pour imprimer le texte
OCR Document

 

 

 

Un accident et ses suites...

 

 

Lundi 18 octobre 2004, 16 heures 40 :

 

Je roulais tranquillement dans la rue Conrad-Adenauer à Rosny-sous-Bois, avec la voiture de mon grand frère, une Volkswagen de type Polo. Je roulais aux environs de soixante km/h, quand je suis monté sur une chicane placée au milieu de la voie et que je n’avais pas vue. Elle a dû faire un effet de tremplin et la voiture a dérapé, zigzagué, sur une trentaine de mètres et est venue s’encastrer dans la clôture en grille d’un collège. Au point où s’est arrêtée la course de la voiture, la vitesse était bien limitée à 30 km/h, mais la voiture avait commencé à déraper sur cette chicane bien avant, et je n’avais vu aucun panneau limitant la vitesse avant la chicane.

 

La voiture était fortement accidentée, j’ai pu en sortir tout seul, sous le choc. Je me suis assis sur le trottoir, terrorisé, impressionné en regardant la voiture. Je pleurais dans les bras d’un homme qui essayait de me consoler. J’avais déjà eu un accident de scooter à l’âge de 14 ans, et j’avais fait très peur à ma mère, une femme très sensible et qui m’aime beaucoup. C’est d’ailleurs le premier réflexe que j’ai eu : appeler ma mère pour la rassurer, lui dire que tout allait bien, qu’elle ne devait pas s’inquiéter. Il n’y avait aucun blessé, que des dégâts matériels, à la voiture et à la barrière du collège.

 

Un quart d’heure après, j’ai entendu la sirène des pompiers qui arrivaient : j’étais soulagĂ©, parce que j’avais très froid, j’avais mal au petit doigt de la main droite et au torse (je crois que c’était dĂ» Ă  la ceinture de sĂ©curitĂ©). Les pompiers m’ont interrogĂ© sur mon Ă©tat, je leur ai indiquĂ© ces douleurs. Les policiers sont arrivĂ©s ensuite. On m’a fait un test d’alcoolĂ©mie, j’ai soufflĂ©, il n’y avait rien, le test Ă©tait nĂ©gatif. D’ailleurs, je ne bois jamais, je ne fume pas, et en plus ce jour-lĂ  je faisais le Ramadan. Les pompiers ne m’ont pas proposĂ© d’aller Ă  l’hĂ´pital, et les policiers m’ont dit qu’ils allaient m’emmener au commissariat : ça m’a semblĂ© bizarre ; je pensais plutĂ´t Ă  attendre une dĂ©panneuse et faire la dĂ©claration Ă  l'assurance ! Mais de toute façon la voiture n’était assurĂ©e qu’au tiers… Un policier a alors fait un appel Ă  tĂ©moins : « Tous les tĂ©moins se mettent de ce cĂ´tĂ©. » J’ai alors vu trois personnes, dont ce gentil monsieur qui avait essayĂ© de me consoler. J’en ai entendu un dire que je roulais Ă  70/80 km/h et mon consolateur (si je puis dire) le contredire : « Mais non, voyons ! Il n’était pas Ă  plus de soixante ! » Après avoir rĂ©pondu aux questions du policier, il m’a laissĂ© son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone en me disant d’appeler s’il y avait un problème.

 

Alors je me suis senti humiliĂ© parce que les policiers m’ont mis les menottes, dans la rue, devant tout le monde, et j’ai Ă©tĂ© conduit au commissariat. Il Ă©tait alors 17 heures. Je pensais que j’allais ĂŞtre auditionnĂ©, puis relâchĂ©. Mais, une demi-heure après, un officier m’a appris que j’étais placĂ© en garde Ă  vue. Je ne comprenais plus : encore en Ă©tat de choc après cet accident, ce policier en rajoutait ! J’ai demandĂ© pourquoi cette garde Ă  vue, et il m’a rĂ©pondu : « Mise en danger de la vie d’autrui. » Il a pris les renseignements sur mon identitĂ©, et j’ai Ă©tĂ© obligĂ© de me dĂ©shabiller entièrement pour ĂŞtre fouillĂ©, j’étais sous le choc encore, encore plus humiliĂ©, mĂŞme si le policier Ă©tait très correct ; ensuite j’ai Ă©tĂ© placĂ© en cellule : il Ă©tait 17h30 environ. Dans la cellule, je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait, il n’y avait aucun blessĂ©, je trouvais ça bizarre qu’on me mette en garde Ă  vue.

