Principes d’élaboration d’un règlement
intérieur
d’établissement scolaire
Un règlement intérieur est
destiné à permettre l’organisation, dans un temps et un espace déterminés, de
la vie d’un groupe humain quelconque en vue de certaines tâches individuelles
et collectives. Et les premières déterminations portent sur les conditions
d’entrée de chaque individu dans le groupe : contraintes (prison),
obligations (école) ou adhésions (associations). En ce qui concerne les
règlements des établissements scolaires, on peut constater aujourd’hui une
disjonction très fréquente des droits et des devoirs qui aboutit à une
véritable inversion (ou perversion) des finalités de l’institution :
l’énumération des devoirs porte sur les activités relevant de la sphère
institutionnelle, tandis que l’exercice des droits n’est reconnu la plupart du
temps que dans les activités périphériques, associatives, qui ne relèvent pas
directement de la finalité de l’institution et ne sont pas validées dans le
cursus. L’apprentissage des responsabilités réelles, la construction de
l’autonomie du sujet, sont ainsi relégués dans la sphère du non obligatoire,
tandis que les activités obligatoires restent sous le régime de
l’hétéronomie : pour caricaturer, les élèves peuvent avoir leur mot à dire
dans l’organisation des activités “ socio-éducatives ”, mais
évidemment pas sur la manière dont se passent les cours et encore moins sur la
validation des résultats obtenus par les apprentissages scolaires. Ainsi
l’apprentissage et l’exercice des libertés apparaît comme secondaire,
facultatif, et l’articulation des droits et des devoirs s’inverse : les
devoirs ne sont plus la conséquence, en termes de comportements et de
procédures, de l’exercice même des droits dans une collectivité, mais s’imposent
comme des exigences quasi-religieuses, extérieures au sujet, dans une sorte de
transcendance irréductible ou, en tout cas, comme des normes indiscutables.
L’élève apprend ainsi à ne pas discuter de la loi, des lois, et l’on s’étonnera
plus tard de la “ démission ” du citoyen, de sa passivité politique,
de l’accaparement du “ parler-la-loi ” (le parlement) par des
notables devenus spécialistes de la chose politicienne (toutes proportions
gardées, c’est très souvent ce à quoi aboutit l’institution des délégués de
classe et d’établissements).
L’école n’est pas une communauté
mais une société,
elle n’est pas une association mais une institution ; le fonctionnement d’une
société, d’une institution, est réglé par le droit. Il ne s’agit donc pas
d’abord d’atteindre à un improbable consensus sur les valeurs, mais, si l’on
n’est d’accord sur rien, de se mettre cependant d’accord sur les procédures
grâce auxquelles on va pouvoir en parler au lieu de se taper dessus. La
différence entre l’école et les autres institutions est que, si les enfants
sont dĂ©jĂ
sujets de droits (voir la Convention Internationale des Droits de l’Enfant),
ils ne sont cependant pas encore citoyens, puisqu’ils viennent Ă
l’école pour précisément apprendre à le devenir. C’est ce travail du temps qui
définit l’école et si l’école n’est pas un espace démocratique, elle est un temps
d’apprentissage de la démocratie.
Il importe donc que les
règlements intérieurs soient clairement distingué des “ chartes ”
(qui portent sur les valeurs et non les procédures) et des
“ contrats ” (qui ne peuvent avoir qu’une signification pédagogique
et non juridique à l’école puisque seul le majeur peut, réellement,
contracter – d’où la différence nécessaire à instituer entre élèves
mineurs et majeurs dans les lycées), et qu’ils fassent l’objet d’un travail
d'élaboration constant, impliquant l’ensemble des acteurs, et distinguant les
niveaux de normes entre ce qui se discute, ne se discute pas et ce qui ne se
discute pas encore.
