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Bernard DEFRANCE,

Bernard Defrance,

professeur de philosophie,

lycée Maurice Utrillo, Stains.

 

 

La classe, au quotidien.

Les tĂ©moignages d’élèves de terminales techniques, dont on trouvera la transcription ci-après (1), ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s dans mes classes du lycĂ©e La Fayette Ă  Champagne-sur-Seine en 1985, et ont fait l’objet de trois Ă©missions de huit minutes chacune diffusĂ©es sur France-Culture les 3, 10 et 17 avril 1985 dans le cadre des Ă©missions du Centre National de Documentation PĂ©dagogique. Ces trois fois huit minutes ont Ă©tĂ© extraites et montĂ©es Ă  partir de cinq heures d’enregistrement, les Ă©lèves ayant pu contrĂ´ler avant la diffusion que leurs propos n’avaient pas Ă©tĂ© dĂ©formĂ©s au montage.

C’est une des dimensions fondamentales du travail philosophique que je tente de conduire avec mes Ă©lèves qui se trouve ici rĂ©vĂ©lĂ©e : tenter de comprendre sa propre situation pour, si possible, essayer de ne plus se contenter de la subir. Qu’est-ce en effet qu’un travail philosophique s’il n’est pas d’abord interrogation sur le sens de ce que l’on fait ? Et le " faire " des Ă©lèves est bien leur travail scolaire. " Qu’est-ce que vous faites lĂ  ? " : c’est la première question que je pose Ă  mes Ă©lèves au dĂ©but de l’annĂ©e scolaire (2). Et ce sera aussi la dernière question, celle qui court, souvent invisible, Ă  travers les vicissitudes des apprentissages (la dissertation du bac !), des lectures de textes, des Ă©critures originales, banales ou  " dĂ©lirantes " (le dĂ©lire philosophique !), des dĂ©bats mornes ou serrĂ©s, des " règlements de comptes " (verbaux !), des enjeux scolaires ou vitaux, qui les feront fuir et revenir, s’inquiĂ©ter ou s’endormir, travailler (comme on dit que le bois travaille), qui se posera encore lorsque nous nous quitterons, ayant appris, peut-ĂŞtre, qu’elle n’a pas de rĂ©ponse autre que celle qu’on peut dĂ©cider ou non de lui donner, dĂ©sormais, peut-ĂŞtre, aguerris, si peu que ce soit, Ă  supporter l’inachèvement inĂ©vitable de toute quĂŞte de sens.

Les auditeurs pourront aussi bien sĂ»r s’interroger sur ce qui rend possibles de tels Ă©changes, en classe. Sur ce qui rend possible que, devant ses camarades, Franck Deschamps (3) ose dire : " Je me sens nul...". Sur ce qui rend possible que Brahim SiraĂŻ, marocain arrivĂ© en France Ă  l’âge de sept ans sans connaĂ®tre un mot de français (4), parle de la manière dont il le fait. Sur ce qui donne Ă  Gilles Baulard (5) cette intelligence si fine des rapports de pouvoir dans la classe et l’atelier et qui lui permet de dĂ©voiler ses " ruses " Ă  un professeur qu’il voussoie et tutoie alternativement...

Mais, plus encore, ce que rĂ©vèlent ici les Ă©lèves est la difficultĂ© Ă  se construire soi-mĂŞme, comme personne et comme citoyen. Qu’en est-il, en effet, des caractĂ©ristiques institutionnelles, voire juridiques (et pas seulement psychologiques), des relations entre professeurs et Ă©lèves ? Comment construire le rapport au savoir quand la recherche de la vĂ©ritĂ© se trouve rĂ©duite Ă  celle de la conformitĂ© ? Comment construire le rapport Ă  la loi quand celle-ci se rĂ©duit aux règles, parfois contradictoires entre elles, imposĂ©es par les enseignants ?

Aucune fatalité, cependant, ici : puisque ces élèves sont lucides et peuvent verbaliser, analyser les situations dans lesquelles ils sont pris, et dès lors peuvent commencer à s’en déprendre...

(1) La transcription de ces Ă©missions, l’introduction et les notes ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es pour les chefs d’établissements participant Ă  un stage national de formation au centre Condorcet Ă  Paris, le 18 mai 1994, ainsi que pour les participants Ă  l’UniversitĂ© d’ÉtĂ© de la Police Nationale, Ă  Marseille, le 31 aoĂ»t 1994. Ces enregistrements sont Ă©galement utilisĂ©s lors d’interventions au Centre National de formation pĂ©dagogique des Maisons Familiales Rurales Ă  Chaingy (45) depuis 1989, et dans divers stages Mafpen. Cette transcription a Ă©tĂ© reprise dans La planète lycĂ©enne, Ă©ditions Syros, 1996, avec des commentaires supplĂ©mentaires. La cassette audio est disponible, sous rĂ©serve de me fournir une cassette vierge, d’assurer les frais de port et de s’engager Ă  me rĂ©diger un compte-rendu de la (ou des) sĂ©ance(s) oĂą elle sera utilisĂ©e, ou bien de m’en rĂ©diger un commentaire (mĂŞme bref !).

Note de mai 2000 : j’espère pouvoir bientôt fournir sur Internet la possibilité d’entendre les enregistrements eux-mêmes.

(2) Cf. Le Plaisir d’enseigner, éd. Quai Voltaire, 1992, p.22-47.

(3) Aujourd’hui architecte.

(4) Aujourd’hui naturalisé français, professeur agrégé d’électrotechnique après son succès à l’ENSET.

(5) Aujourd’hui ingénieur.

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1ère émission

 

" Vivre au lieu de suivre... "

Les trois Ă©lèves qui s’expriment ici, Franck Deschamps, Frank Mahieu et FrĂ©dĂ©ric Doucet, faisaient partie d’un groupe d’une quinzaine d’élèves de la classe de terminale F1 (Fabrication mĂ©canique) de l’annĂ©e 1984-85, qui venaient rĂ©gulièrement participer Ă  l’heure de Français optionnel destinĂ©e Ă  ceux qui se prĂ©paraient Ă  repasser l’épreuve de Français du baccalaurĂ©at. En rĂ©alitĂ©, aucun d’entre eux n’avait l’intention de repasser cette Ă©preuve, et, comme ils n’avaient pas encore, Ă  cette Ă©poque, de philosophie Ă  leur programme de terminale, nous faisions de la philosophie... Lors de l’entretien, ils sont tous prĂ©sents et tous ont parlĂ©. Si l’on en n’entend que trois, c’est par suite des choix au montage (cette remarque vaut Ă©galement pour les deux autres Ă©missions). Ces huit minutes sont tirĂ©es d’une heure d’enregistrement (1). J’ajoute quelques notes destinĂ©es Ă  donner un Ă©clairage sur le contexte ou Ă  souligner quelques pistes de rĂ©flexion possibles. Ces notes sont en fin de chaque Ă©mission.

 

 

 

 

Bernard Defrance : Alors, la vie quotidienne au lycĂ©e ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

Franck Deschamps : Très dur, très... enfin, c’est la vie. Savoir pourquoi on fait ça (2). On se demande souvent, c’est... Sinon on peut travailler bĂŞtement, et accumuler des tensions (3), qui se rejettent après dans l’internat (4) ou dans les rĂ©fectoires ou pendant les rĂ©crĂ©ations, ou mĂŞme pendant les cours contre les profs. Faire des choses qu’on a n’a pas envie de faire (5), ça crĂ©e des tensions, avec soi-mĂŞme, on n’est pas d’accord avec soi-mĂŞme, et on le fait comprendre aux autres, mĂŞme sans le savoir (6) qu’on n’est pas d’accord avec soi-mĂŞme... Et après ça fait un report, je ne sais pas, je ne peux pas expliquer ça moi, je ne suis pas...

Frank Mahieu : Pour ma part, j’ai constatĂ© que la classe, le milieu scolaire crĂ©ent une situation de surrenchĂ©rissement constant, et qu’on est tout le temps en train d’essayer d’être meilleur que l’autre, et c’est une compĂ©tition constante, Ă©nervante, fatigante, et moi, je suis externe, et quand je rentre chez moi, je m’aperçois que mes parents sont calmes et que moi je suis complètement excitĂ© par la journĂ©e, et qu’ils n’arrivent pas Ă  me suivre, et ils me demandent de me calmer, parce qu’avec eux j’ai pas Ă  essayer d’être important. Il y a une espèce de... j’appellerais pas ça une psychose mais une maladie... une maladie qui veut que, quand on parle, en groupe, avec des camarades, on est tout le temps en train de vouloir ĂŞtre le centre de la discussion (7), mĂŞme si dans la vie je dirais extrascolaire on est tout Ă  fait anodin et pas Ă©gocentrique du tout. Donc ça crĂ©e des tensions, et un climat tout Ă  fait Ă©nervant, et qui ne correspond pas du tout aux Ă©tudes, ça peut pas... ça peut pas coller en somme (8).