 

Ă€ 18 heures, on est venu me chercher, on m’a fait monter Ă  l’étage, pour ĂŞtre auditionnĂ©. Ils Ă©taient cinq dans le bureau. Au moment oĂą je suis entrĂ©, l’un d’eux s’est exclamĂ© : « Alors c’est toi le fameux Schumacher ! » Je ne lui ai pas rĂ©pondu. En rĂ©ponse aux questions j’ai essayĂ© de raconter le plus simplement possible ce qu’il s’était passĂ©. Mais plusieurs autres rĂ©flexions du mĂŞme genre que la première m’ont Ă©tĂ© faites, comme quoi j’allais devoir repasser mon permis. Ils Ă©taient cinq et une femme policière leur a dit Ă  un moment qu’ils pouvaient se retirer, mais ils restaient lĂ  Ă  rigoler entre eux. Ce qui m’a vraiment marquĂ©, c’est quand j’ai demandĂ© Ă  manger, ils ont refusĂ©, et un m’a dit : « On est dans un pays laĂŻc et on s’en fout que tu fasses le Ramadan ! » J’ai aussi remarquĂ© qu’ils avaient enlevĂ© de la voiture l’affichette qui Ă©tait collĂ© sur la vitre arrière et qui indiquait qu’elle Ă©tait Ă  vendre, et ils l’avaient gribouillĂ©e en changeant le prix indiquĂ©, 8 300 euros, en… 83 euros ! L’affichette Ă©tait placĂ©e sur un mur… Une fois l’audition terminĂ©e, il devait ĂŞtre 19 heures passĂ©es, j’ai demandĂ© un verre d’eau au policier qui me ramenait en cellule, il a acceptĂ© et me l’a apportĂ©.

 

Ă€ 19h30, l’avocat qui m’avait Ă©tĂ© proposĂ© lors de l’audition est arrivĂ©, c’était une femme, elle se prĂ©occupait juste de savoir si je n'Ă©tais pas maltraitĂ©, qu’on ne me frappe pas et qu’on me donne Ă  manger ; elle m’a dit elle-mĂŞme qu’elle n’était pas lĂ  pour mon affaire, mais quand mĂŞme, en me voyant, elle a eu une sorte de pitiĂ© et m’a demandĂ© pourquoi j’étais lĂ . Je lui ai racontĂ© les faits, et je lui ai aussi dit que j’avais des douleurs un peu partout, et que je n’avais pas mangĂ©, Ă  part le verre d'eau qu’on m’avait donnĂ©. L’avocate m’a dit qu’elle allait s’en occuper et je suis retournĂ© en cellule. Il devait ĂŞtre 20 heures. Mais on ne m’a pas apportĂ© Ă  manger… pourtant j’ai su après que ma famille avait apportĂ© des sandwiches mais on ne me les a pas donnĂ©s.

 

Vers 22 heures, on est venu me chercher, pour m’emmener Ă  l’hĂ´pital Jean Verdier Ă  Bondy, pour, m’a-t-on expliquĂ©, faire un dĂ©pistage de cannabis. J’étais menottĂ© Ă  nouveau, ils ont refusĂ© de me donner ma veste et j’avais très froid, en chemise. Mais Ă  l’hĂ´pital, il n’y avait pas de mĂ©decin disponible pour faire le test. Il a fallu retourner au commissariat, toujours menottĂ© bien serré… il Ă©tait maintenant 22h40. Une fois dans la cellule, je n’arrivais pas Ă  dormir. Je suis restĂ© allongĂ© sur le banc, jusqu’à ce qu’un mĂ©decin arrive, vers 3 heures du matin. Il a pris ma tension et quelques renseignements sur ma personne. Je lui ai indiquĂ© les douleurs que j’avais Ă  cause de l’accident, mais j’avais l'impression qu’il s’en moquait : il Ă©tait très tard et il devait sĂ»rement ĂŞtre pressĂ© de rentrer chez lui… Il m’a donnĂ© un Ă©tui pour prĂ©lever mon urine : je suis donc allĂ© aux toilettes, mais sans doute Ă  cause de mon Ă©tat, et le fait que j’étais en plein jeĂ»ne, je n’arrivais pas Ă  uriner. Les policiers pensaient que je ne voulais pas uriner parce que j’aurais consommĂ© des stupĂ©fiants (« Comme par hasard ! Â» a dit l’un d’eux). J’ai eu beau rester une dizaine de minutes aux toilettes, je n’y arrivais pas, hĂ©las ce n’était pas de la mauvaise volontĂ©, au contraire, j’aurais pu leur prouver qu’ils se trompaient…

