RĂ©action Ă chaud et par
téléphone, jeudi matin, à l’opération de « sécurisation » des
établissements scolaires : pour la publication ici, j’ai effectué quelques
corrections et ajouté quelques précisions (indiquées en italiques), on peut
comparer avec le texte initial sur le site du Nouvel Observateur.
3 QUESTIONS A… BERNARD DEFRANCE
"La
sécurisation fabrique la violence"
Bernard Defrance
enseigne la philosophie
au lycée Maurice Utrillo
de Stains (Seine-Saint-Denis).
Il est l'auteur notamment
de "La violence Ă l'Ă©cole" (Ed. Syros)
Etes-vous d'accord avec les syndicats qui
dénoncent le caractère "publicitaire" et de "communication"
de l'opération de sécurisation des établissements scolaires ?
- Nous avons eu effectivement un contrĂ´le devant notre lycĂ©e. Le seul incident Ă
remarquer : un collègue a pris des photos pour le journal du lycée et des
policiers lui ont confisqué appareil et pellicule.
Cette opération est purement publicitaire. Elle réfute même le mot de
communication s'il est pris au sérieux. Ce
n’est pas de la « communication » c’est une opération de propagande. Le
côté négatif ressort sur les élèves qui nous disent ce matin : c'est n'importe
quoi. A Stains, les jeunes sont souvent confrontés aux violences, ils en
connaissent les causes et les conséquences. Cette
sécurisation n’a rien à voir avec un vraie
répression de la délinquance. Ils
savent qu'il est nécessaire d'avoir des policiers qui règlent les délits, mais
ils ne comprennent pas qu'on mette comme ce matin des agents Ă©lectoraux au
service d'un ministre.
Les élèves ont peu apprécié la vérification, les palpations, les fouilles. Cet
effet d'humiliation fabrique véritablement la violence. Etre victime d'un tel
traitement peut pousser plus tard  à effectuer soi-même la transgression : je
n'ai rien fait et je suis contrôlé, la prochaine fois, ils auront une bonne
raison. Ce sentiment d'humiliation peut
pousser une minoritĂ© Ă la transgression. La majoritĂ© s'est quant Ă
elle résignée.
De plus, nombre d'individus n'existeraient pas politiquement s'il n'y avait pas
de voyous de banlieue, comme c'est le cas pour Nicolas Sarkozy ou Dominique de
Villepin. Les plans concernant la sécurité à l'école se sont multipliés. Or la
violence a parallèlement augmenté de 13% en 2004.
Ces mesures n'ont pas vocation à rassurer les vieux ou les lycéens mais à les
inquiéter.
Cette opération discrédite la justice et la police. Les policiers font un
travail difficile, pas forcément valorisant. Eux-mêmes apprécient fort peu cet
effet de poudre aux yeux.
Existe-t-il une réelle insécurité dans les écoles
?
- Le chiffre des violences a
augmenté, je le rappelle, de 13% entre 2003 et 2004. Mais cette hausse a eu
lieu dans des zones délimitées. Le lycée où j'exerce est au cœur d'une banlieue
dite sensible. Il est d'une "paisibilité" rare. Seules deux bagarres
importantes ont eu lieu en 1997 et 2004. Les relations entre les garçons et les
filles restent calmes. Les élèves ont réussi à aller jusqu'en terminale, ils se
sentent comme des survivants scolaires. Ils savent ce qui les attend :
l'exclusion, le chômage. Ils connaissent déjà la violence.
Les contrôles d'identité aux entrées des
lycées ne peuvent-ils pas avoir une relative efficacité dans certains établissements
?
- Ces contrôles n’ont qu’un caractère exceptionnel, ponctuel. Or,
la police joue un rôle de répression et d'information. Il appartient
Ă chaque citoyen de collaborer avec elle, dans le cadre d'une Ă©ducation
civique. Il est capital que les jeunes ne ressentent pas le caractère
médiatique et humiliant d'opérations telle que celles organisées ce matin.
Certains chefs d'Ă©tablissement et des commandants de police font un travail Ă
long terme. Dans les zones les plus défavorisées, lorsque le partenariat
s'organise dans la continuité les résultats sont positifs.
La présence de policiers n'est pas gênante si elle s'articule autour d'un
travail de communication de longue haleine et non pas autour de manifestation
ponctuelle et médiatique.
Cette opération de
"sécurisation" fabrique plus la violence qu'elle ne la prévient. Mais encore une fois, peut-être est-ce le but
recherché, puisque, je me répète, certains n’existeraient pas politiquement si
les « voyous » de banlieue ne leur fournissaient pas tous les
prétextes à donner l’illusion d’agir.
Propos recueillis par SĂ©verine De Smet
(jeudi 6 janvier 2005)
© Le Nouvel
Observateur 1999/2000