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BientĂ´t les chars dans les banlieues

 

 

 

 

BientĂ´t les chars dans les banlieues ? 

 

 

« Toi la dernière fois je t’avais prĂ©venu j’vais t’éclater tes boutons ! Â» Ce n’est pas un sauvageon qui en menace ainsi un autre Ă  l’occasion d’une « embrouille Â» quelconque. C’est un policier dans l’exercice de ses fonctions qui, Ă  dix-sept heures cinquante-cinq, infligera Ă  quatre jeunes qui discutent au pied de l’immeuble une amende pour « tapage par Ă©clats de voix Â», avec procĂ©dure devant le tribunal de police. L’un d’entre eux, en effet, est un peu boutonneux… C’est le troisième contrĂ´le d’identitĂ© dans la mĂŞme journĂ©e pour l’un des jeunes : pure coĂŻncidence sans doute, il est noir. RĂ©ponse du Directeur DĂ©partemental de la SĂ©curitĂ© Publique au courrier de l’association de quartier : les fonctionnaires « ont procĂ©dĂ© Ă  la verbalisation des contrevenants dans le respect des règles du droit pĂ©nal et du code de dĂ©ontologie. Â» MĂŞme commune : claquements de portières, cris, injures, interpellations obscènes, moteurs rugissants, crissements de pneus, cette paisible rue pavillonnaire subit depuis des mois le comportement de certaines familles rĂ©cemment installĂ©es dans le quartier ; cette nuit-lĂ , Ă  deux heures du matin, une fois de plus, des habitants appellent la police, qui rĂ©pond qu’il n’y a pas de vĂ©hicule ou de personnel disponibles. Des habitants excĂ©dĂ©s se rendent immĂ©diatement au commissariat : quatre vĂ©hicules de police stationnent devant et des policiers en nombre sont prĂ©sents. Peut-ĂŞtre n’est-ce pas en effet tout Ă  fait la mĂŞme chose d’intervenir Ă  dix-sept heures pour quatre gamins qui rigolent au pied d’un immeuble que dans une rue contre un gang local qui fait rĂ©gner la terreur Ă  deux heures du matin… Les effets en termes Ă©lectoraux sont parfaitement prĂ©visibles. Peut-ĂŞtre voulus ?

Deux petits faits, dĂ©risoires : dans le premier, les policiers qui tutoient les jeunes et les menacent (article 222.18 et 223-13, 7°, du code pĂ©nal), peuvent humilier ou injurier en toute impunitĂ© ; dans le second, ils rĂ©vèlent leur peur ou leur impuissance. Dans les deux cas, ils dĂ©truisent leur propre autoritĂ© et la police n’est plus police. Ce genre de faits est Ă  l’origine du malaise policier : l’alternance rĂ©pĂ©tĂ©e de situations oĂą un mĂŞme individu est pris entre la jouissance de l’impunitĂ© quand il exerce une violence et la honte de l’impuissance quand la violence se retourne contre lui, ne peut que dĂ©truire n’importe quelle structure mentale, fĂ»t-elle la mieux « formĂ©e Â». Peut-ĂŞtre les rĂ©centes manifestations de policiers ont-elles soulagĂ© chaque stress individuel : peut-ĂŞtre y aura-t-il eu moins de dĂ©pressions ou de suicides parmi eux cette fin d’annĂ©e 2001…

J’enseigne en banlieue nord de Paris : environ 150 Ă©lèves de classes terminales, chaque annĂ©e. Comme responsable associatif, je cĂ´toie aussi beaucoup de jeunes dans les citĂ©s. Depuis trente ans que j’enseigne et que je milite dans la dĂ©fense des droits au quotidien, je n’en ai pas encore rencontrĂ© un seul – je dis bien un seul, garçon ou fille â€“ qui ne puisse raconter des faits analogues Ă  ceux rapportĂ©s ci-dessus, soit dĂ©crivant le sadisme ou le racisme ordinaire de certains fonctionnaires devenus mercenaires, soit dĂ©crivant leur impuissance Ă  remplir leur mission en arrĂŞtant les vĂ©ritables acteurs des mafias locales. Certes, les jeunes voient bien que la police sauve aussi dans des conditions parfois très difficiles, quand tous les autres citoyens ont dĂ©sertĂ©, quantitĂ© de gens engluĂ©s dans des violences quotidiennes, enfants maltraitĂ©s ou rackettĂ©s, couples dĂ©chirĂ©s, petits vieux agressĂ©s, jeunes Ă  la dĂ©rive aussi ; mais si l’image partiale et partielle de la police persiste et s’aggrave, c’est aussi parce que c’est cette image qu’elle donne trop souvent d’elle-mĂŞme.