 

Mardi 19 octobre, 9 heures :

 

Vers 9 heures, un policier est venu me chercher en m’expliquant qu’ils allaient me ramener Ă  l’hĂ´pital pour faire le test, et que si je n’arrivais Ă  nouveau pas Ă  uriner, ils allaient prolonger la garde Ă  vue de 18 heures ! Ils m’ont dit de boire de l’eau, mais je leur ai rĂ©pondu que je faisais le Ramadan ! Ils m’ont menottĂ©, ils ont refusĂ© Ă  nouveau de me donner ma veste et j’avais très froid. On est donc allĂ© Ă  l’hĂ´pital, le mĂ©decin m'a donnĂ© un Ă©tui et je suis allĂ© aux toilettes. Je faisais tout ce que je pouvais pour ne pas retourner si longtemps en garde Ă  vue, mais rien Ă  faire : je n’arrivais pas Ă  faire pipi ! Heureusement, finalement, au bout de vingt minutes, j’y suis quand mĂŞme arrivé… J’ai donc donnĂ© l’étui au mĂ©decin, qui a dĂ©clarĂ© le test nĂ©gatif. Et quand je suis sorti du cabinet avec le mĂ©decin et qu’il a annoncĂ© le rĂ©sultat aux policiers, j’ai compris que ceux­-ci avaient fait un pari et que deux sur trois avaient perdu !

 

Ensuite on est retournĂ© au commissariat, il devait ĂŞtre 10 heures ou 10h30. Je suis montĂ© Ă  l’étage, on m’a pris les empreintes, et je suis retournĂ© en cellule. J’ai demandĂ© Ă  l’officier qui m’accompagnait si j’allais bientĂ´t sortir et il m’a rĂ©pondu : « Normalement, oui… Â» J’étais très impatient de revoir ma mère, j’avais hâte d’être de retour dans ma famille !

 

Ă€ midi, deux policiers m’ont sorti de la cellule, j’ai eu un moment de joie intense, mais j’ai entendu alors que j’allais ĂŞtre emmenĂ© au « dĂ©pĂ´t Â» et que je devais ĂŞtre jugĂ© ! Ma joie s’est vite Ă©teinte… Je ne savais pas ce qu’était le « dĂ©pĂ´t », j’ai donc demandĂ© aux policiers de quoi il s’agissait. Ils m’ont rĂ©pondu que c’était la suite de la garde Ă  vue en attendant d’être jugĂ©. Ils m’ont redonnĂ© ma veste cette fois et m’ont menottĂ©. Lorsque nous sommes sortis du commissariat, direction le tribunal, j’ai aperçu mon frère, qui a 19 ans, et un de mes meilleurs amis : ils Ă©taient venus me chercher pour m’emmener chez moi ! Mais ils ont appris la nouvelle et mon frère s’est mis Ă  pleurer. Je n’ai pu lui parler qu’un tout petit moment, je ne pouvais pas le toucher et le consoler…

 

Une fois arrivĂ© au dĂ©pĂ´t, j’ai Ă©tĂ© fouillĂ© entièrement et mis en cellule, il devait ĂŞtre 13 heures. Des surveillants sont venus pour proposer Ă  tous ceux qui Ă©taient lĂ  avec moi Ă  manger. J’ai refusĂ©, car je voulais avoir la force de continuer Ă  respecter le Ramadan. J’aurais dĂ» me mĂ©fier et garder la nourriture pour l’heure de rupture du jeĂ»ne, mais sur le moment je n’y ai pas pensĂ©, j’espĂ©rais encore que j’allais bientĂ´t retrouver ma famille. Je me suis assis sur le banc et j’ai attendu. Ă€ 14 heures, on m’a emmenĂ© voir le dĂ©lĂ©guĂ© du procureur, il m’a rappelĂ© les faits, et je me suis mis Ă  pleurer, je n’en pouvais plus ! Le procureur a essayĂ© de me calmer et m’a dit que tout allait bien se passer, qu’il ne fallait pas que je me mette dans cet Ă©tat-là… Je suis retournĂ© en cellule.

