’industrie, on vient de voir les difficultés du textile français et en même temps les succès de l’Airbus ; l’imprévoyance des industriels (et des pouvoirs publics sans doute) ne doit pas servir à justifier un repli protectionniste. Mais les problèmes les plus difficiles se posent dans les services, qui représentent 45 % du PIB français contre 19 % pour l’industrie, et dont, on se garde bien de le rappeler, le solde des échanges est lui aussi positif. D’où la fixation sur non pas la directive mais le projet de directive Bolkestein.

Surtout, encore une fois, l’essentiel de la partie III du TCE est déjà acquise, et son contenu ne serait pas remis en cause si le traité était rejeté.

 

Une Europe politique

 

Par contre, les parties I  et II seraient annulées. Or elles apportent du neuf, un pas vers l’affirmation d’une Europe politique, qui aurait une personnalité juridique davantage visible et forte en face des autres poids lourds que sont les Etats-Unis, la Chine et le Japon,  et demain l’Inde : prendrons-nous le risque d’affirmer devant ces pays que l’Europe préfère rester divisée ? J’ai lu attentivement le texte d’Etienne Chouard, qui circule beaucoup. Il inspire le respect, mais il ne me convainc pas. Il ne voit pas bien que le TCE est un objet juridique d’un genre nouveau, pas seulement un traité, pas tout à fait une  constitution ; c’est parce qu’il est traité qu’il n’est pas « neutre Â» et qu‘il répond à des objectifs ; mais au fond, et quoi qu’en dise Chouard, n’est-ce pas le cas aussi d‘une constitution, qui ne naît jamais que dans un contexte politique déterminé, même si elle est susceptible par la suite de diverses inflexions ?  En regrettant que le TCE n’ait pas été rédigé par une Constituante élue à ce seul effet, il ne voit pas que ce qui est nécessaire et possible à l’échelle d‘un seul pays ne fonctionnerait pas à celle de 25 pays aussi différents dans leurs traditions et leur culture politiques que les 25 Etats européens ; sur quelles bases serait-elle élue, sur quels programmes ? Enfin, en dénonçant « la confusion des pouvoirs Â»Â  et en déplorant que « le Parlement ne (puisse) pas renverser le Conseil des ministres Â», il ne voit pas que ce Conseil n’est pas le conseil des ministres de l’Europe, mais une seconde chambre, formée d’un ministre de chaque état[11], exerçant, « conjointement avec le Parlement, les fonctions législative et budgétaire Â» (23-1)[12]. On critique la bureaucratie bruxelloise en tant qu’irresponsable politiquement (et en tant que bureaucratique aussi…) : le rôle du Parlement européen, émanation du suffrage universel, est renforcé, on va vers un gouvernement identifiable et responsable devant le Parlement. Si cette Europe est  à tendance « libérale Â», c’est parce que les électeurs le sont eux-mêmes majoritairement ; le combat pour une meilleure orientation passe par des programmes convaincants et efficaces, et non par le rejet du TCE. Les garanties sociales sont maintenues, voire augmentées. Les contre-pouvoirs, les syndicats notamment, sont consolidés. Les droits  fondamentaux de l’homme sont réaffirmés et élargis, et, lorsque dans tel pays ils sont supérieurs à ceux que proclame le TCE (ou la Convention européenne), ils y restent en vigueur. Ceux qui affirment le contraire ou bien sont de mauvaise foi ou bien lisent de travers.  En matière sociale, où les législations sont très inégales d’un pays à l’autre, il y a une clause de non-régression : là où le droit national est plus favorable que le droit communautaire, c’est lui qui continue à s’appliquer ; on peut penser aux  35 heures.   

 

Et, pour le nationaliste qui subsiste dans bien des gens de gauche, la place de la France, son poids dans les instances, sont nettement améliorés.

 

 

 

Renégocier ?

 

Tout cela ne suffit pas à donner un souffle héroïque au texte. Cela ne suffit pas à faire oublier les faiblesses, les lenteurs, les frilosités de l’Europe. Mais il ne faut pas oublier non plus les progrès qu’elle a accomplis ou permis, l’amélioration du niveau de vie en général, et en particulier dans les pays de l’Est au sortir d’une longue hibernation, comme ce fut le cas avant eux pour les pays du Sud,  le développement des contacts, notamment entre les jeunes, garants de paix, la paix maintenue à l’intérieur de l’Europe depuis soixante ans, à quelques frictions près[13].

Tout cela serait compromis par un rejet du traité. Au niveau global, ce serait au profit de l’emprise des Etats-Unis sur certains pays européens et globalement dans le monde. Au niveau français, ce serait l‘affaiblissement de la gauche, du moins la gauche capable de gouverner, à l’approche de 2007, au profit d’une gauche de gesticulation, d‘incantation, de surenchère sans fin et finalement d’impuissance. Et, en attendant 2007, Chirac toujours en place.