 

Quant au dĂ©lire sĂ©curitaire qui saisit bon nombre de nos Ă©lus jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État, et bon nombre de nos « intellectuels Â» qui ne rencontrent Ă©videmment jamais les « sauvageons Â» qu’ils stigmatisent, lĂ  aussi, il n’est que rĂ©vĂ©lateur de la peur (de perdre son mandat), de l’impuissance (puisqu’il faut dans le mĂŞme temps « plus de moyens Â» et « baisser les impĂ´ts Â» !), autrement dit de l’absence de toute luciditĂ© et courage politique. La question est simple : quel est le degrĂ© de conscience civique des adultes ? Quels exemples donnent-ils aux jeunes ? Ce ne sont pas seulement les voyages privĂ©s de certains qui sont payĂ©s en coupures de cinq cents francs, ce sont aussi les loyers dans certaines citĂ©s… Qui encaisse en fin de circuit ? D’anciens bons Ă©lèves, passĂ©s gĂ©nĂ©ralement par les « grandes Â» Ă©coles, qui sĂ©vissent silencieusement dans la banque, les sociĂ©tĂ©s immobilières et financières, les cabinets d’architectes, les entreprises de travaux publics, et… les cabinets ministĂ©riels. Montesquieu : « Ce n’est point le peuple naissant qui dĂ©gĂ©nère, il ne se perd que lorsque les hommes faits sont dĂ©jĂ  corrompus. Â»

 

Continuons donc : Ă  gifler et injurier des gamins menottĂ©s Ă  poil dans des commissariats ; Ă  infliger un an de prison ferme (ce qui dĂ©truira pour la vie un garçon de 20 ans) suite Ă  l’agression d’un chauffeur de bus (un jour d’arrĂŞt de travail) ; Ă  en condamner un autre Ă  la mĂŞme peine pour avoir flanquĂ© un coup de pied dans un abri-bus (il est vrai dĂ©truit) pendant qu’un prĂ©fet de la RĂ©publique, dont les frais de dĂ©fense sont pris en charge par l’État c’est-Ă -dire les contribuables, est lui aussi condamnĂ© Ă  la mĂŞme peine pour avoir commanditĂ© une action terroriste ; Ă  tirer sur des jeunes qui « tapent la discute Â» au pied des immeubles (combien de morts par an ?), pendant que de prĂ©tendus chasseurs transgressent la loi en se pavanant sous l’œil des camĂ©ras ; Ă  exclure tel gamin d’un collège après conseil de discipline et signalement au parquet des mineurs suite Ă  une bousculade involontaire au coin d’un couloir contre un professeur, pendant que des parents s’épuisent en vain dans des procĂ©dures pour dĂ©faut de surveillance Ă  propos de leur enfant tabassĂ© en cour de rĂ©crĂ©ation lors d’un « petit pont massacreur Â» ; Ă  laisser dans tel quartier des mineurs d’une maison d’arrĂŞt se dĂ©velopper rackets et viols sur les nouveaux entrants, lesquels se retrouvent lĂ  prĂ©cisĂ©ment pour viol ou racket ; Ă  prĂ©lever tous les mois pendant vingt ans 120 francs de charges pour des ascenseurs sans arrĂŞt en panne ; Ă  expulser telle femme seule avec ses deux enfants qui occupe un appartement dont elle paie rĂ©gulièrement le loyer en liquide (4 000 francs) entre les mains du propriĂ©taire, sans quittance ni contrat (effet garanti sur les deux garçons) ; Ă  supprimer les subventions pour tel rĂ©seau d’entraide scolaire entre lycĂ©ens et Ă©coliers (30 lycĂ©ens, plus de 120 Ă©coliers concernĂ©s) au prĂ©texte que lesdits lycĂ©ens n’auraient pas les qualifications requises pour aider les gamins dans leurs devoirs ; Ă  ne pas rescolariser tel adolescent de quinze ans qui sort de trois mois de prĂ©ventive et Ă  diffuser auprès des chefs d’établissements du dĂ©partement, en toute illĂ©galitĂ©, les motifs de sa mise en examen.