 

Ă€ 15h30 environ, on m’a fait rencontrer un avocat commis d’office. Le scĂ©nario Ă©tait exactement le mĂŞme qu’avec le prĂ©cĂ©dent. Je lui ai demandĂ© si je risquais la prison et il m’a rĂ©pondu : « Bien sĂ»r que non ! Enlève-toi cette idĂ©e-lĂ  de la tĂŞte ! Â» J’ai Ă©tĂ© vraiment soulagĂ© et je me suis dit que tout allait ĂŞtre bientĂ´t terminĂ©. J’ai donnĂ© tous les renseignements me concernant Ă  l’avocat : Ă©tudiant, sĂ©rieux, bac + 2 Ă  la fac de Bobigny, aucun antĂ©cĂ©dent judiciaire… Et je suis retournĂ© en cellule, il devait ĂŞtre 16 heures environ.

 

MalgrĂ© ce qu’avaient dit le dĂ©lĂ©guĂ© du procureur et l’avocat, j’étais très inquiet. Après une heure et demie de stress et d’angoisses, on m’a fait monter au tribunal, menottĂ© entre le dĂ©pĂ´t et la salle. J’étais très impressionnĂ©, c’était la première fois que je voyais une salle d’audience. J’ai aperçu mon petit frère et un ami dans le public, je n’arrivais pas Ă  les regarder vraiment… et je me suis mis Ă  pleurer. Avant que ce soit mon tour, c’était un jeune noir qui Ă©tait jugĂ© : il a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  quatre mois de prison ferme pour dĂ©faut de permis de conduire. J’ai vraiment Ă©tĂ© effrayĂ© par cette sanction. Le juge avait un air très sĂ©vère, il faisait peur rien qu’en le regardant. Mon tour est arrivĂ©, le juge a rappelĂ© les faits, je paniquais complètement, j’avais très très peur. Le juge dĂ©clara que c’était grave… Je n’ai pas compris ce qu’il voulait dire : c’est grave d’avoir un accident ? C’est vraiment un dĂ©lit ? Le juge dĂ©clara alors que le jugement allait ĂŞtre reportĂ© au 2 novembre et qu’en attendant, soit j’allais en maison d’arrĂŞt, soit je sortais sous contrĂ´le judiciaire. Il a demandĂ© son avis au procureur, qui a demandĂ©, Ă  mon vif soulagement, que je sois placĂ© sous contrĂ´le judiciaire puisque je n’avais aucun antĂ©cĂ©dent et que j’étais Ă©tudiant. L’avocat a pris la parole et a dĂ©clarĂ© les mĂŞmes choses que le procureur, que j’étais Ă©tudiant, que je n’avais eu affaire Ă  la police ou Ă  la justice, que j’étais sĂ©rieux…

 

Alors le juge et deux autres personnes qui Ă©taient Ă  ses cĂ´tĂ©s sont sortis de la salle par une porte qui Ă©tait juste derrière eux. Au bout de cinq minutes Ă  peu près, ils sont revenus et le juge a donnĂ© sa dĂ©cision : 15 jours en maison d’arrĂŞt en attendant la nouvelle audience. J’ai Ă©tĂ© foudroyĂ©. J’ai ressenti un violent sentiment d’injustice et de haine. L’avocat me regardait avec dĂ©solation et il a dit aux policiers qui m’accompagnaient : « Donnez-lui Ă  manger, regardez-le, il est dans un Ă©tat ! » Depuis l’accident, en fait depuis lundi matin, le dĂ©but du jeĂ»ne, je n’avais eu qu’un verre d'eau… Je ne comprenais plus ce qu’il m’arrivait, on m’a menottĂ©, j’ai entendu, comme dans un brouillard, les policiers rĂ©pondre gentiment Ă  l’avocat qu’ils allaient s’occuper de moi. Un des policiers, très sympa, m’a demandĂ© Ă  quelle heure Ă©tait la rupture du jeĂ»ne et je lui ai rĂ©pondu que c’était Ă  19 heures. Il m’a promis alors que j’aurais Ă  manger Ă  cette heure-lĂ . Je suis retournĂ© en cellule, il Ă©tait 18 heures. J’étais fatiguĂ©, dĂ©goĂ»tĂ©, triste, et j’avais très peur parce que j’allais me retrouver en prison, j’étais complètement KO, j’avais Ă©tĂ© mis KO en un round !