De même les règlements doivent prévoir leurs propres règles de modification et
leur “ code de procédure ” : l’énumération des droits et des
devoirs doit s’accompagner de l’indication précise des procédures à suivre pour
les faire respecter. Mettre devoirs et droits sur le mĂŞme plan, pire encore les
opposer (« Ils ont des droits, certes, mais aussi des devoirs ! »)
est une absurdité logique : il n’y a évidemment que des droits, les
devoirs n’étant que les moyens de procédure nécessaires à la réalisation
effective, collective et articulée de ces droits. Et des catégories entières de
personnes
n’ont d’ailleurs que des droits : enfants de la naissance à “ l’âge
de raison ”, vieillards grabataires, grands handicapés, etc. ; et si
les droits d’un majeur (élève ou professeur) sont plus étendus que ceux d’un
mineur, il va de soi que ses devoirs le sont aussi, et donc les punitions en
cas d’infractions plus élevées… Si les élèves perçoivent que les adultes qui
sont responsables d’eux ne respectent pas eux-mêmes les règles qu’ils leur
imposent, c’est non seulement l’accès à la citoyenneté qui devient impossible
mais également la construction des savoirs : l’expertise, qui fonde
l’autorité du professeur, de fin se dégrade en moyen d’exercer le pouvoir
sur le groupe. Impossible, par principe, dans cette structure religieuse (au
sens anthropologique du mot), où les normes s’imposent au lieu de s’instituer,
que l’élève s’élève à hauteur du maître, voire le dépasse, ce qui caractérise
pourtant la finalité de l’école.
La structure de règlement
intérieur que je propose donc ici n’a rien de vraiment originale : elle
vise seulement Ă introduire les distinctions les plus claires possibles entre
l’institutionnel et l’associatif, à (ré)introduire l’exercice des droits dans
la sphère institutionnelle elle-même, et à affirmer, sur la base de principes
indiscutables, la discutabilité des règles et procédures. Dernière
précision : rien n’interdit dans les textes officiels tels qu’ils sont
aujourd’hui écrits, de mettre en application de tels règlements, à instituer
les structures de régulation, conciliation (au sens juridique), médiation,
évaluation et validation rendues nécessaires pour l’instruction de chacun, le
partage des savoirs et l’articulation des libertés. Ça ne coûtera pas un sou de
plus aux budgets des Ă©tablissements !
_________________________________________________________________
Exemple d’une structure générale pour un
Règlement intérieur
 Modèle lycée avec classes préparatoires et internat, adaptable aux
autres types d’établissements : squelette à nourrir !
quelques questions et commentaires en regard des numéros
d’articles concernés, marqués d’un astérisque, ci-après ;
en italiques : des structures ou instances à créer.
1. Principes généraux
11. Finalités de l’institution
12. DĂ©finitions juridiques
13. Références aux lois, décrets, arrêtés et circulaires
14. Règles de modification du présent règlement
2. Scolarité
21. Structures des enseignements
22. Programmes
23. Examens et diplĂ´mes
24. Évaluations, bulletins et livrets
3. Fonctionnement institutionnel
31. Conseils et commissions *
311. Conseil d’administration
312. Commission permanente
313. Conseil de discipline
314. Commission de discipline *
315. Conseils de classe *
316. Commissions d’enseignement *
32. Personnels *
321. Chef d’établissement, proviseur adjoint, conseillers
d’éducation
322. Professeurs, surveillants d’externat, maîtres
d’internat, documentalistes
323. Intendance, secrétariats
324. Agents d’entretien
325. Ateliers, laboratoires
326. Personnel médico-social
327. Conseillers d’orientation
33. Élections et représentations
331. Élèves
3311. Enseignement supérieur *
3312. Enseignement secondaire
3313. Internat
332. Parents
333. Personnels
3331. Professeurs
3332. Autres personnels Ă©ducatifs
3333. Autres personnels
4. Fonctionnements associatifs
41. Associations lycéennes
411. Clubs et activités diverses
412. Journaux et publications
413. La " Maison des lycéens "
414. Associations sportives, UNSS
42. Syndicats et associations de personnels
43. Associations de parents d’élèves
44. Divers
441. Coopérative
442. Fonds social lycéen
5. Règles générales de comportement
51. Responsabilités civile et pénale…
511. … des élèves mineurs
512. … des élèves majeurs *
513. … des personnels
52. Règles de procédures *
521. Les conseillers d’éducation
522. La commission de discipline
523. Le conseil de discipline
523. Les recours hiérarchiques
524. Les recours judiciaires
53. Horaires, usages des locaux *
531. Horaires
532. Espaces communs
533. Classes, permanences
534. Laboratoires, ateliers, salles spécialisées, gymnase
et vestiaires
535. CDI, médiathèque
536. Foyer des élèves
537. Bureaux, salle des professeurs
538. Infirmerie
539. Internat
54. Comportements
541. Usage des matériels
542. Tenues vestimentaires
543. Règles sanitaires et d’hygiène
544. Bruits et nuisances diverses
545. Accidents, maladies
55. RĂ©gime des sanctions
551. Procédures d’urgence
552. Procédure internes et réglementaires
5521. Avertissements
5522. Travaux d’intérêt général *
5523. Retenues
5524. Exclusions temporaires
5525. Exclusions définitives
553. Procédures externes et judiciaires
______________________________________________________________
31. Chacune de ces instances peut comporter son propre
règlement intérieur, notamment sur la désignation de leurs responsables,
déroulement et procédures de décision.