 

Certains veulent écarter ces prévisions pessimistes en disant qu’un rejet du traité n’entraînerait qu’une renégociation ; cette idée est d’une « naïveté criante Â», vient de dire le président en exercice du Conseil européen. C’est faire preuve de suffisance à l’égard des autres états : rien ne peut les obliger à lancer une nouvelle, et longue, (re)négociation ; cette éventuelle renégociation se tiendrait en tous cas dans un climat défavorable à la France qui aura fait capoter l’entreprise [14] et compromettrait le poids que le TCE dans son état actuel lui donne dans les instances. Le plus vraisemblable est qu’il n’y aurait pas de changements dans la façon dont fonctionne l’UE, si ce n’est que plusieurs pays, notamment à l’Est, seraient  tentés de profiter de la circonstance pour se lier davantage aux Etats-Unis.  D’autres, ou les mêmes, déplorent que le TCE ne puisse être révisé qu’à l’unanimité des pays membres : mais c’est le propre d’un traité entre Etats souverains ; l’alternative est la dénonciation unilatérale de ce traité par un ou plusieurs de ses signataires, avec tout ce que cela implique au plan diplomatique. Enfin, bien des points sont renvoyés à des décisions ultérieures, ainsi des procédures de l’initiative citoyenne et notamment du nombre de pays dont devront émaner les proposants (47-4) : le contexte politique jouera évidemment à ces occasions.

 

¤¤¤

 

Assurément, le TCE présente des ambiguïtés et  des lacunes ; mais  il ne pouvait pas tout dire, et il faut laisser aux esprits le temps d’évoluer dans chaque pays pour rapprocher les points de vue et les pratiques ; on ne peut pas imposer à tous nos partenaires le rythme très volontariste, parfois prétentieux,  de certains militants. Assurément la procédure référendaire est inadaptée au sujet, mais elle est en route. Assurément on aurait envie de sanctionner le promoteur du texte en France, mais ce n’est pas l’occasion. On serait tenté de voter Oui mais, en insistant sur le mais…. Mais c’est impossible, et s’abstenir pour cette raison c’est laisser le champ libre à l’agrégat incohérent des partisans du Non.

 

Par contre, quand le référendum sera passé, et quel qu’en soit le résultat, il faudra peut-être  devenir sérieux en pensant à 2007.

 

Jacques George                                                                   4 mai 2005



[1] Les réserves que l’on peut formuler sur l’évolution de celui-ci par la suite sont un autre sujet.

[2] Imaginons une large victoire du Non ; la logique, à défaut de la loi, demanderait un changement de gouvernement. Vous voyez  Villiers à Matignon,  Besancenot à  Bercy et Mélenchon à l’Intérieur ?

[3] Il ne l’indique pas, mais il émane de syndicats  CGT et Sud.

[4] Article particulièrement alambiqué il est vrai.

[5] Je n’exclue pas qu’il puisse y avoir  des assertions biaisées, voire mensongères,  dans des textes favorables au Oui ; mais pour ma part je n’en ai pas vu.

[6]  Etre auteur à succès, Prix Nobel, grand physicien ou préhistorien, n’implique pas nécessairement   une clairvoyance particulière en politique ou en économie ;  cela ne l’exclut pas non plus. Mais un médiéviste comme Le Goff sait ce qu’a été l’Europe ; et bien entendu  Edgar Morin, signataire de l’appel des scientifiques du 26 avril,  peut analyser la complexité de la question.

[7] Qui  a la simplicité de dire que, quand on ne se sent pas très compétent sur un sujet, on prête attention à l’avis de quelqu’un en qui on a confiance sur le même sujet, ici pour lui Jacques Delors. L’avis de Johnny Hallyday ou de Line Renaud m’impressionne moins… 

[8] Remarquons  que des professions comme les pharmaciens ou les notaires, qui ne semblent pas particulièrement peuplées de gauchistes ou de socialistes, sont soigneusement prémunies contre la concurrence (nombre d’établissements, tarifs). Et si je lis bien le 141-2, cela n’est pas menacé par le TCE.

[9] PIB par habitant, 2004 :  26 300 euros en France,  5 100 euros en Pologne.

[10] Même si cette baisse est très inférieure à ce qu’elle pourrait être,  une grande partie d’entre elle étant confisquée au passage par les intermédiaires et les distributeurs. Mais c’est un autre sujet.

[11] Comme le Sénat américain qui comporte  deux membres par Etat, quelle que soit leur population.  Dilemme pour les démocrates : faut-il privilégier le nombre d’habitants, faut-il traiter également un pays comme Malte et un pays comme l’Allemagne (400 000 et  80 000 000 d’habitants), faut-il combiner les deux formules ?

[12] On peut objecter le 18-1, qui donne au conseil des ministres un rôle exécutif en cas de situation imprévue. On voit là le caractère inédit du TCE, où les distinctions classiques demandent peut-être un réexamen.

[13] Irlande du Nord,  Chypre. La Serbie n’est pas dans l’UE.    

[14] Devenue  alors ce Â« mouton noir Â» dont a parlé Chirac.


pour imprimer le texte


Haut de la page


COPYRIGHT 2002-2021 Bernard Defrance - tous droits réservés