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Il y a quelque temps, certains docteurs et sociologues promulguèrent un ordre d’après lequel toutes les petites filles devaient avoir les cheveux coupés court. Je veux dire, bien entendu, toutes les petites filles dont les parents étaient pauvres. Les petites filles riches ont bien des habitudes insalubres, mais ce n’est pas de sitôt que les docteurs s’y opposeront par la force. Or le motif de cette intervention était que les pauvres sont empilés dans des réduits crasseux, si nauséabonds et étouffants qu’on ne peut leur permettre d’avoir des cheveux, parce que ces cheveux abriteraient des poux. Donc les docteurs proposent de supprimer les cheveux. Ils ne semblent pas avoir jamais songé à supprimer les poux.

Quand une tyrannie crapuleuse Ă©crase les hommes dans la crasse, si bien que leurs cheveux mĂŞmes sont sales, il serait long et pĂ©nible de couper les tĂŞtes des tyrans ; il est plus facile de couper les cheveux des esclaves. De mĂŞme, s’il arrive un jour que des enfants pauvres soient tourmentĂ©s par des maux de dents, il sera facile d’arracher toutes les dents des pauvres. Si leurs ongles sont d’une saletĂ© rĂ©pugnante, on leur arrachera les ongles. Si leur nez sont indĂ©cemment morveux, on leur coupera le nez.

Je pars des cheveux d’une petite fille. Cela, je sais que c’est bon dans l’absolu. Quelque mal qu’il y ait ailleurs, la fiertĂ© qu’éprouve une mère de la beautĂ© de sa fille est une chose bonne. C’est une de ces tendresses impĂ©rissables qui sont les pierres de touche de toutes les Ă©poques et de toutes les cultures. Si d’autres choses sont contraires Ă  cela, qu’elles disparaissent. Si les propriĂ©taires et les lois sont contre cela, que les propriĂ©taires et les lois disparaissent. Avec la chevelure rousse d’une gamine des rues, mettons le feu Ă  toute la civilisation moderne. Puisqu’une fille doit avoir les cheveux longs, il faut qu’elle les ait propres ; puisqu’elle doit avoir les cheveux propres, il ne faut pas qu’elle ait une maison sale ; puisqu’elle ne doit pas avoir une maison sale, il faut que sa mère soit libre et qu’elle ait des loisirs ; puisque sa mère doit ĂŞtre libre, il ne faut pas qu’elle ait un propriĂ©taire usurier ; puisqu’elle ne doit pas avoir un propriĂ©taire usurier, il faut redistribuer la propriĂ©tĂ© ; puisqu’il faut redistribuer la propriĂ©tĂ©, nous ferons une rĂ©volution.

Cette petite gamine aux cheveux d’or (que je viens justement de voir trotter devant chez moi), on ne l’élaguera pas, on ne l’estropiera pas, on ne la modifiera pas, on ne lui coupera pas les cheveux court comme Ă  un forçat. Non, tous les royaumes de la terre seront retaillĂ©s et dĂ©coupĂ©s Ă  sa mesure. Les vents du monde seront calmĂ©s pour cet agneau qui ne sera pas tondu. Toutes les couronnes qui ne vont pas Ă  sa tĂŞte seront brisĂ©es, tous les vĂŞtements, toutes les demeures qui ne conviennent pas Ă  sa gloire seront dĂ©truits. Sa mère peut lui ordonner de nouer ses cheveux, car c’est l’autoritĂ© naturelle ; mais l’Empereur de la Planète ne lui ordonnera pas de les couper. Elle est l’image sacrĂ©e de l’humanitĂ©. Tout autour d’elle, l’usine sociale doit s’incliner, se briser et s’effondrer ; les colonnes de la sociĂ©tĂ© seront Ă©branlĂ©es, et les voĂ»tes des Ă©poques s’écrouleront ; mais pas un cheveu de sa tĂŞte ne sera touchĂ©.

Gilbert Keith Chersterton.

 


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