B.D. : Tu veux dire que dans ta famille tu n’es pas obligĂ© de jouer un rĂ´le, et ici, tu es constamment obligĂ© de jouer un rĂ´le ? (9)

F.M. : Oui.

B.D. : Pourquoi ?

F.M. : C’est une façade... C’est le cĂ´tĂ© " moi je suis le plus beau, moi je suis le plus fort " qui ressort, il est obligĂ© de ressortir mĂŞme si on se bagarre (10)... Ă€ un moment ou Ă  un autre on va, soit mentir, soit exagĂ©rer un fait, pour ĂŞtre le centre de la discussion ou le... celui qui a fait ça (11). Et ça, c’est tout le temps sur le qui-vive Ă  chercher mĂŞme les fautes des autres pour pouvoir les rabaisser et donc monter de niveau, et c’est assez Ă©nervant et fatigant.

F.De. : En F1, on est assez vite classĂ©. C’est une classe de (12)... de manuels, de... de gros... enfin de gros durs, ça se vĂ©rifie cette annĂ©e d’ailleurs, c’est marrant, moi je ne voulais absolument pas ça (13), quand je suis allĂ© en F1, on m’a dit: attention... c’est le truc oĂą il fallait pas aller, quoi ! C’est quelque chose... le plus bas qu’il puisse y avoir Ă  La Fayette ! (14) C’est toujours le mĂŞme problème, il y a des gens qui ne savent pas pourquoi ils sont lĂ , mais qui viennent quand mĂŞme, d’ailleurs Ă  mon avis mĂŞme moi je ne sais pas pourquoi je viens lĂ  (15), seulement il faudrait que les gens qui viennent et qui savent pas pourquoi ils sont lĂ , qu’ils comprennent que, Ă  la limite, il vaudrait mieux pas qu’ils viennent que de gĂŞner les autres.

FrĂ©dĂ©ric Doucet : Ce que j’ai Ă  dire, c’est Ă  peu près la mĂŞme chose que Franck, c’est-Ă -dire que, il y a cette sĂ©lection, cette compĂ©tition, et on a... en terminale, le but, c’est quand mĂŞme le bac, donc, ce qui fait que c’est un peu la course aux bonnes notes (16), et donc comme on a, c’est vrai qu’on a un emploi du temps chargĂ© (17), en fait on profite pas tellement de la vie qu’il pourrait y avoir Ă  l’intĂ©rieur du bahut, quoi, parce que, bon, on pourrait faire des choses très intĂ©ressantes et on n’a pas toujours le temps de le faire, si on voulait vraiment faire tout notre travail scolaire, on y serait tous les soirs, quoi... On n’arrĂŞterait pas souvent, donc il faut... ou alors il faudrait faire des sacrifices, c’est ce qu’on fait de temps en temps, des fois, bon, on n’a pas envie de bosser, alors on bosse pas, quoi, mais disons qu’on pourrait profiter de la vie un petit peu plus, quoi, disons vivre au lieu de suivre. Enfin moi c’est mon impression, j’ai l’impression de suivre le flot de tous les Ă©lèves, c’est ça... (18)

B.D. : Est-ce qu’il vous arrive de le dire cela, ce que vous venez de dire, est-ce qu’il vous arrive de le dire Ă  des profs ?

F.Do. : Non (19).

B.D. : Pas seulement entre vous, mais...

F.Do. : Non, parce qu’on a des relations avec les profs qui sont des relations profs-Ă©lèves et qui vont pas plus loin, quoi. C’est-Ă -dire les profs ont fini leur cours, bon, ils s’en vont de leur cĂ´tĂ©, nous du nĂ´tre, et on les revoit pas après, quoi. (20)

B.D. : Comment ça se passe avec les profs ? Comment tu les vois les profs ?

F.De. : Les profs ? Avec autant de problèmes que nous, hein (21)... Peut-ĂŞtre plus mĂŞme, mais... Mais ils ont des atouts, des armes (22), dont ils se servent des fois mal, mais ils ont plus d’armes que nous, ils peuvent nous embĂŞter... J’ai remarquĂ© une chose, j’ai essayĂ© d’être dĂ©lĂ©guĂ© deux, trois fois dans ma scolaritĂ©, et une classe c’est extrĂŞmement ingrat, ça vous remercie pas, ça prend tout ce que ça peut, mais ça ne donne jamais rien (23). Une classe c’est très fragile en fait, une ambiance de classe pour que ça marche parfaitement bien, c’est pratiquement impossible, quoi, mais on peut s’en approcher...

F.M. : Mais dans une classe comme la TF1, et dans (24) les professeurs qu’on a, où ce sont des matières assez techniques ou scientifiques, l’esprit de compétitivité ou d’animosité entre classe et professeur est accru par la difficulté de compréhension de la matière...

(...)

F.De. : Si je cherche un but dans ma vie scolaire, c’est-à-dire que je cherche un but aussi dans ma vie, et j’en trouve nulle part, alors ça fait très peur...

B.D. : Ça fait très ?

F.De. : Très peur !

B.D. : Très peur... (25)

F.De. : Enfin... ça fait pas peur, mais... je me sens nul, abstrait (26), je ne sais pas ce que je fais, je me domine pas et... je fais quelque chose, pour quoi ? pour qui ?... J’en sais rien, alors c’est... ça sort du domaine scolaire, mais ça rentre aussi dans le domaine scolaire...

 

(1) Effectué par Robert Tison, ingénieur du son au CNDP.

(2) " Pourquoi " : il ne s’agit pas ici du " pourquoi " au sens de la cause mais au sens du but, de la finalitĂ©, du sens justement ; " pour - quoi ?  " ; d’emblĂ©e, il s’agit de la question philosophique la plus radicale : si le sens de ce que l’on fait Ă©chappe, les tâches perdent alors tout intĂ©rĂŞt, et les enseignants de se lamenter : " Ils ne sont pas motivĂ©s...".

(3) " Tensions " : j’étais fort surpris les premières annĂ©es de mon travail au lycĂ©e La Fayette de constater, dans le train entre Champagne-sur-Seine et Melun, entre 18 heures et 18 heures 30, chez les nombreux Ă©lèves du lycĂ©e, du lycĂ©e professionnel tertiaire (beaucoup de filles) ou du CFA de Montereau qui l’empruntaient, des comportements qui me semblaient relever carrĂ©ment de la psychiatrie ! Hurlements, fous-rires sans raison apparente, moqueries rĂ©ciproques parfois fĂ©roces, esquisses de " bagarres " ou brimades diverses (empĂŞcher l’un d’entre eux de descendre Ă  sa station, en barbouiller un autre au crayon marqueur, etc.), et aussi abattements apathiques complets... Voir, sur ces mĂ©canismes de compression-dĂ©compression, les travaux d’Henri Laborit sur les origines de l’agressivitĂ© : le stress de la pression institutionnelle provoque bien des violences ou des inhibitions ; Henri Laborit, La nouvelle grille, Robert Laffont Ă©d., 1974.

(4) Le lycĂ©e La Fayette est un lycĂ©e technique industriel : 800 Ă©lèves environ, dont près de 500 internes, une quinzaine de filles perdues au milieu des garçons...

(5) " Envie " : encore une question radicale ici, celle du dĂ©sir. Objection habituelle : " Comment les Ă©lèves pourraient-ils dĂ©sirer ce qu’ils ne connaissent pas encore ? " Bien sĂ»r... Mais comment connaĂ®tre sans dĂ©sirer ? Question extraordinairement complexe. Cf. Françoise Dolto, Au jeu du dĂ©sir, Ă©d. du Seuil, 1981, notamment la communication du 22 avril 1972 Ă  la SociĂ©tĂ© française de Philosophie, p. 268-328.

(6) " Sans le savoir " : l’inconscient " parle " dans la classe, mieux vaut le savoir et donc prendre quelques prĂ©cautions ; cf. Fernand Oury et AĂŻda Vasquez, Vers une pĂ©dagogie institutionnelle, MaspĂ©ro Ă©d., 1967, rĂ©Ă©d. Matrice, 1992.