314. On peut s’appuyer, pour la création de cette instance,
sur la circulaire d’avril 1996 concernant les mesures alternatives au conseil
de discipline ; dans de nombreux Ă©tablissements scolaires, cette instance
est déjà en place, sous des désignations variées (commission des sanctions et
réparations, commission de médiation, etc.) et l’INRP suit les diverses
expériences en cours ; le principe juridique à mettre en pratique est que
nul ne peut se faire justice à soi-même ; j’énumère ici quelques
difficultés prévisibles dans la mise en place et le fonctionnement de cette
instance :
– la composition de la commission de
discipline : comment permettre sans lourdeur excessive et en Ă©vitant les
pièges de l’élection, que toutes les catégories de personnels et d’usagers y
soient représentées ?
– la saisine de la commission de
discipline : si tous les acteurs, et donc les élèves, peuvent saisir
l’instance, quelles procédures à mettre en place pour éviter abus et
humiliations ? Puis-je accepter d’être, comme professeur, mis en cause
devant cette instance par mes élèves parce que je leur donne l’impression – c’est
évidemment un exemple tout à fait imaginaire… – de les mépriser ?
– la compétence de la commission de
discipline : de même que l’on peut constater, dans les relations entre les
Ă©tablissements et les instances judiciaires, la tentation de
“ refiler ” au judiciaire, pas seulement les “ cas
lourds ”, mais aussi le traitement de situations qui relèveraient du
réglementaire, de même il y aura à prévoir et prévenir la tentation pour les
enseignants de “ refiler ” à l’instance disciplinaire ce qui
relèverait du pédagogique…
– la qualification des faits donnant lieu Ă
saisine de la commission : comment distinguer, le plus clairement
possible, ce qui relève du “ pénal ”, les comportements portant tort
à un ou plusieurs tiers, et ce qui relève du “ civil ”, l’accomplissement
(ou non !) des tâches proprement scolaires ? Ne pas savoir sa leçon
est sanctionnable mais non punissable…
– le réglage du temps entre la commission de l’acte et sa
punition (avec la réparation) : trop long, et l’acte est oublié ou perd
toute importance réelle, trop court, et l’émotion prend le pas sur la raison
dans la délibération et donc dans la punition ; quels rythmes de
réunions pour la commission de discipline ?
– la nature des sanctions et punitions :
comment ne pas confondre, par exemple, punition et réparation (équivalent dans
l’ordre judiciaire de la distinction entre amende et dommages et
intérêts…) ? Comment constituer progressivement une
“ jurisprudence ” cohérente et respectueuse des principes du
droit… ? Exemple : l’agression d’un mineur est plus gravement punie
que celle d’un majeur…Qu’en est-il ordinairement dans les établissements
scolaires : peut-on inscrire dans le règlement que l’atteinte Ă
“ plus petit que soi ” (des élèves de 3e par exemple qui
persécutent des “ petits ” sixièmes) sera plus sévèrement punie que
l’atteinte à un adulte (injures à un professeur par exemple) ?
315. Ne pas confondre ici ce qui relève de l’évaluation
pédagogique interne à la classe – qui relève de ce qu’on appelle souvent
“ heure de vie de classe ”, instance de régulation des
comportements et de règlements des éventuels conflits – et la
validation à intervalles réguliers des niveaux et résultats scolaires atteints,
dans le conseil de classe proprement dit qui n’a plus dès lors, comme c’est
trop souvent le cas, à s’occuper de morale (ou pire de
“ psychologie ”) des comportements.