 

Ă€ 19 heures, je m’attendais Ă  avoir Ă  manger, mais la promesse du policier n’a pas Ă©tĂ© tenue. J’ai appelĂ© un surveillant pour qu’on me donne Ă  manger comme prĂ©vu, mais rien Ă  faire. Ce n’est qu’à 20 heures enfin, comme pour les autres dĂ©tenus qui Ă©taient avec moi, qu’on nous a apportĂ© Ă  manger : j’ai pris un sandwich au fromage que j’ai avalĂ© très rapidement. Je me suis allongĂ© contre le mur, et deux heures après, vers 22 heures, les gendarmes sont venus nous chercher pour nous emmener Ă  la maison d'arrĂŞt de Fleury­-MĂ©rogis. Les policiers nous ont fait monter dans le camion des gendarmes, mais avant ils nous ont fait dĂ©shabiller pour vĂ©rifier qu’on n’avait rien sur nous. Une fois dans le camion, j’ai Ă©tĂ© effrayĂ© par le comportement des autres prisonniers : certains avaient l’air contents d’aller en prison ! Par contre, moi, je ne parlais pas, j’étais en Ă©tat de choc total, je n’arrivais toujours pas Ă  me rendre compte de ce qui m’arrivait… Nous Ă©tions dans des espèces de grilles par quatre, ils nous avaient enlevĂ© les menottes.

 

Mercredi 20 octobre, 0 heure et quelques… :

 

On est arrivĂ© Ă  Fleury-MĂ©rogis peu après minuit. Nous sommes sortis du camion et on nous a placĂ©s deux par deux dans des cellules, dans un bâtiment appelĂ© D4. Il faisait très froid dans cette cellule et nous avons attendu lĂ  plus d’une heure. Quand nous sommes sortis de ce frigo, des surveillants, grincheux et mĂ©chants (ils ne nous parlaient pas, ils gueulaient), nous ont pris les empreintes et en photos pour leur registre. Et nous avons Ă©tĂ© replacĂ©s en cellule, par quatre cette fois. Au bout d’un quart d’heure, on nous a fait ressortir, pour la fouille, il a fallu se dĂ©shabiller Ă  nouveau complètement. On nous a fait regagner une autre cellule encore, et au bout de vingt minutes, on nous a emmenĂ©s avec un vĂ©hicule, une sorte d’utilitaire, vers un autre bâtiment, dont je ne connais pas le nom… Nous avons Ă©tĂ© replacĂ©s dans une cellule collective cette fois, des surveillants sont venus nous distribuer des bons pour des produits qui devaient nous ĂŞtre apportĂ©s le lendemain. Une fois les bons rĂ©cupĂ©rĂ©s, ils nous ont fait sortir en file indienne dans le couloir et nous ont distribuĂ© des draps, deux couvertures chacun et un sandwich. Nous avons ensuite Ă©tĂ© placĂ©s en cellule, deux par deux. C’est lĂ  que nous devions passer le reste de la nuit : il y avait deux lits et un robinet, il Ă©tait 2 ou 3 heures du matin…

 

