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Paru dans les Cahiers Pédagogiques, n° 303, avril 1992

Paru dans les Cahiers Pédagogiques, n° 303, avril 1992.

 

 

Des élèves de terminales se souviennent

de leur entrĂ©e en seconde. *

La classe de seconde est encadrĂ©e par deux moments forts importants pour l’avenir des Ă©lèves : l’orientation en fin de troisième et en fin de seconde. Il est donc inĂ©vitable qu’en demandant Ă  mes Ă©lèves d’écrire leurs " souvenirs " de la classe de seconde je trouve principalement des remarques sur cette question de l’orientation. Elles ne sont pas du tout rassurantes.

En seconde, j’étais l’une des seules Ă  ĂŞtre bonne en physique. Mais arrivĂ©e en première S mes rĂ©sultats chutèrent brutalement ! Maintenant je regrette ce passage en S et j’ai toujours d’énormes difficultĂ©s Ă  suivre. DĂ©jĂ  j’avais dĂ» redoubler ma troisième, et je suis convaincue Ă  prĂ©sent que j’aurais mieux fait de faire un CAP de coiffeuse qui m’aurait assurĂ© un avenir, plutĂ´t que de faire ces Ă©tudes qui me mèneront sĂ»rement au chĂ´mage. (StĂ©phanie, TD).

En fin de troisième, on nous prĂ©sente les orientations possibles de telle façon qu’il est impossible de comprendre les enjeux rĂ©els des choix entre BEP et LycĂ©e : on nous ment sur le " fossĂ© " entre 2nde et BEP. Ainsi beaucoup " se font avoir " et choisissent ce qu’ils croient ĂŞtre la facilitĂ©. (Yann, TD).

En fin de troisième, j’avais choisi le technique, pour me changer d’études qui me paraissaient trop " gĂ©nĂ©rales ". L’ambiance de la seconde Ă©tait très bonne mais ce que j’avais dĂ©sirĂ© apprendre n’était pas du tout ce qu’on m’apprenait : par exemple, je voulais apprendre Ă  me servir d’un ordinateur et je n’y ai touchĂ© qu’une seule fois dans l’annĂ©e ! On me plaçait devant des " machines " devant lesquelles je me sentais impuissant. Et puis les techniciens sont considĂ©rĂ©s comme " infĂ©rieurs " aux autres : lorsque je sortais dans la cour avec ma blouse j’avais honte... (TD).

Après deux troisièmes, j’ai enfin réussi à passer en seconde... Le problème est qu’on n’a qu’une seule année pour décider de son orientation et, si on se plante, c’est foutu pour le reste du lycée. (Frédéric, TD).

Ă€ la fin de la troisième, mes rĂ©sultats me dĂ©signaient pour suivre des Ă©tudes scientifiques. Mais en seconde je me suis retrouvĂ© mĂ©langĂ© avec des Ă©lèves qui voulaient faire des Ă©tudes artistiques ou littĂ©raires et la classe s’est retrouvĂ©e partagĂ©e entre ceux qui voulaient faire S et ceux qui voulaient faire A. RĂ©sultats : je me suis dĂ©sintĂ©ressĂ© des Ă©tudes scientifiques et j’ai voulu faire B. Mais ce me fut impossible Ă  cause de l’économie et de l’histoire-gĂ©ographie, et les profs ont dĂ©cidĂ© de me faire redoubler pour faire de moi un bon scientifique. C’est comme ça que je me suis retrouvĂ© en première S puis en terminale D, alors que la physique ne m’intĂ©resse pas du tout. (TD).

Je n’ai pas choisi ma branche ! Mes vĹ“ux en fin de troisième Ă©taient de faire F12 qui prĂ©pare le bac " Arts appliquĂ©s ". Par une sĂ©lection sĂ©vère des dossiers, je n’ai pas pu faire ce que j’aimais : dessiner. J’ai Ă©tĂ© orientĂ© en seconde TSA, " Technologie des Systèmes AutomatisĂ©s " : des mots qui font rĂŞver quand on est en troisième, oĂą on se fait des " films " sur ce qui va se passer au lycĂ©e. On ne sait jamais Ă  quoi correspondent vraiment les orientations... (TF1).

Je ne me souviens plus très bien de l’orientation en fin de troisième : je me souviens seulement que je voulais faire du technique parce que j’étais fainĂ©ant... (TF1).

Mon orientation s’est dĂ©cidĂ©e en moins de 10 minutes au cours d’un " dialogue " avec la directrice du collège : " Pourquoi avez-vous demandĂ© le redoublement en troisième ? J’ai vu vos notes, vous pouvez très bien aller en seconde ! " Moi : " Vous ĂŞtes sĂ»re de ne pas vous ĂŞtre trompĂ©e de bulletin ? " La voilĂ  qui vĂ©rifie mes notes en 4 secondes : " Eh bien, vous pouvez aller en seconde technique Ă  Coubertin : ils prennent absolument n’importe qui ! " (FrĂ©dĂ©ric, TD).

1ère troisième : Ă©chec total. 2ème troisième : les profs me proposent un BEP. Mes parents refusent et font appel. Je pensais n’avoir aucune chance si je demandais une seconde IES, j’ai donc demandĂ© une seconde TSA. C’est comme ça que je me suis retrouvĂ© en technique. (Jean-Marc, TF1).

Faut-il continuer ? Lassant de dire et rĂ©pĂ©ter ces Ă©vidences massives : l’orientation des Ă©lèves est un scandale majeur, aussi bien au collège qu’au lycĂ©e. Sur les deux ou trois cents Ă©lèves que j’ai chaque annĂ©e, seuls peut-ĂŞtre une vingtaine ont rĂ©ellement choisi, en connaissance de cause, leur orientation. Le fatalisme est le sentiment dominant, mĂŞme quand, finalement, ce qu’ils font les intĂ©resse. On se gargarise actuellement de la notion de " projet personnel de l’élève " : dans l’état actuel des choses c’est une fumisterie dans l’immense majoritĂ© des cas. Cela se traduit le plus souvent par la simple question : " Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? " et la rĂ©ponse inĂ©vitable : " Ben... ".

Je propose : qu’on remplace le temps perdu que sont les classes de troisième et seconde, par deux annĂ©es d’information et d’orientation rĂ©elles. Que les jeunes (grosso-modo entre 15 et 17 ans) fassent le maximum possible d’expĂ©riences professionnelles et sociales en grandeur rĂ©elle, qu’ils puissent rĂ©flĂ©chir ces expĂ©riences et reprendre leurs Ă©tudes une fois sĂ©rieusement informĂ©s de ce qui les attend. Je crois qu’on ferait beaucoup d’économies, ne serait-ce qu’en Ă©vitant des redoublements sans autre justification que celle d’assurer les enseignants de leur pouvoir.

Bernard Defrance.

 


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