(7) Sur la question du " centre " : position convoitĂ©e mais aussi dangereuse, celle du pouvoir et aussi du "  bouc Ă©missaire ", celle, institutionnelle, du professeur, constamment sous le regard de vingt Ă  trente ou quarante " autres " ; noter aussi comment les mĂ©canismes de la compĂ©tition scolaire sont les mĂŞmes que ceux de la " frime " et engendrent donc les exclusions sous toutes leurs formes, avec les compensations, les rĂ©Ă©quilibrages, les rivalitĂ©s, les jeux claniques du mĂ©pris... Françoise Dolto : " La rĂ©ussite scolaire est un signe majeur de nĂ©vrose... ", prĂ©face Ă  Maud Mannoni, Le premier rendez-vous avec le psychanalyste, DenoĂ«l-Gonthier Ă©d., 1965 ; voir aussi RenĂ© Girard, La violence et le sacrĂ©, Grasset Ă©d., 1972.

(8) Frank indique bien ici une des causes majeures de ce qu’on appelle " la fatigue scolaire " : cf. Jean Oury, " Le problème de la fatigue en milieu scolaire ", dans Psychiatrie et psychothĂ©rapie institutionnelle, Payot Ă©d., 1976, p. 117-144.

(9) " Jouer un rĂ´le ", sauf, prĂ©cisĂ©ment, après un certain travail sur soi difficile, en classe de philosophie, oĂą l’on peut commencer Ă  apprendre Ă  se dĂ©faire des attitudes instituĂ©es, Ă  se libĂ©rer des rĂ´les hĂ©ritĂ©s ou imposĂ©s. Sinon, comment pourraient-ils parler comme ils le font Ă  ce moment mĂŞme ? Cela suppose bien sĂ»r que j’essaie moi aussi de me libĂ©rer du " rĂ´le " : c’est ici que la question juridique interfère avec la question psychologique, principalement en ce qui concerne la notation et les apprĂ©ciations (les jugements !) portĂ©es sur les bulletins et livrets ; voir " L’amour est aveugle, dit-on... " dans les Cahiers PĂ©dagogiques, n° 256, septembre 1987, et aussi Le plaisir d’enseigner, op. cit., p. 165-177.

(10) ... contre soi-mĂŞme ! Qui dira les Ă©nergies gaspillĂ©es dans ces conflits internes Ă  soi-mĂŞme ? Mais peut-on se rĂ©signer sans rĂ©sistance Ă  cette rĂ©duction de soi qu’impose l’institution ?

(11) Un " exploit " quelconque qui Ă©pate les camarades...

(12) Étonnante rencontre ici entre " classe " et " classĂ© " ? Non pas vraiment, voir Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard Ă©d., 1975.

(13) On ne voit pas bien ici ce que Franck " ne voulait absolument pas " : s’agit-il de l’ambiance de la classe qu’il refuse, l’étiquette qui colle aux F1 (Fabrication mĂ©canique : le cambouis... ; depuis cette section est devenue " Productique "...) ? Ou bien s’agit-il de son " orientation " mĂŞme en F1 ? Les deux interprĂ©tations sont peut-ĂŞtre aussi vraies l’une que l’autre.

(14) Allusion aux hiĂ©rarchies implicites entre les trois sections industrielles : au plus " bas ", les F1, ensuite les F3 (Électrotechnique), puis le " top-niveau ", les F2  (Électronique).

(15) Franck ne s’exempte pas lui-mĂŞme de la critique... ce qui explique peut-ĂŞtre cette scansion Ă©tonnante dans la voix en fin de phrase : " ... que les gens / qui viennent / et qui savent pas / pourquoi ils sont lĂ  / ... ".

(16) Les causes de cette " course " sont bien connues et certains peuvent parfois aller jusqu’à dire que le contrĂ´le des connaissances tend Ă  prendre aujourd’hui presque plus de temps que leur acquisition ! La confusion constamment entretenue entre situations d’apprentissage et situations de contrĂ´le (cf. Patrice Ranjard, Les enseignants persĂ©cutĂ©s, Robert Jauze Ă©d., 1984), ainsi que celle des rĂ´les d’enseignement et de sĂ©lection est Ă  l’origine de perversions considĂ©rables dans la relation pĂ©dagogique ; de mĂŞme qu’elle empĂŞche radicalement, ou tout au moins rend très difficile chez les Ă©lèves la construction de la citoyennetĂ© puisque cette confusion, inscrite institutionnellement, contredit un des principes fondamentaux du droit selon lequel nul ne peut ĂŞtre juge et partie (cf. Sanctions et discipline Ă  l’école, Syros Ă©d., 1993).

(17) Horaire hebdomadaire dans cette section cette annĂ©e-lĂ  : 43 heures de cours et d’atelier (pas de cours le samedi matin, Ă  cause de l’internat..., trois journĂ©es de neuf heures et deux de huit heures) ; compter une moyenne de dix heures au moins de travail personnel si on souhaite " suivre "... Ce qui n’empĂŞche pas ces Ă©lèves-ci de venir passer une heure hebdomadaire en philosophie, complètement gratuitement. La question du temps, c’est très compliquĂ©...

(18) Inversion Ă©tonnante ici du sens habituel de l’expression : " faire des sacrifices ", c’est ne pas travailler ! OĂą FrĂ©dĂ©ric retrouve un des sens anthropologiques du sacrifice : coupure, arrĂŞt (" on n’arrĂŞterait pas souvent  "...), moment rĂ©gulateur de la violence (du " flot ") ; cf. Guy Rosolato, Le sacrifice, repères psychanalytiques, P.U.F. Ă©d., 1987.

(19) Et c’est pourtant bien Ă  un professeur que FrĂ©dĂ©ric parle Ă  ce moment mĂŞme... Peut-ĂŞtre est-il nĂ©cessaire de crĂ©er les situations – elles ne tombent pas du ciel – oĂą une telle parole, sans risque excessif, devient possible. Cf. Philippe Perrenoud, " Regards sociologiques sur la communication en classe ", dans MĂ©tier d’élève et sens du travail scolaire, ESF Ă©d., 1994, p. 145-159.

(20) Il ne vient pas spontanĂ©ment Ă  l’esprit de FrĂ©dĂ©ric que cette communication vraie pourrait peut-ĂŞtre s’instituer pendant les cours eux-mĂŞmes : parler avec le prof, c’est toujours en fin de cours, dans les interstices des interclasses, et Ă  condition d’avoir rĂ©ussi Ă  dĂ©passer la peur de passer pour un " fayot " aux yeux des camarades...

(21) Franck s’interdit systématiquement la facilité. Peut-être a-t-il aussi remarqué que la question du sens et du désir qu’il pointait dans ses interventions initiales et qu’il reprend à la fin, valait également pour le professeur.

(22) " Armes " : le rapport pĂ©dagogique est-il condamnĂ© Ă  ne pouvoir ĂŞtre vĂ©cu que sur le mode des rapports de forces ? Voir dans l’émission suivante l’expression de Brahim SiraĂŻ : " tactique de guerre ".

(23) Ă€ l’occasion de son expĂ©rience de dĂ©lĂ©guĂ© de classe, Franck en vient Ă  repĂ©rer ce qu’il en est probablement de la frustration essentielle induite chez l’enseignant par la structure institutionnelle dans laquelle il se trouve pris (comme les Ă©lèves eux-mĂŞmes) : structure Ă  sens unique, vertical, descendant. Or, ce qui caractĂ©rise le droit, c’est-Ă -dire l’organisation la plus rationnelle possible des relations sociales, c’est la rĂ©ciprocitĂ©. C’est aussi cette rĂ©ciprocitĂ© qui fonde tout Ă©change humain. Et c’est en ce sens qu’on peut dire que la structure institutionnelle de la classe crĂ©e une situation de non-droit : certes, il s’agit d’éducation, et donc il est impossible de nier magiquement la dĂ©nivellation entre l’enseignant, adulte, et les Ă©lèves, enfants ou adolescents, cette diffĂ©rence se rĂ©vĂ©lant prĂ©cisĂ©ment nĂ©cessaire pour que l’enfant grandisse. Et donc toute la question pĂ©dagogique consiste prĂ©cisĂ©ment Ă  organiser les situations, instituer les mĂ©diations, qui permettront de passer progressivement de la non rĂ©ciprocitĂ© parasitaire du nourrisson Ă  la rĂ©ciprocitĂ© coopĂ©rative de l’adulte. Si l’école maintient des structures non rĂ©ciproques, alors elle forme des " parasites ", habituĂ©s seulement Ă  recevoir passivement, ou plutĂ´t Ă  " pomper " chez l’autre sa substance (" Ils m’ont vidĂ© aujourd’hui... " dit l’enseignant Ă©puisĂ© en rentrant dans la salle des profs !). Les effets psychologiques de cette situation sont incalculables (sur la prolongation actuelle de l’état d’adolescence par exemple), et ils sont aussi très graves sur la (non)construction de la citoyennetĂ©. C’est la critique de ces structures institutionnelles qui justifie toutes les pĂ©dagogies coopĂ©ratives.

