Paru dans Justice, journal du Syndicat de la
Magistrature, février 2005.
Bonnets
et photos.
« Oh ! jeune homme, tu peux
retirer ton bonnet avant d’entrer au lycée ! » Qui s’adresse
ainsi, sur un ton comminatoire, à un de mes élèves encore dans la rue et qui se
préparait à entrer en effet au lycée ? Une policière mobilisée dans
l’opération dite de « sécurisation », ce jeudi matin 6 janvier. On
ignorait encore que le port du bonnet dans la rue relevait des compétences de
la police nationale. Bien sûr, Farid ne se fâche pas, l’interpellation le fait
plutôt rigoler, il la néglige et enlève naturellement son bonnet en
franchissant le seuil du lycée, comme il le fait d’habitude, non pas par
respect du règlement intérieur mais par simple politesse en disant bonjour aux
surveillants à la grille. En revanche, le policier dans l’exercice de ses
fonctions doit porter sur lui un abrégé plastifié du code de déontologie de la
police nationale, lequel interdit le tutoiement : le représentant de la
loi ne respecte pas le code de sa fonction et s’occupe de ce qui ne le regarde
pas. Une chose est ici complètement sûre : aux yeux de Farid, encore
narquois en racontant l’épisode, la policière s’est ridiculisée. Brillant
résultat de la « sécurisation »… La réaction unanime de mes élèves
(cinq classes terminales) à cette « opération » s’est résumée en ces
simples mots : « C’est n’importe quoi ! » Et Farida
ajoute : « J’ai vu un de mes copains se faire contrôler, il a dû
ouvrir son sac, il a été fouillé, il était mal quoi ! Mais je trouve que
le plus ridicule là -dedans c’était bien le flic… » Je rectifie bien sûr en
expliquant la différence entre palpation de sécurité et fouille.
Par ailleurs, un collègue prend quelques photos de
l’opération, à quinze mètres des policiers, dans la pénombre du jour à peine
naissant. Aussitôt un policier exige la remise de l’appareil et de la
pellicule, au nom du droit à l’image. Mon collègue s’exécute. Pendant ce temps,
un autre de mes élèves, sommé de présenter ses papiers, explique qu’il n’a pas
de pièce d’identité sur lui et présente sa carte de transport avec photo. Nulle
infraction de sa part, mais quelqu’un le prend en photo à un mètre :
policier en civil ? journaliste ? Le photographe en tout cas ne
demande aucune autorisation et ne vértifie pas si l’élève est majeur ou mineur…
Quel fichier cette photo ira-t-elle alimenter ?
Les élèves ont l’impression que les policiers sont
au-dessus des lois. Je rectifie à nouveau – bonne occasion d’une leçon de
philosophie du droit – cette opinion erronnée. Certes, la responsabilité
personnelle des policiers impliqués dans ces épisodes grotesques (on est
évidemment loin des bavures régulièrement dénoncées par la Commission de
déontologie de la sécurité intérieure) est bien engagée. Mais alors la
responsabilité de ceux qui leur font jouer le rôle d’agents électoraux est
évidemment plus grave. Qui peut être dupe de ce genre d’opération qui,
d’ailleurs, n’a donné aucun résultat ? Conclusion : un bonnet d’âne
pour le ministre qui achève de ruiner ce qu’il pouvait rester d’autorité à ses
propres agents, et un autre pour chacun de ses deux collègues de la justice et
de l’éducation, qui couvrent ces agissements.
Bernard Defrance,
professeur de philosophie, lycée Maurice Utrillo,
Stains, Seine-Saint-Denis,
jeudi 6 janvier 2005, 10 heures dix.