PESTE, PESTE  ET CHOLERA

 

par Hassen Bouabdellah, cinéaste, écrivain

 

Voici donc la peste en Algérie !

La peste. La vraie, la bubonique, celle qui naît de la prolifération des rats et se transmet à l’homme par les puces des muridés.

Voici la peste en Algérie - une purulence suintant des mille blessures qui depuis 12 ans maintenant gangrènent le corps de l’Algérie.

 

Oui, et heureusement ! nous sommes entrés depuis quelques temps dans le 3ème millénaire ce qui fait que la terrible maladie n’a aucune chance de se transformer en quelque chose qui puisse ressembler à la peste noire du XIVe siècle : la mort d’un garçonnet, la contamination d’une trentaine d’adultes et les inconvénients d’une mise en quarantaine d’un lieu dit « Kehailia » localité oranaise, un événement donc bien insignifiant par rapport au récent séisme qui lui a fait plus de trois mille morts. Mais, même si la gravité de ses conséquences est due, pour une part à la corruption et pour une autre à l’imprévoyance des hommes,  le séisme reste une respiration imprévisible de la nature, donc accident alors que cette peste là est le fait des hommes et donne de la manière la plus parfaite, la mesure de la décrépitude de l’immense majorité des Algériens qui se voient contraints – eux les citoyens d’un pays riche – de vivre dans la promiscuité des rats et de chercher pitance en remuant désespérément les immondices des décharges. Et si le foyer de Kehailia est circonscrit, demain il en éclatera d’autres, ailleurs, dans les bidonvilles de la périphérie de  Constantine, de Annaba, de Touggourt ou de Tamanrasset. Bouteflika et consorts, les généraux algériens, les politicards et autres apprentis sorciers peuvent dire tout ce qu’ils veulent, cette peste-ci déchire le rideau derrière lequel tout ce beau monde s’évertue à cacher l’atroce dégringolade des conditions de vie, de santé et de dignité de millions d’Algériennes et d’Algériens.

 

« Ni la peste ni le choléra ! » C’était le slogan d’antan, slogan scandé par une bonne frange des cadres, des intellectuels et des artistes reconvertis, après les événements d’octobre 1988, à la démocratie et même des communistes en pleine crise de refondation démocratique. Au nom de quoi, tout ce joli monde de gens intelligents et cultivés a préféré trahir les urnes et élever au rang de rempart de la démocratie la nomenklatura militaire, c'est-à-dire le choléra. Eh bien, les voilà bien servis : le choléra est toujours là et en plus ils ont maintenant l’islamisme et une vraie peste, une peste réelle, nature, avec ses armées de rats et ses odeurs pestilentielles…

 

Paf et paf ! Ah ! la belle gifle que cette éclosion pestilente de Kehailia !

 

Zéro pointé pour ces treize années de pseudo-démocratie et de bourrage des urnes, double zéro pour ces longues années d’alliances contre nature, bonnet d’âne pour une si longue période d’injures faites au bon sens et de faillites intellectuelles et politiques. Mention « claques qui se perdent »  pour cette décennie d’accommodements avec l’infâme code de la famille dénoncé que comme argutie contre le FIS, pour toutes les atteintes aux droits et à la dignité des citoyens, pour la misère galopante étranglant chaque jour un peu plus des millions de gens honnêtes, pour la remise en cause des conditions de vie et d’hygiène du plus grand nombre, du système de santé et de protection de l’enfant. Mention « forfaiture » enfin pour ce silence sur ces milliers de disparus et sur les larmes de leurs mères et aussi  pour la couverture des crimes collectifs et de la torture…

 

Mais, jouer le choléra contre la peste sous prétexte de défendre rien d’autre que « la démocratie du coup de botte dans les urnes et du piétinement de la volonté du plus grand nombre » pouvait-il conduire à autre chose qu’à une telle débâcle ? !