(24) " Dans " et non " avec " : lapsus très prĂ©cisĂ©ment rĂ©vĂ©lateur, le " dans " parasitaire et non le " avec " coopĂ©ratif.

(25) On ne peut pas confondre " peur " et angoisse. La question est bien ici, comme toujours ou presque, celle du retournement de l’angoisse en Ă©nergie : question pĂ©dagogique, d’accès Ă  la culture. Franck parle ici devant tous les autres, en ma prĂ©sence : le jeu de la " frime " dĂ©noncĂ© par Frank (l’autre ! sans " c "...) n’est pas fatal. Sur la question de l’angoisse, voir Jean-Paul Sartre, L’Être et le NĂ©ant, Gallimard Ă©d., 1943, p. 64 et suivantes, Jean Oury, " L’angoisse et l’école ", entretien avec Lucien Martin dans les Cahiers PĂ©dagogiques, n°156, septembre 1977, et Michel Serres, Genèse, Grasset Ă©d., 1982, p. 215 et 216.

(26) " Abstrait " : littĂ©ralement, je ne suis pas lĂ ...

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2ème émission

 

" Limiter les dĂ©gâts... "

 

Pour complĂ©ter mon service, j’enseignais Ă©galement le français en classes prĂ©paratoires aux BTS. Il s’agit ici des Ă©lectrotechniciens et c’est la deuxième annĂ©e que je travaille avec eux. Ils sont tous prĂ©sents (28 Ă©lèves) et ce n’est que le montage radio qui en laisse entendre quatre seulement : Brahim SiraĂŻ, Yannick Giguet, Jean-François Poisot et Christian Souris. LĂ  aussi, il s’agit d’élèves qui n’ont pas encore eu d’enseignement philosophique en terminale, et leur programme de " Français, formation gĂ©nĂ©rale " peut nous permettre aisĂ©ment, surtout en deux ans, en plus de la prĂ©paration de l’épreuve de français au BTS, de faire de la philosophie. Ces huit minutes sont tirĂ©es de trois heures d’enregistrement.

 

 

 

B.D. : Comment ça se passe les relations, en gĂ©nĂ©ral, avec les profs ? Dans cette classe ?

Brahim SiraĂŻ : ... Ça se passe plus ou moins bien, on essaye de limiter un peu les dĂ©gâts, en essayant de discuter le plus souvent avec le prof en dehors des cours ou sur des sujets qui ne se rapportent pas forcĂ©ment Ă  la physique ou aux mathĂ©matiques, tout ça pour se sentir plus en confiance devant le prof. Avec certains profs on y arrive, avec d’autres... Ils ont peur peut-ĂŞtre, je ne sais pas moi, de quelque jugement un peu hâtif de notre part ou de se sentir un peu mal Ă  l’aise, en rigolant avec nous, en dĂ©couvrant un peu une personnalitĂ© qu’on connaĂ®t pas...(1) Leur atout c’est ça : de rester... " Je suis supĂ©rieur Ă  vous, je suis votre prof, bon, je fais mon cours et puis, bon, si vous avez quelque chose Ă  dire, ça sera sur le cours et sans plus " (2).

Yannick Giguet : C’est surtout que certains profs, ils gardent des mĂ©thodes d’il y a vingt ans. Par exemple, notre prof d’électricitĂ©, il est jeune et il n’a pas les mĂŞmes mĂ©thodes et ça passe mieux avec lui que certains autres profs qui gardent leurs mĂ©thodes qu’ils font depuis qu’ils sont Ă  La Fayette, c’est-Ă -dire que certains profs font toujours la mĂŞme chose (3), donc avec les Ă©lèves ça passe mal. Tandis qu’un prof qui n’a aucune mĂ©thode dĂ©finie, qui demande souvent l’avis aux Ă©lèves (4), ça passe beaucoup mieux.

Jean-François Poisot : En fait ils ont peur de se remettre en question, j’ai l’impression, parce qu’ils sont... D’abord est-ce qu’ils ne sont pas profs parce que c’était une certaine sĂ©curitĂ© pour eux ? En fait, ces profs de technique, ils auraient pu aller en entreprise (5), mais enfin en entreprise il faut se battre, tandis que dans une Ă©cole il faut pas se battre... Le prof, il... il peut se battre... il y a les Ă©lèves bien sĂ»r (6)... mais enfin c’est quand mĂŞme, justement l’autoritĂ© qu’il prĂ´ne, et d’ailleurs c’est pour ça qu’il garde cette autoritĂ©... Il y a des cours oĂą on perd son temps, c’est pas la peine, on en apprend autant dans les bouquins, c’est pas la peine de venir, des fois je perds mon temps, je pourrais prendre un bouquin, je gagnerais du temps ! (7)

B.S. : Faut voir le problème, c’est dans leur attitude. C’est la mĂŞme d’une annĂ©e Ă  l’autre et je crois que c’est lĂ  le problème, le fait d’adopter toujours la mĂŞme tactique de guerre, si je puis dire, entre guillemets, devant des Ă©lèves qui sont diffĂ©rents (8). Ca prouve bien quand mĂŞme qu’il y a un malaise des professeurs, et puis, plus ça va de nos jours, plus je crois que ce nombre de professeurs qui laissent entrevoir un certain malaise, quand mĂŞme, dans une classe, je trouve que ce nombre de professeurs augmente parce que, plus ça va, plus les Ă©lèves qui constituent une classe sont de plus en plus diffĂ©rents (9).

B.D. : Les relations entre profs et Ă©lèves, il s’agit vraiment d’une " tactique de guerre " ? (10)

B.S. : Tactique de guerre... c’est-Ă -dire que, elle diffère d’un prof Ă  l’autre, hein ? Chacun a sa façon de faire le cours et, Ă  travers sa façon, on voit bien quand mĂŞme de quelle manière, avec quelles ruses, il s’emploie Ă  se dĂ©partager un peu des Ă©lèves (11). Mais je crois quand mĂŞme que dix ou cinq minutes sur une discussion parallèle au sujet du cours ou alors une anecdote qui s’est passĂ©e dans la vie courante (12) ... je crois que ça regonflerait un petit peu la confiance des Ă©lèves. Avec certains profs on l’a...

B.D. : Oui ?

B.S. : ... mais avec d’autres, c’est quasiment escalader un mur.

B.D. : Est-ce qu’il vous est arrivĂ© de dire Ă  des profs : " VoilĂ  comment il faudrait qu’on s’y prenne pour travailler " ?

B.S. : Je crois que c’est toujours revenir au problème infernal de s’attaquer aux valeurs Ă©tablies. A partir du moment qu’on s’attaque Ă  un prof en lui disant : " Monsieur, j’aimerais... j’aimerais qu’on fasse le cours de telle façon ou de telle façon..." (13) Il y aura peut-ĂŞtre aussi une dĂ©gradation de la relation, peut-ĂŞtre qu’il va dire : " Bon, ils se prennent pour qui ces jeunes, ils veulent m’apprendre mon mĂ©tier, alors que moi je suis un vieux loubard, ça fait quinze ans que je fais ce mĂ©tier, ils vont pas m’apprendre quand mĂŞme les ficelles du mĂ©tier, non ! " (14)

B.D. : Vous faites des interrogations, vous faites des devoirs, on vous donne des notes. Est-ce que c’est cohĂ©rent ce système ? Est-ce que les notes sont justes ?

B.S. : Oh non !

B.D. : Au sens de la... justice ? Si je peux dire...

B.S. : Oh non ! Elles sont pas justes les notes !

B.D. : Oui ?... Est-ce qu’il y en a un qui peut... Qu’est-ce que vous en pensez ?