Ă€ 7 heures, des surveillants sont venus nous rĂ©veiller. Ă€ 7h30, on est venu nous apporter le petit-dĂ©jeuner, mais je ne l’ai pas pris, car je voulais avoir la force de continuer le jeĂ»ne du Ramadan. Vers 9 heures, on est venu nous chercher, pour aller voir le chef (je crois que c’était le chef du bâtiment), un par un. C’était une femme : elle m’a posĂ© quelques questions et m’a indiquĂ© dans quel bâtiment j’allais ĂŞtre placĂ©. C’était le Dl, et j’allais ĂŞtre avec le mĂŞme garçon avec lequel j’avais passĂ© la première nuit, il s’appelait David, il avait 19 ans et Ă©tait d'origine antillaise. Une fois l’entretien terminĂ©, nous avons Ă©tĂ© ramenĂ©s en cellule. On est revenu nous chercher au bout d’un quart d’heure : un mĂ©decin nous a examinĂ©s et a pris des radios de nos poumons. Il Ă©tait gentil. Et une fois la sĂ©ance terminĂ©e, on nous a fait monter dans un vĂ©hicule pour nous emmener au bâtiment Dl. LĂ -bas nous avons passĂ© plusieurs entretiens, avec un psychologue, un mĂ©decin Ă  nouveau et une assistante sociale. Puis on nous a affectĂ©s Ă  la cellule oĂą, apparemment, nous devions rester pour le reste du temps de dĂ©tention. Il Ă©tait 13 heures. Nous avions dĂ©jĂ  un peu parlĂ©, David et moi : il Ă©tait lĂ  parce qu’il avait braquĂ© un tabac et quand je lui ai dit pourquoi j’étais lĂ , il n’y croyait pas ! Dans la cellule, il y avait deux lits, un poste de tĂ©lĂ©, des WC et un lavabo. Tout Ă©tait très sale, les toilettes Ă©taient Ă  dĂ©couvert, c’est-Ă -dire qu’il n’y avait rien qui les sĂ©paraient du reste de la cellule, c’était Ă©cĹ“urant. Nous nous sommes installĂ©s. Ensuite nous sommes allĂ©s en promenade. Quand j’ai dĂ©couvert la cour de promenade, j’ai Ă©tĂ© choquĂ© par la vue des bâtiments et des cellules vues de l’extĂ©rieur : tout Ă©tait dĂ©labrĂ©, les vitres cassĂ©es Ă©taient remplacĂ©es par du carton ou des draps ! C'est lĂ  que j’ai vraiment rĂ©alisĂ© que j’étais en prison. Franchement, cela faisait peur ! Je me suis dit qu’il allait falloir que je reste ici quinze jours et que j’allais devoir ĂŞtre très patient… Nous tournions en rond dans cette cour : les nouveaux arrivants, comme moi, nous avons Ă©tĂ© interrogĂ©s par ceux qui Ă©taient dĂ©jĂ  lĂ , tous Ă©taient très calmes et très impressionnĂ©s par mon histoire… Vers 16 heures, on m’a emmenĂ© pour prendre une douche, nous Ă©tions une dizaine, dans des cabines non fermĂ©es. Cette douche m’a fait vraiment beaucoup de bien. Mais lĂ  aussi, j’ai Ă©tĂ© choquĂ© : tout le local Ă©tait d’une saletĂ© repoussante…

 

Durant ces quinze jours, j’ai eu l'impression de vivre un vrai cauchemar. Ce qui m’a le plus marquĂ© Ă©tait le total manque de respect de certains gardiens Ă  l’égard des dĂ©tenus. Par contre il y en avait d’autres qui pouvaient ĂŞtre très sympas. Mais ceux qui manquaient de respect Ă©taient très mal polis, ils insultaient les prisonniers, sous n’importe quel prĂ©texte, par exemple lorsque quelqu’un mettait ses mains dans ses poches, ou lorsqu’un autre ne se pressait pas lors des mouvements pour aller ou revenir de la promenade : « Abruti, branleur, pĂ©dĂ©, travelo… etc. ! Â» Mais moi je n’ai jamais Ă©tĂ© insultĂ©. Sinon, c’était une routine pĂ©nible : tous les jours se ressemblaient, rĂ©veil le matin, tĂ©lĂ© jusqu’à 16 heures, promenade, tĂ©lĂ© Ă  nouveau jusqu’au soir, sommeil. J’ai poursuivi le jeĂ»ne, je gardais le chocolat en poudre du matin pour le mettre sur une tartine le soir, la nourriture n’était pas bonne, des choux-fleurs, des carottes… Dans la cour j’avais retrouvĂ© un très ancien copain, et comme on ne peut pas cantiner la première semaine, il a trouvĂ© moyen, une fois, de me faire passer, par une gardienne sympa, un chausson aux pommes. La seule chose qui me sortait de cette routine Ă©tait les lettres que je recevais de ma famille et de copains. Je les ai toutes gardĂ©es prĂ©cieusement. Et j’avais de la peine pour David qui, lui, des quinze jours oĂą j’ai Ă©tĂ© lĂ , n’a jamais reçu de courrier. Au bout d’une semaine, on nous a changĂ©s de cellule, nous sommes montĂ©s Ă  l’étage. Les conditions Ă©taient les mĂŞmes. Mais cette deuxième semaine a Ă©tĂ© très pĂ©nible pour moi, parce que plus le jour du jugement approchait, et plus je stressais, j’imaginais le pire, j’étais angoissĂ©, mĂŞme si je savais que ma famille avait pris un avocat pour moi.

