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Paru dans les Cahiers Pédagogiques, n° 311, février 1993

Paru dans les Cahiers PĂ©dagogiques,  n° 311, fĂ©vrier 1993.

Est-ce que j’ai le droit de lui rendre ? "

Stage Mafpen dans un collège de banlieue : les collègues stagiaires Ă©coutent la discussion que j’anime dans une classe de sixième. Les enfants parlent du quotidien de l’école, quand, soudain, urgente, imprĂ©visible, la question surgit : " M’sieur, si un prof me tape dessus, est-ce que j’ai le droit de lui rendre ? " Une seconde de rĂ©flexion et : " Non, tu n’as pas le droit. " Le gamin se rĂ©crie : " Mais... il me tape dessus ! Il a pas le droit ! – Oui. Il n’a pas le droit. Et donc tu n’as pas le droit non plus. Si, quand je conduis ma voiture, arrĂŞtĂ© Ă  un feu rouge, un imbĂ©cile brĂ»le le feu Ă  cĂ´tĂ© de moi, cela ne m’autorise pas Ă  en faire autant. – ... Mais alors qu’est-ce que je peux faire ? – Eh bien il faut savoir si, dans ton collège, il existe des moyens pour que tu puisses porter plainte, enfin... l’équivalent de " porter plainte ". – Mais le prof il a toujours raison ! – Non. Et tu ne peux grandir qu’en dĂ©couvrant que les adultes peuvent se tromper. Bien entendu, si un professeur te frappe, c’est probablement parce que tu l’as cherchĂ©, non ? Il a perdu, momentanĂ©ment, son sang-froid. On peut expliquer pourquoi. Alors, c’est vrai qu’une explication n’est pas une justification. Mais tu peux peut-ĂŞtre quand mĂŞme, après coup, comprendre ce qui s’est passĂ©. Et une fois le calme revenu, tu peux, peut-ĂŞtre, essayer de faire comprendre au prof qu’il aurait pu s’y prendre autrement. Mais... attends: si tu poses cette question, c’est que cela t’es dĂ©jĂ  arrivĂ©, non ? – ... – Et si cela t’es arrivĂ©, c’est peut-ĂŞtre que tu Ă©tais en tort et alors, tu ne peux protester contre le professeur qu’à la condition de reconnaĂ®tre aussi tes propres torts, non ? – Euh... "

Le problème n’est pas que, dans notre travail quotidien d’enseignants affrontĂ©s trois ou six heures par jour Ă  des groupes plus ou moins agitĂ©s, apathiques, indiffĂ©rents ou carrĂ©ment violents, nous soyons portĂ©s parfois Ă  des gestes de colère inconsidĂ©rĂ©s. Le problème n’est pas dans la transgression de la loi, il est dans sa nĂ©gation. Or, trop souvent, nous ne reconnaissons pas nos torts, tout en exigeant que l’autre reconnaisse les siens : " Celle-lĂ , tu ne l’as pas volĂ©e ! ". Qu’une claque parte toute seule, soit. Ă€ condition que l’excuse vienne ensuite, sang-froid recouvrĂ©. Qu’une place soit redonnĂ©e, le plus rapidement possible, Ă  une parole de rĂ©paration rĂ©ciproque. Que des procĂ©dures prĂ©cises existent qui permettent de re-instituer la loi. Les enfants savent bien que les adultes ne sont pas " parfaits "...

Il n’y a pas que la paire de claques : le fait de ne pas savoir lire et Ă©crire Ă  douze ans ne relève pas du Code pĂ©nal, oĂą l’analphabĂ©tisme n’est rĂ©pertoriĂ© nulle part ; en revanche, il existe des articles (de ce mĂŞme Code pĂ©nal) oĂą il est question d’injures publiques... Et, lĂ  aussi, si je me laisse aller Ă  des mots blessants, ironiques ou mĂ©prisants Ă  l’égard d’un Ă©lève, sans rĂ©paration, je fausse radicalement son rapport Ă  la loi, cette loi dont je suis pourtant le garant en tant qu’agent de l’État. Je propose donc :

– qu’on examine ce qui se passe quotidiennement Ă  l’école du point de vue de la loi, des Codes pĂ©nal et civil ;

– qu’on introduise l’enseignement du droit dès le collège, au moins le minimum nĂ©cessaire pour se comporter en citoyen ordinaire...

Il serait Ă©videmment souhaitable aussi que nous soyons, nous enseignants, informĂ©s de ces questions Ă©lĂ©mentaires et que nous ne soyons pas les premiers Ă  nier la loi dont nous sommes porteurs : combien de fois n’a-t-on pas entendu, en maternelle par exemple, conseiller Ă  l’agressĂ© de " rendre " les coups ? " Tu n’as qu’à te dĂ©fendre ! "... Dures les rĂ©crĂ©ations, parfois... Mais faut-il se rĂ©signer Ă  la loi du plus fort ?

Si l’école est une zone de non-droit, toutes les acquisitions de savoirs y demeurent soit inutiles, soit nuisibles, puisque devenir savant n’est plus alors qu’un moyen de devenir " le plus fort ". Et il n’est besoin que d’ouvrir le journal pour constater les rĂ©sultats de la politique des " instruits ".

Bernard Defrance.


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