Christian Souris : Enfin, moi je pense que toutes ces notes, lĂ , c’est une mascarade quoi ! Ils sont... C’est rien quoi, en fait ! (15) Il y a un effectif, les notes en fait, les professeurs sont lĂ , on leur dit : Ă  la fin de l’annĂ©e, bon voilĂ , il faut qu’il y ait trente gars qui dĂ©gagent, et puis vous vous arrangez pour que ça se passe comme ça. (16)

B.S. : De toute façon on ne peut pas, on ne peut pas juger un Ă©lève sur une note. On ne peut pas, comment dire ?... prendre une copie et puis dire catĂ©goriquement cet Ă©lève est complètement nul, on peut pas dire ça ! (17) C’est, je ne sais pas, c’est aller Ă  l’encontre des libertĂ©s ! (18) Bon on est nul... peut-ĂŞtre dans certaines matières, on n’a peut-ĂŞtre pas rĂ©visĂ© la veille de l’interro en question, on n’a peut-ĂŞtre pas... on a eu peut-ĂŞtre un peu le trac, bon, il y a diffĂ©rents facteurs qui font que, on juge, et ça j’en suis certain, on juge les Ă©lèves sur quelque chose de complètement alĂ©atoire, de... comment dire ? On a toujours l’impression, je sais pas, d’être des petits, des petits guignols, lĂ , assis sur des chaises, en train de rĂ©chauffer la chaise, le temps d’une journĂ©e et puis d’attendre, d’attendre...(19) Il n’y a plus cet intĂ©rĂŞt aux Ă©tudes, parce que, bon, c’est pas le contenu des Ă©tudes mais je crois que c’est la façon de transmettre les connaissances (20). Dans un lycĂ©e il n’y a pas de vie, on a l’impression qu’il n’y a pas de vie, et c’est ça je crois le problème propre Ă  tous les jeunes, Ă  tous les jeunes Ă©tudiants, c’est d’entrer dans une enceinte oĂą toute vie, oĂą toute initiative personnelle, oĂą toute chaleur humaine est pratiquement oubliĂ©e, quoi. Je crois que c’est ça. Bon, le fait que ça se perpĂ©tue dans pratiquement tous les lycĂ©es en France ou Ă  travers le monde, c’est pas forcĂ©ment un problème français (21), je crois que c’est... ça prouve bien quand mĂŞme qu’il y a un malaise, il y a un... le fil conducteur entre les profs et les Ă©lèves, je crois qu’il est pas encore au point et il faudrait peut-ĂŞtre un peu aller dans cette direction-lĂ  (22), pour former les profs plus dans l’idĂ©e de transmettre... transmettre quand mĂŞme un esprit de recherche de la part des Ă©lèves, c’est-Ă -dire non pas des Ă©lèves qui recrachent la formule, hein ? 2 et 2 font 4, faut pas le rĂ©pĂ©ter le lendemain, ça, tout le monde le sait, il faut je crois aller plus vers des Ă©lèves qui recherchent d’eux-mĂŞmes, qui analysent d’eux-mĂŞmes, des profs (23), des Ă©lèves qui, comment dire ? Qui... Et puis bon, si ces donnĂ©es sont respectĂ©es, je crois qu’on ira de plus en plus vers une revalorisation de l’école... et de la personnalitĂ© Ă  l’intĂ©rieur de l’école.

(1) La question que pose Brahim au fond est de savoir s’il y a une personne derrière le personnage. Ce qui explique cette tactique, au moins dans un premier temps, de " contournement " de l’obstacle (" en dehors des cours " et plus bas : " parallèle au sujet du cours ", pour essayer d’établir un contact. Mais le professeur a peur de se " dĂ©couvrir " : jusqu’oĂą " rigoler avec " les Ă©lèves, ou simplement parler (et non ordonner, dicter, prescrire...), pourrait-il conduire ? Difficile de consentir Ă  la perte des fantasmes de " maĂ®trise "... Cf. Francis Imbert, Pour une praxis pĂ©dagogique, Matrice Ă©d., 1985.

(2) " Sur " le cours : pas de n’importe quelle façon ! Non pas sur la " manière " dont le cours est fait (intelligible ou non, etc.) mais sur les contenus exclusivement ; les interventions des Ă©lèves ne restent " acceptables " que si elles manifestent implicitement une allĂ©geance : demande de prĂ©cisions, d’éclaircissements, fausses objections " jouĂ©es " ; l’activitĂ© de l’élève n’est tolĂ©rable que si elle s’inscrit sur fond de docilitĂ©, signifiant par lĂ  l’acceptation - consciente ou non - des normes...

(3) " La rĂ©pĂ©tition, c’est la mort " (Lacan) ; cette rĂ©pĂ©tition est aussi un mĂ©canisme simple de dĂ©fense contre les Ă©lèves, contre soi-mĂŞme, contre tout ce qui pourrait surgir d’imprĂ©vu, d’inattendu dans une relation humaine. De Yannick Giguet on peut lire deux textes dans le n° 252 des Cahiers PĂ©dagogiques, mars 1987, p. 17.

(4) Le professeur dĂ©crit ici est bien celui qui, dans l’acte mĂŞme d’enseigner, accepte l’imprĂ©vu, demande " l’avis " des Ă©lèves, se risque aux cheminements non programmĂ©s...

(5) Attention ici : Jean-François est lui-mĂŞme devenu professeur après avoir rĂ©ussi Ă  l’ENSET (mĂŞme promotion que Brahim) et passĂ© l’agrĂ©gation ; il ne s’agit pas seulement ici de la critique classique de l’enseignant " qui n’est jamais sorti de l’école ", mais plutĂ´t, comme la suite le rĂ©vèle, du fait que le choix d’enseigner est un choix nĂ©gatif et non positif ; que les routines, la rĂ©pĂ©tition, tiennent lieu de " sĂ©curitĂ© ", que, d’une certaine manière (c’est très complexe !), l’absence d’obligation de rĂ©sultats (contrairement Ă  l’entreprise) peut entraĂ®ner, non pas en droit mais en fait, l’absence d’obligation de moyens : ce ne sont certainement pas les " inspections " (une fois tous les dix ans !) qui peuvent permettre Ă  l’institution de s’assurer que le professeur met en Ĺ“uvre l’obligation de moyens pour que ses Ă©lèves rĂ©ussissent...

(6) Jean-François s’aperçoit, Ă  l’instant mĂŞme oĂą il parle, que la guerre dont il parle pour les entreprises est aussi prĂ©sente dans l’école : il ne le dit pas tout en le disant ! Remarquer ici que Jean-François, comme bien d’autres, s’autorise Ă  " bafouiller " : il rĂ©flĂ©chit en parlant, au lieu de rĂ©flĂ©chir avant, il s’est dĂ©barrassĂ© de l’inhibition due Ă  la crainte de " ne pas savoir parler " et d’être jugĂ© (on dit : " Ă©valuĂ© "...) sur ces maladresses apparentes ; " tourner sept fois la langue dans sa bouche "... funeste prĂ©cepte qui rend muette la très grande majoritĂ© des Ă©lèves, inhibe dĂ©finitivement les timides, les " renfermĂ©s ", et, d’ailleurs, ne fait pas du tout " taire " les bavards hâbleurs...

(7) Cette " autoritĂ©  ", cette pseudo-maĂ®trise, ces rituels disciplinaires (au deux sens du mot discipline), apparaissent d’autant plus dans leur vanitĂ© que les Ă©lèves savent bien, finalement, que bien des professeurs " rĂ©citent " une synthèse de manuels divers... Et donc, autant aller regarder soi-mĂŞme dans ces manuels ! Ont Ă©tĂ© supprimĂ©s ici au montage radio quelques passages oĂą Jean-François dĂ©crivait très prĂ©cisĂ©ment le dĂ©roulement de certains cours...

(8) Il est plus simple pour l’enseignant d’avoir affaire Ă  des classes " homogènes " : mais les individus rĂ©sistent Ă  ce nivellement des originalitĂ©s sur lequel se constitue l’ordre scolaire. Pour ce qu’il en est de la pĂ©dagogie diffĂ©renciĂ©e, voir Philippe Meirieu, L’école mode d’emploi, ESF Ă©d., 1986.

(9) Et Brahim fait bien partie lui-mĂŞme de ceux que, avec François Dubet (Les lycĂ©ens, Le Seuil Ă©d., 1991), on a pris l’habitude d’appeler les " nouveaux lycĂ©ens ". Il habite Ă  cette Ă©poque la ZUP de Surville Ă  Montereau oĂą il a une action associative importante, est externe (deux heures aller et retour quotidiennes) et aide tous les soirs petits frères et sĹ“urs dans leur travail scolaire.

(10) ObnubilĂ© par cette expression brutale du rapport de force (mĂŞme " entre guillemets " !), j’ai oubliĂ© ici de reprendre dans mon questionnement cette question de l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des classes.

(11) " Se dĂ©partager " : très complexe; il ne s’agit pas ici de la sĂ©paration, de la diffĂ©rence, qui permettent la rencontre, l’articulation, mais bien d’un clivage dĂ©fensif ; cf. Francis Imbert, La question de l’éthique dans le champ Ă©ducatif, Matrice Ă©d., 1987, L’Émile ou l’interdit de la jouissance, l’éducateur, le dĂ©sir et la loi, Armand Colin Ă©d., 1989.

(12) Brahim revient ici Ă  la tactique du " contournement ", ce qui explique ma question suivante qui vise Ă  ramener au cĹ“ur du problème : le travail scolaire, le cours.