 

Mardi 2 novembre, 6 heures :

 

Un surveillant est venu me rĂ©veiller. Cette nuit-lĂ , j’ai très mal dormi. Je pensais au pire, que j’allais avoir de la prison ferme. Des policiers, des avocats, le procureur mĂŞme m’avaient dĂ©jĂ  menti ou s’étaient trompĂ©s en me disant que je ne risquais pas la prison, que cela allait bien se passer… Le surveillant m’a prĂ©venu que le dĂ©part pour le tribunal de Bobigny Ă©tait dans une demi-heure. Et Ă  7h30, on m’a emmenĂ© dans le mĂŞme bâtiment que celui de l’arrivĂ©e. J’ai eu droit Ă  deux fouilles : une fois par les surveillants et une deuxième fois par les gendarmes. J’ai attrapĂ© froid et suis tombĂ© malade Ă  cause de ces fouilles : il fallait se dĂ©shabiller complètement, et il faisait terriblement froid ! Une fois montĂ© dans le camion des gendarmes, j’étais un peu soulagĂ© : j’espĂ©rais ne jamais revenir ici, jamais, jamais, jamais…

 

Après trois quarts d’heure Ă  peu près de trajet, nous sommes arrivĂ©s au tribunal. LĂ  nous avons Ă  nouveau Ă©tĂ© fouillĂ©s et on nous a placĂ©s dans une grande cellule. Nous Ă©tions tous, tous les prĂ©venus, dans la mĂŞme cellule. Et on a attendu… Vers 13 heures, un policier est venu me chercher pour que je  rencontre mon avocat, celui que ma famille avait choisi. L’entretien a durĂ© un quart d’heure et il m’a promis que j’allais sortir de lĂ . Il m’a mis en confiance, j’avais confiance en lui. Je suis retournĂ© en cellule, et les surveillants nous ont apportĂ© Ă  manger : un paquet de chips, deux biscottes, un morceau de fromage pourri, une tartelette et une petite bouteille d’eau. Cette fois j’ai pensĂ© Ă  tout garder pour pouvoir plus tard rompre le jeĂ»ne Ă  l’heure. Vers une heure et demie, les surveillants sont venus me chercher pour ĂŞtre jugĂ©. J’étais complètement stressĂ©, j’invoquais Dieu pour que je sois libĂ©rĂ© et pouvoir revenir parmi les gens que j’aime et qui m’aiment. Lorsque je suis entrĂ© dans la salle d’audience, j’ai vu toute ma famille et tous mes amis, la salle Ă©tait pleine, ils Ă©taient tous lĂ  ! Dès que j'ai croisĂ© le regard de mes parents, je n’ai pas pu empĂŞcher mes yeux de verser des larmes. J’ai pleuré… jusqu’à ce qu’une policière me dise d’arrĂŞter parce que je faisais ainsi pleurer ma mère ! Elle s’est aussi adressĂ© Ă  moi, en me rĂ©pĂ©tant d’arrĂŞter de pleurer, qu’il fallait ĂŞtre courageux, que j’allais m’en sortir.

