Les enseignants peuvent-ils encore punir ?

 

 

Non, les enseignants ne peuvent plus punir. Non pas pour les raisons qu’invoquent nos “ pleureurs ” professionnels de l’effondrement des valeurs républicaines : les punitions continuent à pleuvoir sur les agités, et les exclusions à répétition se poursuivent, appuyées désormais sur les “ signalements en temps réel ” aux parquets des mineurs. Cela dans l’incohérence la plus totale : de 8h30 à 9h30, on a cours avec Mme X, on entend une mouche voler, de 9h30 à 10h30, on a cours avec M. Y et on peut se défouler jusqu’à le faire fuir ; répression ou démission, la “ loi ” change avec la salle. On continue à utiliser la note comme moyen de punition pour des comportements, ou les retenues pour des insuffisances dans l’acquisition des savoirs – sans parler des punitions collectives, lorsque le “ coupable ” ne veut pas se dénoncer.

Les enseignants ne peuvent plus punir parce que nul n’a droit de se faire justice à soi-même. Ils doivent seulement, comme n’importe quel autre citoyen, intervenir pour faire cesser la commission d’un acte transgressif quelconque, pour ensuite déférer le présumé coupable devant une instance tierce, qui déterminera la punition et la réparation appropriées. À condition que cette instance ne fonctionne pas comme lieu où on se débarrasse des exigences pédagogiques au profit d’un traitement pseudo-juridique… À l’école, la loi ne s’impose pas mais s’institue : le professeur exerce son autorité dans la classe et non son pouvoir sur la classe, ce qui permet aux élèves d’apprendre à obéir au lieu de se soumettre. Déjà sujets de droit mais pas encore citoyens, les enfants sont élèves à l’école parce qu’ils sont appelés, par la mise en pratique de la loi c’est-à-dire l’articulation des libertés, à l’égalité citoyenne.

 

Bernard Defrance,

professeur de philosophie au lycée Maurice Utrillo de Stains (Seine-St-Denis),

auteur de Sanctions et discipline à l’école, Syros, 4e éd. 1999.