(13) Qui analysera un jour (voilĂ  un beau sujet de thèse Ă  partir d’une enquĂŞte auprès des dĂ©lĂ©guĂ©s de classe !) les prĂ©cautions extrĂŞmes, les incroyables trĂ©sors de " diplomatie " dont un dĂ©lĂ©guĂ© doit savoir faire preuve, dans un conseil de classe par exemple, pour essayer de faire entendre, sans courir de risques excessifs, ce que la classe pense rĂ©ellement de la manière dont tel ou tel professeur se comporte en cours, Ă©value le travail, rĂ©vèle son incompĂ©tence ? Brahim est aussi, cette annĂ©e-lĂ , dĂ©lĂ©guĂ© ; voir le texte d’Olivier : " Pourquoi je ne suis plus dĂ©lĂ©guĂ© de classe ", dans La violence Ă  l’école, Syros Ă©d., 3ème Ă©dition, p. 77.

(14) On avait déjà remarqué, avec Franck Deschamps, la capacité des élèves à deviner, anticiper sur les pensées, secrètes ou non, du professeur, voire à comprendre vraiment les difficultés du métier.

(15) Tout est dit : ce n’est rien. Christian donne ici l’impression d’exploser, ce qui explique sans doute sa difficultĂ© Ă  organiser sa phrase ; c’était sans doute comprimĂ© depuis longtemps...

(16) Bien sĂ»r les choses ne se passent pas aussi explicitement ! Personne ne " dit " quoi que ce soit aux professeurs... Mais il y avait bien, cette annĂ©e-lĂ  dans le lycĂ©e, cinq classes de seconde et quatre classes de première : le calcul est simple. Les notes ne sont " rien " quant Ă  la vĂ©ritable Ă©valuation des compĂ©tences, elles ont pour seule fonction d’assurer la sĂ©lection.

(17) " On ne peut pas " au sens de : on n’a pas le droit ; en fait, ça s’entend souvent...

(18) Brahim ne se contente pas ici de rejoindre ce que toutes les Ă©tudes de docimologie ont abondamment dĂ©montrĂ© depuis longtemps ; il pointe aussi le problème juridique posĂ© par l’évaluation : si la notation, qui dĂ©termine Ă©troitement les parcours scolaires et par consĂ©quent (heureusement avec quelques exceptions, mais qui servent malheureusement d’alibis...) les destins sociaux, n’a aucune valeur quelconque quant aux capacitĂ©s rĂ©elles des individus, comment parler alors d’éducation, ou mĂŞme seulement d’instruction ? Qu’en est-il alors de la formation du citoyen dans cette situation de non-droit et d’arbitraire, non-conscient de lui-mĂŞme ?

(19) C’est de ce vide du temps dont tĂ©moignent si souvent les graffitis sur les tables... et ailleurs !

(20) Brahim distingue clairement " contenus " et " mĂ©thodes " ; mais cette distinction n’est pas une sĂ©paration : les contenus ne sont pas en question, certes, mais ils ne se sĂ©parent pas des mĂ©thodes, surtout chez des Ă©lèves qui ont tout de mĂŞme maintenant, en classe prĂ©paratoire Ă  un BTS, une certaine idĂ©e de leur futur mĂ©tier, ayant dĂ©jĂ  effectuĂ©, en fin de première annĂ©e prĂ©paratoire, un stage d’un mois en entreprise.

(21) Rappelons que Brahim est marocain, au moment des enregistrements ; il s’est fait depuis naturaliser pour pouvoir passer le concours de l’ENSET.

(22) Ici Brahim ne se contente plus de critiquer, un renversement s’opère et ce qu’il propose renvoie à ce qui est au fondement de toute pédagogie active, pas d’apprentissage sans activité de recherche réelle chez l’apprenant (voir Piaget), de toute formation scientifique (voir Bachelard), et il ajoute, ce qui n’est pas rien, cette exigence de la reconnaissance de la personne par laquelle il ouvrait l’entretien.

(23) J’ai conservĂ© le lapsus (apparent) tant il est clair que cette exigence d’un " esprit de recherche " vaut aussi pour les professeurs...

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3ème émission

" Je me dĂ©monte pas... "

 

C’est aussi la deuxième année que je travaille avec cette classe de préparation au BTS de Fabrication mécanique. Là aussi ils sont tous présents : 28 élèves. Gilles Baulard, Denis Cherrier et Éric Noret s’interrogent sur leur marge de pouvoir ou de liberté face aux professeurs. Ces huit minutes sont tirées d’une heure d’enregistrement.

 

Gilles Baulard : Je vois par exemple, je prends l’exemple du projet (1), c’est Ă  peu près le seul exemple qu’on peut avoir.

B.D. : Explique un peu cette affaire de " projet ", parce que...

G.B. : On a un projet à rendre en fin d’année. C’est-à-dire qu’on nous a fixé plus ou moins un cahier des charges, il faut qu’on produise quelque chose. Si on ne s’organise pas, on n’arrive pas à sortir quelque chose de concret, donc il faut... Il y a une marge de pouvoir qui existe là, puisqu’on a un pouvoir d’organisation de notre travail.

B.D. : Qui est-ce qui fixe les projets que vous avez Ă  rĂ©aliser ?

G.B. : Les projets, c’est l’autoritĂ© supĂ©rieure, je dirais, c’est les profs, c’est le chef des travaux, c’est l’Administration, avec un grand A, quoi, on peut pas... On n’a pas de prise sur le sujet mĂŞme du projet (2).

B.D. : Et la rĂ©partition des projets, comment elle se passe ?

Denis Cherrier : Au départ, on nous avait promis une totale liberté. C’est-à-dire que on nous avait annoncé qu’on aurait un certain nombre de sujets, et en fonction de ça, chacun se mettrait sur tel ou tel projet en fonction de ses goûts. Et en fait, c’est pas du tout ce qui a été fait. Les projets ont été imposés et chacun s’est vu attribuer une tâche bien particulière. Et, en fait, les rebuts de la classe, ceux qui n’ont pas été considérés comme suffisamment aptes pour travailler sur le projet principal, se sont vus confier des travaux plus ou moins intéressants... (3)

B.D. : Ce que vous ĂŞtes en train de dĂ©crire, est-ce que vous avez eu la possibilitĂ© de le dire ?

G.B. : Ben non ! Parce que de toute façon on n’est pas suicidaires, hein ! C’est-Ă -dire que on sait très bien que la personne Ă  qui on va le dire, c’est elle qui a dĂ©cidĂ©. Si on commence Ă  contester une dĂ©cision qui a Ă©tĂ© prise par une personne et que cette personne en plus va participer au jury qui va nous juger en fin d’annĂ©e, euh... on sait très bien ce par quoi ça peut se solder ! Donc on n’a pas du tout intĂ©rĂŞt Ă  contester la dĂ©cision. (4)

B.D. : Donc " jouer au fayot ça rapporte bien " ? (5)

Éric Noret : Oui, je crois. Aujourd’hui c’est l’époque ! (il tousse...)

D.C. : Des fois, bon... on admet que, bon, il a raison, mais en fait, par nous-mêmes on va essayer de faire autre chose quand même, parce que, à partir du moment où il ne veut pas en démordre, on laisse tomber... (6)

G.B. : Dans les faits (7), il vaut mieux pas s’amuser Ă  montrer Ă  un prof qu’il a fait une erreur. Alors disons que c’est... qu’on utilise des moyens qui sont peut-ĂŞtre, enfin moi personnellement, des moyens qui sont peut-ĂŞtre un peu plus vicieux, quoi... je le montre pas directement...

B.D. : Qu’est-ce que tu fais ?

G.B. : Je fais bien voir après coup que ma méthode était aussi bonne que la leur.

B.D. : Raconte-nous ça.

G.B. : Oh, on peut pas... (8)

B.D. : Ces moyens " vicieux ", en quoi ça consiste ?

G.B. : Ben il faut utiliser un autre prof !

B.D. : Il faut ?

G.B. : Il faut utiliser un autre prof.

B.D. : Oui ?

G.B. : C’est tout simple.

B.D. : Vas-y, explique.

G.B. : Ben... Tu sais pertinemment que quand tu es en face d’un prof, t’es considĂ©rĂ© comme Ă©tant infĂ©rieur (9), par contre, entre profs, ils doivent Ă  peu près se considĂ©rer d’égaux Ă  Ă©gaux. Si tu arrives Ă  convaincre un prof, ou Ă  t’apercevoir qu’un prof a un avis proche du tien, t’as tout intĂ©rĂŞt Ă  mettre en confrontation pseudo-fortuite les deux profs, et tu vois ce qui se passe... (10) Bon. Je suis dĂ©lĂ©guĂ© de classe. Il y a un problème au niveau de la notation. Quand un Ă©lève essaye d’expliquer quelque chose Ă  un prof, ça paraĂ®t tellement Ă©norme qu’on ne l’écoute pas, mĂŞme en conseil de classe, alors bon, je me dĂ©monte pas, je commence Ă  avoir l’habitude, je commence Ă  faire ma petite cuisine dans mon coin, c’est-Ă -dire que j’ai, prof par prof, demandĂ© tous les relevĂ©s des notes, les moyennes des Ă©lèves et puis j’ai fait les courbes, j’ai fait faire les courbes pour tous les Ă©lèves de la classe (11), du premier semestre et du deuxième semestre, alors ça me prend un petit peu de temps, mais enfin il faut savoir ce qu’on veut aussi, et puis au deuxième semestre j’arriverai avec mes feuilles, et puis on discutera.