Continuons : Ă  mettre dix-huit mois pour instruire une demande de subvention dĂ©risoire autour de tel projet d’animation, quand elle arrivera enfin, elle couvrira Ă  peine les frais d’établissement du dossier de demande lui-mĂŞme ; Ă  prĂ©lever dans telle citĂ© de banlieue des taxes d’habitation largement supĂ©rieures Ă  celles qui sont prĂ©levĂ©es en zone rĂ©sidentielle ; Ă  laisser se dĂ©velopper les trafics de drogue, dont les auteurs sont connus, en Ă©change de la paix sociale, puisque les drogues constituent d’excellents sĂ©datifs de masse ; Ă  dĂ©tourner 1,5 milliards du budget prĂ©vu pour l’Aide PersonnalisĂ©e au Logement pour financer le dĂ©ficit de l’établissement public de Paris-La DĂ©fense (budget 1999), pendant que 40 000 demandes prioritaires de logement encombrent les fichiers du seul dĂ©partement de la Seine-Saint-Denis ; Ă  refuser la rĂ©gularisation du sĂ©jour en France d’une Ă©lève de terminale qui suit ses Ă©tudes confiĂ©e par ses parents Ă  sa tante, et dès lors considĂ©rĂ©e comme cĂ©libataire sans ressources ; Ă  laisser des policiers jouer aux cow-boys en toute impunitĂ© et se comporter exactement selon les mĂŞmes « lois Â» que ceux dont ils sont chargĂ©s d’enrayer les comportements, et les laisser sans formation sĂ©rieuse accomplir les tâches les plus difficiles et les plus ingrates ; Ă  envoyer au casse-pipe de jeunes professeurs dĂ©butants dans les secteurs les plus difficiles pendant que des agrĂ©gĂ©s et autres « hors-classe Â» doublent leur traitement en classes prĂ©paratoires ; Ă  laisser, lĂ  aussi en toute impunitĂ©, telle substitut de procureur traiter les prĂ©venus de « crĂ©tins, petits cons… Â» et autres injures choisies en pleine audience, c’est-Ă -dire Ă  transgresser le code pĂ©nal au nom duquel elle parle ; Ă  laisser d’anciens voyous reconvertis en vigiles fouiller Ă  corps, lĂ©galement dĂ©sormais, le gamin qui a dĂ©robĂ© du chocolat, pendant que, dans la mĂŞme grande surface, on falsifie en coulisses les dates de pĂ©remption des produits frais ; Ă  ne pas poursuivre tel prĂ©sident de conseil gĂ©nĂ©ral au prĂ©texte qu’il va rembourser une partie de l’argent public qu’il a dĂ©tournĂ©, pendant que le receleur de marchandises « tombĂ©es du camion Â» se retrouve en prison ; Ă  refuser embauches ou logements sur des critères Ă©videmment racistes, en toute impunitĂ© ; Ă  condamner en comparution immĂ©diate la victime d’une bavure policière pour « rĂ©bellion Â» et Ă  prononcer un non-lieu en faveur des auteurs de la bavure après trois ans « d’instruction Â», voire carrĂ©ment, dix ans après les faits, acquitter le policier meurtrier.

Continuons : Ă  ne pas poursuivre agriculteurs, petits commerçants, etc., qui incendient Ă©difices publics, sabotent lignes Ă©lectriques ou moyens de transport pendant que le gamin qui met le feu Ă  une carcasse abandonnĂ©e se prend un an ferme ; Ă  laisser se dĂ©velopper la gestion des offices HLM ou de la distribution de l’eau comme outils principaux de la corruption et du clientĂ©lisme politicien ; Ă  Ă©taler sur les Ă©crans publicitaires l’utilisation sexuelle des corps (y compris et surtout d’enfants) et inciter aux jouissances immĂ©diates en appelant Ă  rĂ©veiller « l’instinct Â» (publicitĂ© pour une marque automobile, janvier 2000) ; Ă  prĂ©tendre refuser la naturalisation de tel enfant qui en remplit les conditions au prĂ©texte qu’il n’a pas de bons rĂ©sultats scolaires ; Ă  condamner les « tournantes Â» de banlieues pendant que les proxĂ©nètes de chair fraĂ®che alimentent en toute impunitĂ© les amateurs de parties bourgeoises, roses ou bleues, ou que tel romancier Ă  succès fait l’éloge du tourisme sexuel ; Ă  offrir aux gamins excitĂ©s la jouissance perverse de voir leurs exploits faire la une des journaux tĂ©lĂ©visĂ©s, des vaticinations intellectuelles de nos « rĂ©publicains Â» et des discours prĂ©sidentiels, au moindre feu de poubelles…