316. Application du principe selon lequel nul ne peut ĂŞtre
juge et partie : je suis l’entraîneur de mes propres élèves et non leur
juge, je les Ă©value, les note au besoin, mais ces Ă©valuations ne peuvent en
aucun cas intervenir dans leur cursus et la validation de leurs compétences. En
revanche, je peux, dans ma discipline, valider les compétences acquises par
d’autres élèves. Les difficultés prévisibles sont alors que, si on institue un
contrôle continu, corrigé par d’autres professeurs que ceux qui enseignent aux
Ă©lèves concernĂ©s, cela oblige les professeurs d’une mĂŞme discipline Ă
s’accorder sur les savoirs exigibles à un moment donné du cursus, sur la nature
des exercices qui permettent de les vérifier et sur les critères de correction.
Les équipes pédagogiques et disciplinaires deviennent alors une nécessité
impérative, institutionnelle, au lieu de rester à l’état de vœux pieux…
32. Il s’agit ici de décrire les tâches de chacun : qui
fait quoi et Ă quels moments.
3311. Dans les lycées comportant des classes préparatoires,
qui relèvent de l’enseignement supérieur, il serait évidemment souhaitable que
la représentation des élèves soit distinguée, pour les questions qui leur sont
propres, de celle des classes pré-bac. Remarque également valable en cas
d’internat : voir 3313.
512. Les élèves majeurs sont encore trop souvent, dans les
lycées, et malgré une jurisprudence constante du Conseil d’État, traités en
mineurs, qu’il s’agisse de la discipline, de la communication des résultats
scolaires, du contrôle des présences, etc. On pourrait réfléchir aux manières
dont on pourrait, institutionnellement, marquer l’accès à la majorité, en
confiant des responsabilités précises aux élèves majeurs en fonction de leurs
capacités : encadrements associatifs, monitorat scolaire, tâches
rémunérées symboliquement par l’octroi de manuels ou d’accès à la cantine, ce
qui Ă©viterait les humiliations pour ceux qui sont en situation sociale
difficile des recours au “ Fonds social lycéen ” ou l’habitude de
l’“ assistance ”. Prévoir aussi, dans l’échelle des sanctions, que le
majeur encourt des peines plus lourdes pour un même acte qu’un mineur…Un
proviseur de lycée a institué, à la veille des vacances de Toussaint, Noël,
Février, Pâques et grandes vacances, des réunions conviviales où sont invités
les élèves ayant acquis leur majorité dans la période précédente : les
élèves sont informés de leurs nouveaux droits (et du coup, devoirs…), dans le
lycée et dans la vie civile (un avocat et un policier participent à ces
réunions).
52. La question des procédures est extrêmement
importante : on peut toujours décréter, par exemple, dans un préambule
généreux, qu’on doit respecter les autres… Mais que puis-je faire, précisément,
lorsqu’on m’a manqué de respect ? Comment effectuer l’équivalent de la
démarche de “ porter plainte ” ? Si les règlements ne comporte
pas leurs règles de procédure, ils restent inapplicables : sans leurs
codes de procédure (civile ou pénale), les codes (civil ou pénal) eux-mêmes ne
sont rien.
53. Chacun de ces lieux peut faire l’objet d’un “ sous-règlement ”
particulier, exactement comme chaque professeur peut, avec ses élèves, élaborer
des règles particulières à son cours.
5522. Attention ici Ă ne pas faire de la
tâche elle-même une “ punition ” : balayer la cour ou les couloirs
n’est pas une punition c’est un mĂ©tier ; si ces tâches sont infligĂ©es Ă
titre de punition à un élève dont la mère “ fait le ménage ” ou le
père est “ technicien de surface ”, les effets ne peuvent
qu’entériner la violence des divisions hiérarchiques du travail (il y a des
tâches nobles et d’autres… ignobles !). Dans un collège de Seine &
Marne, ces punitions ne sont données que lorsque l’infraction a entraîné un
coût financier : l’élève travaille pour “ gagner ”, symboliquement,
de quoi réparer…