Paru dans les Cahiers Pédagogiques, n° 329, décembre 1994.

 

 

Mes baskets et mon droit

 

Décidément, le ridicule et le grotesque ont la peau dure dans " notre école " publique, tout au moins en certains lieux. Mon fils, 14 ans, en troisième de collège, n’en croyait pas ses yeux en lisant un article récent du journal Le Monde rapportant l’exclusion d’un collégien de Bergerac qui contrevenait au règlement intérieur en portant des " baskets " en dehors des cours d’éducation physique : " Mais il n’y aurait plus personne au collège ! " s’est-il exclamé. Ce en quoi il a probablement tort... C’est en effet ce qu’il y a de plus frappant dans cette histoire : apparemment, le jeune Nicolas se trouve le seul à " résister " aux prescriptions imbéciles et parfaitement illégales de ce règlement intérieur. Il va de soi que si j’étais enseignant dans ce collège, j’y viendrais immédiatement en baskets ! Et que toutes les injonctions des petits " potentats " locaux n’y pourraient évidemment rien... Il va de soi aussi que j’exigerais et obtiendrais sans difficultés que Nicolas soit présent à mes cours : aucun des professeurs de Nicolas ne semble ici avoir conscience de son rôle fondamental, non seulement d’éducateur, mais surtout de simple citoyen. Quant au principal du collège et au chef de cabinet du recteur, dont l’article nous apprend qu’il approuve le principal, ils font ici la démonstration éclatante de l’absence à peu près complète de formation juridique chez les personnels de l’Éducation Nationale. C’est à peu près constamment que des abus de droit évidents sont commis dans l’enceinte des classes et des établissements : points de règlements intérieurs illégaux, appréciations portées sur les bulletins frôlant l’insulte ou plus simplement le jugement abusif et sans preuve sur la personne, humiliations diverses infligées verbalement, voire physiquement, impunité des adultes, incohérences et disproportions des sanctions, les exemples pullulent de ces petits événements dérisoires qui, accumulés, détruisent chez l’immense majorité des jeunes toute possibilité de construction de la citoyenneté.

Un dernier point : l’article du Monde précise que les parents du jeune Nicolas ont signé le règlement intérieur, en sous-entendant que leur protestation ne saurait donc être recevable... Or, il va de soi que cette signature n’a aucune valeur juridique d’approbation du contenu de ce règlement, mais indique seulement qu’il a été lu. En effet, le jeune Nicolas est soumis à l’obligation scolaire, et donc ne peut pas ne pas aller au collège dont dépend son domicile. La signature du règlement n’a donc aucune valeur contractuelle, et l’aurait-elle d’ailleurs que, comme dans tout contrat, toute clause abusive ou illégale serait réputée non écrite.

Bernard Defrance.