 

Continuons donc : Ă  lutter contre l’exclusion, les incivilitĂ©s, la dĂ©linquance et les trafics (c’est-Ă -dire dans certains cas les moyens de la survie), par les mĂ©thodes mĂŞmes qui les produisent ; Ă  « rappeler Â» une loi qui n’a jamais Ă©tĂ© instituĂ©e et que ne s’appliquent pas Ă  eux-mĂŞmes ceux qui prĂ©tendent l’imposer aux autres ; Ă  exiger la rĂ©duction et la soumission des « sauvageons sans repères » au lieu de leur apprendre l’obĂ©issance aux lois en les invitant Ă  participer progressivement Ă  leur Ă©laboration ; Ă  laisser sans reconnaissance ni ressources sĂ©rieuses les multiples associations et bĂ©nĂ©voles qui s’épuisent au quotidien Ă  maintenir ou recoudre inlassablement le « tissu social Â» et qui voient le patient travail de plusieurs annĂ©es dĂ©truit par une seule patrouille de police qui ramasse au hasard, par un seul professeur qui mĂ©prise ses Ă©lèves ou par une seule dĂ©claration ministĂ©rielle parfaitement irresponsable.

Continuons… mais alors, prĂ©voyons aussi la multiplication par dix au moins de nos capacitĂ©s carcĂ©rales (de façon Ă  approcher le modèle amĂ©ricain), prĂ©voyons de former les militaires au maintien de l’ordre urbain ; prĂ©voyons aussi les dĂ©penses nĂ©cessaires Ă  la « bunkerisation Â» de tous les Ă©difices publics (sans oublier les bureaux des ministres eux-mĂŞmes !) ; incitons les commerçants Ă  s’équiper de rideaux de fer blindĂ©s pouvant rĂ©sister aux « voitures-bĂ©liers Â» ; prĂ©voyons de faire escorter par les forces de l’ordre les journalistes qui s’aventurent Ă  la recherche d’images pour l’audimat ; prĂ©voyons de placer des policiers armĂ©s dans chaque autobus, chaque wagon de train de banlieue, chaque car de ramassage scolaire, avec tous les couvre-feux ou Ă©tats de siège nĂ©cessaires et l’interdiction, de jour comme de nuit, des rassemblements de plus de trois adolescents sur la voie publique (comme vient de le dĂ©cider un maire de banlieue). Les moyens financiers nĂ©cessaires et supplĂ©mentaires seront avantageusement gagnĂ©s sur les non-crĂ©ations ou suppressions de postes d’enseignants, d’éducateurs spĂ©cialisĂ©s, de magistrats, d’assistants sociaux, d’inspecteurs du travail, d’îlotiers, d’infirmières et mĂ©decins scolaires, et sur les Ă©conomies rĂ©alisĂ©es en suppression de subventions aux associations d’habitants et d’initiatives culturelles, et, bien entendu, adaptons les budgets de l’État et des collectivitĂ©s locales, c’est-Ă -dire la fiscalitĂ©, Ă  ces nouvelles exigences : coĂ»t d’un seul jeune en « Centre d’Éducation RenforcĂ©e Â», 2 000 F. (305 €) par jour, soit 730 000 F. (111 288 €) par an, coĂ»t approximatif de la scolaritĂ© d’un bachelier de la maternelle au bac, 500 000 F. (76 225 €), pour quinze ans d’école. Continuons…

 