B.D. : Est-ce qu’il y aurait quelque chose qui serait de l’ordre d’un gaspillage d’énergies, de ressources ou d’intelligence, si on n’écoute pas les Ă©lèves ?

G.B. : Le fait de poser la question c’est déjà y répondre... Si on est plusieurs et qu’il y en a un seul qui réfléchit ça donne de moins bons résultats que si tout le monde réfléchit.

B.D. : Qu’est-ce que c’est un bon prof ?

G.B. : ... (12) Moi j’ai vĂ©cu... Je peux raconter ça  (13) : quand j’étais en TE (14), on avait un prof de sport, et quand j’étais en TE le prof de sport que j’avais Ă©tait pas foutu de faire l’enchaĂ®nement gymnique qu’on avait Ă  prĂ©senter au bac, lui-mĂŞme Ă©tait pas capable de le faire, seulement il a Ă©tĂ© capable de me le faire apprendre et de me le faire rĂ©aliser, tout Ă  fait correctement, j’ai obtenu une note, euh, bonne... enfin je peux dire bonne par rapport Ă  mon niveau. Par contre l’annĂ©e d’avant (15), j’avais un prof qui, lui, Ă©tait tout Ă  fait capable de le faire, qui le faisait mĂŞme très très bien, mais qui n’a jamais Ă©tĂ© foutu de m’apprendre Ă  le faire. Vous pouvez très bien trouver des gens qui sont tout Ă  fait capables de faire des rĂ©solutions d’équation ou de la gamme, comme on dit nous, de l’ordonnancement d’usinage, sans ĂŞtre foutus de vous expliquer comment le faire, sans s’énerver, et sans vous rĂ©pĂ©ter deux fois la mĂŞme chose si vous n’avez pas compris (16).

B.D. : Il faut quand mĂŞme que le prof, il y connaisse un petit peu... quelque chose !

G.B. : Oui, il faut qu’il connaisse un petit peu, mais le gros problème c’est qu’il faut qu’il soit capable d’admettre qu’il sait pas. Parce qu’il ne peut pas tout savoir, il faut qu’il soit capable d’admettre qu’il ne sait pas quelque chose (17).

B.D. : Mais si un prof admet que, sur tel ou tel problème, il n’y connaĂ®t rien, est-ce qu’il ne risque pas de perdre par lĂ  tout son pouvoir ? Enfin tout son...

G.B. : Il a pas besoin de pouvoir !

B.D. : ?

G.B. : Je viens ici, je suis lĂ  pour apprendre : j’attends de cette personne qu’elle me donne des rĂ©ponses, et vraies si possible, Ă  des questions tout aussi vraies que moi je me pose. J’ai pas besoin qu’il ait du pouvoir ou qu’il en n’ait pas ! (18)

B.D. : Et est-ce que tu crois que les profs, eux, envisagent la question de cette manière-lĂ  ?

G.B. : Non, pas du tout, ça c’est certain. Ils ne se sont même jamais posé la question... À mon avis, un professeur est payé pour se rendre inutile (19).

B.D. : Explique-nous un peu , ça...

G.B. : Ça je te l’ai dĂ©jĂ  expliquĂ©, mais enfin bon on peut recommencer (20). C’est assez simple : un prof, il est lĂ  pour transmettre son savoir et son but c’est de faire que l’élève assimile le savoir Ă  un tel point que l’élève n’ait plus besoin du prof pour faire ce qu’il a Ă  faire. Donc, c’est peut-ĂŞtre un raccourci un peu brutal, mais le prof est lĂ  pour se rendre inutile, je ne dis pas pour ĂŞtre inutile, mais pour se rendre inutile, vis-Ă -vis de ce qu’est l’élève... (21)

 

(1) Ma question Ă©tait : " Quel est le pouvoir que vous avez sur votre propre travail ? ". Les projets consistent Ă  rĂ©aliser, pendant la deuxième annĂ©e prĂ©paratoire, en petits groupes, des appareils, des machines, qui doivent effectivement fonctionner Ă  la fin de l’annĂ©e, et qui sont souvent des commandes d’entreprises ; ces rĂ©alisations interviennent lors de l’évaluation finale pour l’obtention du BTS.

(2) Les projets sont déterminés au niveau local, commandés par des entreprises éventuellement, et agréés par l’inspection de l’enseignement technique.

(3) Denis ne le dit pas, mais il faisait partie de ces " rebuts " de la classe, jugĂ©s inaptes Ă  travailler sur le projet principal (un robot commandĂ© par une grosse entreprise de construction d’automobiles), Ă©tant passĂ© de justesse en deuxième annĂ©e prĂ©paratoire (ce qui ne l’a pas empĂŞchĂ© d’obtenir son diplĂ´me et de devenir professeur Ă  son tour : grand plaisir de le retrouver comme collègue l’annĂ©e 1993-94 au lycĂ©e Coubertin Ă  Meaux !). On comprend bien la prĂ©occupation des professeurs : il y avait, pour la rĂ©alisation de ce robot, un enjeu financier Ă  l’égard de l’entreprise ayant passĂ© commande, et il fallait bien qu’il marche ! Mais on voit bien aussi comment une certaine logique industrielle et financière fait obstacle Ă  la pĂ©dagogie du projet, dans la mesure oĂą le tâtonnement expĂ©rimental, le droit Ă  l’erreur, caractĂ©ristique (en thĂ©orie !) de l’école et des apprentissages, s’en trouvent annulĂ©s. Ă€ la confusion entre situations d’apprentissage et d’évaluation, s’ajoute la confusion entre les logiques scolaires et les logiques de rentabilitĂ© industrielle : consĂ©quences très graves sur l’organisation du travail scolaire et les relations, entre professeurs et Ă©lèves, certes, mais surtout entre les Ă©lèves eux-mĂŞmes ! Système pervers qui consiste Ă  " donner " plus Ă  ceux qui ont dĂ©jĂ  plus... et qui entĂ©rine l’échec scolaire ! Voir sur ce point le texte de Michel Renaud, Ă©lève de l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente dans la mĂŞme section, p. 112-114 dans Le plaisir d’enseigner, op. cit.

(4) Les effets pervers induits par la confusion des rĂ´les d’" entraĂ®neur " (pour utiliser la mĂ©taphore sportive) et de " juge " dans la personne de l’enseignant s’entendent ici parfaitement clairement ; un " contrĂ´le continu ", dans la mesure oĂą les professeurs en auraient la responsabilitĂ© pour leurs propres Ă©lèves, ne ferait que renforcer le " chantage " permanent, lequel ne dĂ©pend pas des " qualitĂ©s " psychologiques de l’enseignant mais se trouve inscrit dans le fonctionnement institutionnel.

(5) Une petite erreur au montage : les guillemets dans la transcription sont dus au fait que je reprends lĂ  une expression utilisĂ©e juste avant par Éric Noret dans une intervention non retenue. Deux effets majeurs dans cette classe de la " course aux bonnes notes " : les Ă©lèves s’accusent mutuellement de " jouer au fayot " d’une part, et, d’autre part, il existe une " pompe " Ă  peu près gĂ©nĂ©rale lors des " devoirs sur table " ou " Ă  la maison " (c’est-Ă -dire, pour la grande majoritĂ© d’entre eux dans ce lycĂ©e, Ă  l’internat, oĂą ils sont par chambres de 4 Ă  6). Les Ă©lèves ne sont pas tous devenus pervers : simplement peut-ĂŞtre rĂ©alistes... Si le poids des avis sur les dossiers, mis par les professeurs, est souvent dĂ©terminant, ainsi que les notes obtenues pendant l’annĂ©e, soit pour le passage en classe supĂ©rieure, soit en cas de dĂ©libĂ©ration du jury pour " repĂŞchage ", autant prendre quelques prĂ©cautions ! " Avouer " tout ceci, devant toute la classe et devant un professeur, explique peut-ĂŞtre aussi que ça fasse tousser... Ă€ propos des effets de ces situations institutionnelles sur les relations entre les Ă©lèves eux-mĂŞmes, voir " Une classe en guerre civile ", dans La violence Ă  l’école, op. cit., p. 69-72.