 

Le juge est arrivĂ© et l’audience a commencĂ©. Les faits ont Ă©tĂ© rappelĂ©s, le procureur a demandĂ© quatre mois de prison avec sursis, six mois de retrait de permis de conduire et 400 euros d’amende. Mon avocat a pris la parole pour dire que je n’étais pas un dĂ©linquant, que j’étais une personne sĂ©rieuse dans la vie, Ă©tudiant en universitĂ©, et que je n’avais jamais eu de problèmes avec la justice. Il a dit aussi qu’il y avait eu une injustice manifeste en m’envoyant en prison, que ma place n’était pas lĂ -bas et que j’avais dĂ©jĂ  assez souffert comme ça. J’ai ensuite pris la parole pour rĂ©pĂ©ter ce qu’avait dit mon avocat, que je n’étais pas un dĂ©linquant, que ma place Ă©tait Ă  l’école et non en prison… Enfin le juge a pris la parole pour annoncer le verdict : j’avais très très peur… Trois mois de prison avec sursis, six mois de retrait de permis de conduire et 300 euros d’amende, voilĂ  le verdict qui a Ă©tĂ© prononcĂ©. J’ai ressenti un soulagement et une joie extraordinaire, un peu tempĂ©rĂ©e par le fait que j’ai ensuite appris que j’allais devoir retourner Ă  Fleury­-MĂ©rogis : mais il me fallait bien rĂ©cupĂ©rer mes affaires et signer des papiers.

 

Je suis donc retournĂ©, menottĂ© Ă  nouveau entre la salle d’audience et le dĂ©pĂ´t, dans la grande cellule d’attente, oĂą il y avait encore tous ceux qui allaient devoir passer après moi en jugement. Un tunisien, avec lequel j’avais commencĂ© Ă  faire connaissance, m’a demandĂ© ce que j’avais eu. Je lui ai dit que j’avais eu du sursis et que j’allais ĂŞtre libĂ©rĂ©. Il Ă©tait très content pour moi et nous avons continuĂ© Ă  faire connaissance. J’ai aussi remarquĂ© un chinois qui avait un Ĺ“il très très abĂ®mĂ© : on m’a dit qu’il avait refusĂ© d’embarquer dans un avion pour ĂŞtre expulsĂ© et qu’il avait Ă©tĂ© tabassĂ©. J’ai aussi parlĂ© avec un homme de 35 ans Ă  peu près : c’était un français, qui Ă©tait lĂ  pour dĂ©lit de fuite, dĂ©faut de permis et ivre au volant. Je lui ai racontĂ© pourquoi moi j’étais lĂ  et ce que j’avais eu, en plus des quinze jours passĂ©s Ă  Fleury-MĂ©rogis, et il s’est fait alors beaucoup de soucis… Mais quand, plus tard, il est revenu de l’audience, il m’a dit qu’il n’avait rien et sortait ce soir en mĂŞme temps que moi. Rien, pas de prison avec sursis, pas d’amende, pour tout ce qu’il avait fait ! J’ai cru comprendre que s’il n’avait rien eu c’était parce que les policiers qui l’avaient arrĂŞtĂ© l’avaient tabassĂ© et lui avaient cassĂ© son portable… Et mĂŞme si j'Ă©tais content pour lui qu’il n’ait rien, j’étais quand mĂŞme très choquĂ© par rapport Ă  ma situation. Nous sommes restĂ©s lĂ , Ă  attendre, jusqu’à plus de minuit…

 

Nouvelle fouille avant de repartir Ă  Fleury-MĂ©rogis, et nouvelle fouille Ă  l’arrivĂ©e lĂ -bas… Tous ceux qui allaient ĂŞtre libĂ©rĂ©s devaient rĂ©cupĂ©rer leurs vĂŞtements, on m’a fait signer des papiers, on m’a redonnĂ© mon argent et mes deux chaĂ®nettes de cou, ma gourmette et ma montre et on m’a conduit vers la sortie. Enfin, je suis sorti de ce trou ! ce trou qui ne mène nulle part… Il Ă©tait quatre heures du matin et toute ma famille et mes amis m’attendaient ! Chacun Ă  leur tour, ils m'ont pris dans leurs bras... avec une très grande joie ! J’avais enfin retrouvĂ© mes proches et je me suis jurĂ© alors de ne plus jamais m’en sĂ©parer.

 

Mourad Ourdi, 20 ans.


pour imprimer le texte


Haut de la page


COPYRIGHT 2002-2021 Bernard Defrance - tous droits réservés