Mais alors aussi, qu’on ne compte pas sur moi, professeur de philosophie en banlieue, pour me faire complice de cette violence meurtrière, constante, massive et rĂ©pĂ©tĂ©e des institutions, sociĂ©tĂ©s immobilières ou financières, entreprises et pouvoirs publics : mes Ă©lèves sont Ă  peu près bons ou moyens, issus de toute la planète, tout Ă  fait « intĂ©grĂ©s Â», et tout Ă  fait prĂŞts Ă  participer aujourd’hui ou demain Ă  n’importe quelle rĂ©volte qui pourra leur donner le sentiment d’exister enfin (pour les lycĂ©ens, c’est tous les quatre ans : rendez-vous en octobre 2002 ?). Mon seul objectif, pour ceux dont j’ai la responsabilitĂ©, est d’essayer de leur permettre : de construire l’intelligence et l’efficacitĂ© civique de leurs refus, voire de leur violence ; ou de sortir de leur rĂ©signation infiniment plus inquiĂ©tante et massive que les violences visibles ; ou encore d’échapper aux pièges de l’imitation Ă  leur Ă©chelle dĂ©risoire des prĂ©dateurs de la mondialisation libĂ©rale (les parades en « bĂ©hèmes Â» neuves, ça ne dure pas longtemps, en tout cas moins longtemps que les opĂ©rations bancaires douteuses dont les contribuables Ă©pongent les rĂ©sultats). C’est tout ce que je peux leur dire : « Les adultes autour de vous ne respectent pas la loi ? Raison de plus pour vous d’apprendre Ă  y obĂ©ir parce que vous apprenez aussi Ă  participer Ă  son Ă©laboration. Il faut bien que quelqu’un commence ! Â» J’ai dĂ©jĂ  rencontrĂ©, Ă  tous les Ă©chelons de la hiĂ©rarchie, des policiers qui savaient aussi leur tenir ce langage, rĂ©publicain. Et heureusement, avant d’arriver, survivants de la sĂ©lection scolaire, en classe terminale, certains, parfois, ont dĂ©jĂ  eux-mĂŞmes rencontrĂ© un professeur, un policier ou un magistrat qui savait leur parler et leur dire la loi, parce qu’ils avaient dĂ©jĂ  pris leur parti, dans le refus des fatalitĂ©s ou violences en miroir.

Mais l’alliance nĂ©cessaire des Ă©ducateurs, de la police, des jeunes de banlieue et du peuple, comment l’établir si les responsables politiques font, par peur et dĂ©magogie Ă©lectorale, dans une surenchère destructrice de tout civisme ? Le sempiternel dĂ©bat entre rĂ©pression et prĂ©vention n’a ici aucun sens : s’agissant de l’action de la police, chaque policier peut et doit comprendre que toute action de rĂ©pression, y compris par la force, doit ĂŞtre aussi, pour n’importe quel jeune, Ă©ducative, au plein sens du terme. Sinon la police n’est plus qu’une bande en uniforme, elle n’est pas la police. Et ce raisonnement pour les policiers vaut Ă©videmment pour tous les reprĂ©sentants de l’État. Que les adultes commencent ! Et s’il est vrai qu’un peu moins de 50 000 mineurs ont fait l’objet en l’an 2 000 de mesures pĂ©nales, ce sont plus de 150 000 mesures judiciaires qui ont dĂ» ĂŞtre prises la mĂŞme annĂ©e pour protĂ©ger les enfants et les adolescents victimes des maltraitances, incestes, viols et violences de toute sorte que leur ont fait subir les adultes. Qui expliquera Ă  la jeune dĂ©butante terrorisĂ©e en collège que, si un de ses Ă©lèves la traite de « salope Â» ou lui crache dessus, ce peut ĂŞtre l’effet par exemple, douze ans plus tard, de telle fessĂ©e dĂ©culottĂ©e infligĂ©e en CP devant toute la classe ricanante ? « Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimĂ© ; il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimĂ©. Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacrĂ© et le plus indispensable des devoirs. » (Articles 34 et 35 de la DĂ©claration des Droits de l’Homme et du Citoyen, rĂ©daction de 1793). Mais la citation de ces articles ne tomberait-elle pas sous le coup de l’article 433-10 du code pĂ©nal qui rĂ©prime « la provocation directe Ă  la rĂ©bellion ? Â»

 

 

Bernard Defrance,

professeur de philosophie,

vice-président de la section française de Défense des Enfants International.

 

 

 


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