(6) Assez compliquĂ© ce que dit Denis ici ! 1. On admet qu’il a raison, mais 2. on veut quand mĂŞme essayer par soi-mĂŞme, mais 3. il ne veut pas en dĂ©mordre, donc 4. on laisse tomber. Qu’est-ce que Denis " laisse tomber " ? Son dĂ©sir d’autonomie, de rechercher par lui-mĂŞme. Suffit-il rĂ©ellement au professeur d’" avoir raison " ? La raison se contredit elle-mĂŞme Ă  vouloir s’imposer : " Qui enseigne commande. D’oĂą une coulĂ©e d’instincts. " (Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Vrin Ă©d., p. 19.)

(7) " Dans les faits ", alors qu’en droit, bien sĂ»r, le professeur est soumis comme les Ă©lèves aux exigences de la vĂ©ritĂ© : c’est la structure institutionnelle hiĂ©rarchique qui transforme (pervertit) la vĂ©ritĂ© en " ma " vĂ©ritĂ©, et donc, d’une certaine manière, rĂ©ussir Ă  l’école c’est rĂ©ussir dans les stratĂ©gies de soumission qui permettront, grâce aux diplĂ´mes, de passer du cĂ´tĂ© de ceux qui ont le pouvoir hiĂ©rarchique d’imposer " leur " vĂ©ritĂ© aux autres...

(8) Gilles hĂ©site bien sĂ»r Ă  dĂ©voiler ses " ruses ", et il faut bien ici le " forcer " un peu Ă  raconter. Ces trois rĂ©pliques sont prononcĂ©es presque simultanĂ©ment. Savoir cependant que Gilles m’avait expressĂ©ment interdit de faire Ă©couter ces Ă©missions Ă  qui que ce soit dans l’établissement (oĂą personne bien sĂ»r n’écoutait France-Culture un mercredi après-midi...) avant qu’il ne soit sĂ»r d’avoir son BTS en poche. La seule exception admise par Gilles (et les autres), de taille, fut pour le proviseur : mais ce n’était pas n’importe quel proviseur, voir La violence Ă  l’école, op. cit., p. 71.

(9) OĂą s’entend clairement le fait que l’école fait intĂ©rioriser le principe selon lequel l’infĂ©rieur a tort et le supĂ©rieur raison ! Ce qui rend Ă©videmment la formation Ă  la dĂ©mocratie difficile... Mais ça ne marche pas toujours ! Puisque prĂ©cisĂ©ment les Ă©lèves (tout au moins certains et ceux-ci) s’en rendent compte et l’expriment (en cours de philosophie).

(10) C’est la situation aux ateliers qui permet ces ruses : on y circule, on y travaille rĂ©ellement, on y parle, plusieurs professeurs sont disponibles en mĂŞme temps dans les mĂŞmes disciplines... Le modèle " magistral " y est par consĂ©quent beaucoup moins prĂ©gnant que dans une classe pendant un cours ; le revers de cette situation est qu’alors l’" autoritĂ© " du professeur y prend souvent des formes plus directement violentes, la distance du bureau (voire de l’estrade dans de très nombreux Ă©tablissements encore) n’y protège plus de l’éventuel corps-Ă -corps (le " coup de pied au cul " Ă©tant probablement la forme la plus frĂ©quente : voir l’entretien avec Albert, p. 52-54 dans La violence Ă  l’école, op. cit.) ; ce qui rend d’autant plus " savoureux " (savoir et saveur ont la mĂŞme racine Ă©tymologique...) le fait de pouvoir assister Ă  (voire organiser !) la " confrontation " de deux professeurs... Ce sont les anecdotes prĂ©cises racontĂ©es par Gilles et par d’autres, non retenues au montage (il Ă©tait, entre autres difficultĂ©s, techniquement impossible d’effacer les noms des professeurs en cause, qui avaient, malgrĂ© la consigne, Ă©tĂ© citĂ©s) qui ont expliquĂ© l’interdiction de diffusion de ces enregistrements.

(11) Sur son ordinateur...

(12) Un petit silence explicable... Qui peut prĂ©tendre rĂ©pondre Ă  une telle question ? Voir Pascal Bouchard, MĂ©tier impossible, la situation morale des enseignants, ESF Ă©d., 1992.

(13) J’ai eu Gilles comme Ă©lève dans ses deux terminales E, puis, après un Ă©chec en première annĂ©e d’école d’ingĂ©nieurs (sur lequel on peut lire son tĂ©moignage, non retenu au montage, dans Sanctions et discipline Ă  l’école, Syros Ă©d., 1993, p. 88-89), dans les deux annĂ©es prĂ©paratoires au BTS ; il a donc, et bien d’autres avec lui, acquis ce rĂ©flexe particulier que j’essaie de leur transmettre : avant toute rĂ©ponse " abstraite ", gĂ©nĂ©ralisante, avant d’exprimer une " opinion " quelconque, d’abord raconter, surtout si la question est " abstraite " !

(14) Terminale E : mathématiques et technologie.

(15) Sur les redoublements, voir n° 264-265 des Cahiers PĂ©dagogiques, mai-juin 1988.

(16) " Les professeurs de sciences imaginent que l’esprit commence comme une leçon, qu’on peut toujours refaire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu’on peut faire comprendre une dĂ©monstration en la rĂ©pĂ©tant point pour point "... Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, op. cit., p. 18.

(17) Le problème n’est pas seulement, comme on le croit trop souvent, de la fausse opposition entre " savoirs " et " pĂ©dagogie ", mĂŞme s’il est vrai que nombreux sont les " très savants " (ainsi que le rĂ©vèle l’anecdote sur les deux professeurs d’EPS) qui ne savent pas transmettre leurs savoirs, mais il est surtout parmi les " savants " eux-mĂŞmes : il y a des " ignorants " qui sont beaucoup moins dangereux que les savants parce qu’ils savent, au moins, qu’ils sont ignorants, tandis que nombreux sont les savants, surtout parmi les professeurs, qui ne savent pas qu’ils sont " ignorants ", principalement et irrĂ©ductiblement ignorants de l’autre (cf. Jean Baudrillard et Marc Guillaume, Figures de l’altĂ©ritĂ©, Descartes & Cie Ă©d., 1994).

(18) Autrement dit, la question de l’autoritĂ© ou du pouvoir au sens disciplinaire du terme, et dans les deux sens du mot discipline, ne se pose plus si l’enseignant : 1. crĂ©e les situations qui provoquent Ă  la fois le dĂ©sir et l’obligation d’apprendre ; 2. organise la recherche des rĂ©ponses aux curiositĂ©s ainsi dĂ©clenchĂ©es en fonction des tâches devenues projets personnels et collectifs ; 3. institue avec les Ă©lèves les règles d’emploi du temps, de l’espace et des outils. Voir toutes les publications des praticiens de la pĂ©dagogie institutionnelle, et notamment la dernière parue : Francis Imbert et le GRPI (Groupe de recherche en pĂ©dagogie institutionnelle), MĂ©diations, institutions et loi dans la classe, ESF Ă©d., 1994 ; voir bibliographie en pĂ©dagogie institutionnelle note 40, p. 129 dans La violence Ă  l’école, op. cit. et au catalogue des Ă©ditions Matrice, 71, rue des CamĂ©lias, 91270 Vigneux.

(19) Gilles n’a pas lu Jacques Ardoino : " Le " paradoxe sur l’éducateur " tient peut-ĂŞtre en ceci : il tire son ĂŞtre de sa fonction de faire ĂŞtre ou, mieux encore, d’aider Ă  ĂŞtre plus. S’il comprend bien son rĂ´le et sa mission, il n’est vraiment, Ă  travers sa rĂ©ussite Ă©ducative, l’enfant ou le disciple ayant effectivement conquis sa maturitĂ© et son autonomie relatives, que lorsque, devenu inutile, il n’est plus, il n’existe plus, pour cet enfant ou pour ce disciple, de la mĂŞme manière qu’auparavant... Il y a sans doute, en dĂ©pit de tous les efforts moraux contraires, un dĂ©chirement et une rĂ©sistance de notre nature Ă  devoir, au moins symboliquement, mourir, pour permettre Ă  autrui d’exister... En fait, l’éducateur n’aura jamais Ă©tĂ© aussi utile que quand il aura rĂ©ussi Ă  se rendre inutile puisque ce sera le signe de sa double victoire, sur lui-mĂŞme comme Ă  l’égard de celui qu’il formait ", Propos sur l’éducation, Gauthier-Villars Ă©d., 5ème Ă©dition, 1971, p. 70. (C’est l’auteur qui souligne).

(20) Gilles s’occupe de ma formation... Peut-il y avoir relation sans rĂ©ciprocitĂ© ?

(21) Entre " ĂŞtre inutile " et " se rendre inutile  ", se place toute la question pĂ©dagogique, c’est-Ă -dire celle du temps.


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