 

A ce résultat, s’ajoutent l’enflammement de la Kabylie et le retour revendiqué au « aârouchisme » - entendons par là le clanisme – ce qui dit bien la régression vertigineuse subie par le pays. Et comme le malheur attire le malheur, toutes les calamités naturelles s’y donnent maintenant rendez-vous : sécheresse, sauterelles, pluies torrentielles éboulement, séisme et le reste sans doute est à venir…

 

Le proverbe le dit, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Proverbe qu’il faut un peu rectifier pour préciser que ces « autres », le plus souvent et d’une manière édifiante dans le cas de l’Algérie, ce n’est souvent qu’une poignée de personnes omnipotentes se donnant un bonheur directement proportionnel au nombre d’humains dépouillés et poussés au malheur. Si l’on veut bien considérer à qui profite la misère sévissant en Algérie, on s’aperçoit que le cercle des « grosses fortunes » a plutôt tendance à se restreindre et son centre se confond beaucoup plus nettement avec celui du pouvoir réel en Algérie : argent du riz et des pâtes, des médicaments, du système de santé, des matériaux de constructions, des écoles et que sais-je encore ?… Tout est bon pour achalander au mieux, au plus, la caverne d’Ali Baba. A la faveur du libéralisme ambiant que la puissante Amérique fait cyniquement confondre avec démocratie, le pillage du pays est devenu une activité légale permise par des lois sur mesure, une activité ayant pignon sur rue, son code commercial et sa nomenclature douanière. Import/export ? – Non ! Ça c’est l’ancienne économie ! Le libéralisme demande du grand. Ainsi, ont été mises en place, sous la forme de nouvelles structures commerciales, de grosses machines à pomper du fric, drivées par une race de dirigeants ennoblis qui du titre de capitaine d’industrie, qui du titre d’investisseur financier, qui du titre de brasseur d’affaires, car de nos jours « brasseur d’affaires » est un titre de noblesse.

 

L’archétype de ces nouveaux héros du modernisme économique, c’est bien sûr le « golden boy » Rafik Abdelmoumen Khalifa. Entreprises pharmaceutiques, une banque de dépôt, une compagnie aérienne, une chaîne de télévision basée à Paris, le brassage de tant d’affaires et de millions de dollars en si peu de temps, loin d’étonner en fit la poupée Barbie de la vitrine du libéralisme triomphant en Algérie, symbole de la créativité économique algérienne, du « dynamisme entrepreneurial propre au tempérament national » (sic !)… Jusqu’au jour où l’on attrapa un de ses directeurs avec une valise de devises sous les bras, embarquant comme il se doit dans un jet privé ; il fallut se rendre à l’évidence : tout cela n’était que du toc… Monsieur Rafik Abdelmoumen Khalifa a tout d’un Robin des Bois à rebours qui prend aux pauvres pour donner aux riches. Car la richesse ne circule que dans le sens pays pauvres vers riches. Et ce n’est pas moins que le très expérimenté PDG de TFI, M. Patrick Le Lay, qui formula cette règle sous forme de conseil donné gratuitement à une autre star du libéralisme, en l’occurrence J6M, Monsieur Jean-Marie Messier : «  Je lui ai dit tout des dangers à vouloir aller s’installer et investir aux USA, là-bas, on vous prend les sous mais on ne vous laisse pas en prendre.  » (pas mot à mot, mais l’idée y est entière).

 

Rien que pour le gala inaugural de Khalifa-TV, organisé dans la somptueuse villa de Cannes, le divin enfant – aigle des affaires et renard la finance internationale – dépensa 30 millions d’euros. Notre frimeur de PDG y distribua aussi quelques chèques de plusieurs centaine de milliers d’euros… A qui donc ? ! A des stars et autres personnalités du show business c'est-à-dire des super millionnaires caviardant à grosses louches. Cela pendant que l’Algérie se « misérabilise et se pestifère ».

 

 

Pestiférés de Kehailia , avez-vous encore des larmes pour pleurer !

 

Hassen Bouabdellah, vivant en France aujourd'hui, a publié à Marsa Editions un roman, L'insurrection des sauterelles, qui est une allégorie dénonciatrice du régime des généraux algériens.