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Contre le voile et donc contre l’exclusion de l’école

 

Contre le voile et donc contre l’exclusion de l’école

des jeunes filles qui le portent.

 

Le voile, prĂ©tendument islamique, n’est pas le signe d’une foi, il est signe – Ă©videmment ostentatoire â€“ d’une religion, et mĂŞme du religieux le plus archaĂŻque. Ce religieux naĂ®t de la peur : peurs ancestrales qui prennent leurs sources dans le processus d’hominisation mĂŞme, peur des forces mystĂ©rieuses qui habitent la nature et nous habitent dans notre sommeil et nos rĂŞves, peurs de la faim, de la mort, et des mystères de la vie elle-mĂŞme, des puissances de la violence et de la sexualitĂ©. Pour la reproduction de l’espèce, la fonction mâle, nĂ©cessaire, n’est cependant que très brièvement utile. L’homme reprend culturellement (et donc d’abord religieusement) domination sur la femme pour prĂ©venir cette Ă©limination possible, une fois son rĂ´le accompli. Ainsi la foi, rĂ©ponses possibles aux mystères, s’institue (et se pervertit) en religion ; ainsi le mâle devient prĂŞtre, la femelle vierge intouchable ou prostituĂ©e sacrĂ©e. La religion, en tant que corps de normes extĂ©rieures au sujet (dans l’hĂ©tĂ©ronomie), s’oppose ainsi aux forces libĂ©ratrices de la foi (dans l’autonomie) comme rĂ©ponses choisies aux mystères de la nature, de la vie et de la mort, comme expression de l’espĂ©rance d’un sens Ă  librement construire et non pas donnĂ© d’avance.

Le voile manifeste l’ambivalence de la peur : attirance et rĂ©pulsion simultanĂ©e de l’homme pour la femme, inquiĂ©tude (quelquefois panique) du mâle devant celle qui semble maĂ®triser justement les mystères de la vie en la donnant, dans la mise au monde. Mettre Ă  distance, voiler, maintenir comme objet du père, du mari, voire du fils : le voile semble interdire et en rĂ©alitĂ© provoque la prĂ©dation, le viol.

Ainsi les trois monothĂ©ismes trahissent-ils constamment le noyau central de leurs messages, Dieu crĂ©e l’homme Ă  son image, homme et femme il les crĂ©a : Ă©galitĂ© de l’homme et de Dieu dans leur libertĂ©, Ă©galitĂ© de l’homme et de la femme dans leur amour. Le virilisme, la violence des garçons dits « de banlieue Â» (c’est vrai aussi ailleurs) est le rĂ©sultat de leur peur d’aimer et d’être aimĂ©s. Je signale souvent Ă  mes Ă©lèves musulmans, dans mes cinq classes de terminales, qu’il leur appartient de rectifier cette constante erreur qui fait traduire en français Islam par « soumission Ă  Dieu Â» : si Dieu exigeait que je lui sois soumis il ne serait pas Dieu. Et donc la bonne traduction est « obĂ©issance Ă  Dieu Â», puisque la soumission est le contraire de l’obĂ©issance.

Je dois donc, pas seulement au nom de la laïcité (comme norme sociale, extérieure au sujet, respect indispensable mais purement négatif de l’autre), mais aussi au nom de mon éventuelle propre foi (juive, chrétienne ou musulmane, puisque leur racine commune le révèle) critiquer ce qui y demeure encore de restes archaïques du religieux résistant, voiles, kippas (Dieu n’est pas au-dessus mais devant), rituels magiques, sacrifices, processions et pèlerinages païens, excisions et circoncisions, séparations entre hommes libres et esclaves, entre homme et femme.

L’école laïque seule peut permettre que chaque élève puisse entendre, par exemple, que shalom et islam sont le même mot, de la racine indo-européenne slm, et que le dépassement du religieux ouvre aux dimensions infinies de la foi, que l’abandon du voile, à la fois protecteur et séducteur, permet de commencer à sortir des dialectiques diaboliques (destructrices du symbolique) de la domination et de la soumission. Cette éducation (effort toujours inachevé pour se déprendre de l’hétéronomie et construire l’autonomie) n’est possible que dans l’institution de l’école, institution pris ici au sens de processus, inachevable.

Long travail, bien sĂ»r, dans lequel je suis toujours tentĂ©, comme professeur, par les courts-circuits de la violence, par la nĂ©gation du temps, pour esquiver les exigences de ma mission : je ne peux pas supposer dĂ©jĂ  connu et pratiquĂ© par mes Ă©lèves ce qu’ils viennent apprendre et pratiquer Ă  l’école. Les quelques Ă©clairages ci-dessus rappelĂ©s sommairement, comment et oĂą les filles qui portent le voile dans mes classes pourraient-elles les entendre et les comprendre si elles devaient ĂŞtre exclues, placĂ©es dans l’impossibilitĂ© d’entrer dans ma classe ? Et comment et oĂą les garçons pourraient-ils comprendre que leur peur peut se traduire en crĂ©ation et non en violence, si l’on devait abolir la mixitĂ© ? C’est bien en effet parce que je suis contre le voile, radicalement, que j’exige que la RĂ©publique ne trahisse pas sa mission en renvoyant, sans recours, celles qui le portent Ă  la soumission que leur imposent les mâles, ou Ă  leurs propres infidĂ©litĂ©s Ă  leur propre foi.

 

Bernard Defrance, professeur de philosophie,

lycée Maurice Utrillo, Stains (Seine-Saint-Denis).

 

 

Une question de RĂ©my Fontier :

RĂ©my Fontier, du service juridique du SGEN-CFDT, me dit : « La distinction que tu fais entre soumission et obĂ©issance n’est pas claire du tout. Tu dis que ce sont des notions contraires alors que le Petit Robert donne dĂ©sobĂ©issance comme antonyme de soumission. Ma copine qui enseigne la psychologie sociale en fac m’explique que l’obĂ©issance est une composante de la soumission...  Alors pour le moins il faut que tu expliques. Â»

RĂ©ponse : « Se soumettre : se mettre dessous (ce qui, pour l’inconscient, signifie… je ne vais pas te faire un dessin !). Le Petit Robert n’est pas la Bible et ta copine reste dans les banalitĂ©s des confusions. Voir Rousseau : j’obĂ©is parce que j’ai vĂ©rifiĂ© la rationalitĂ© et/ou la moralitĂ© d’une règle ou loi quelconque (la règle et la loi ce n’est pas du tout la mĂŞme chose mais ça ne fait rien ici…) et seul le citoyen libre peut obĂ©ir, non pas Ă  quelqu’un mais Ă  la loi dont ce quelqu’un est, par dĂ©lĂ©gation provisoire, le garant ; se soumettre Ă  ou soumettre quelqu’un, c’est renoncer Ă  l’humanitĂ©, entrer dans la violence oĂą l’autre, de sujet, devient objet : sur ou sous… L’exercice du pouvoir sur un groupe est contradictoire avec l’exercice d’une autoritĂ© dans le groupe : le professeur n’est pas au-dessus mais devant, l’inĂ©galitĂ© (provisoire) du maĂ®tre et de l’élève s’inscrit dans le temps et non dans l’espace. L’obĂ©issance n’est pas du tout une composante de la soumission, la soumission est une perversion de l’obĂ©issance, et d’ailleurs dès que j’ai le dos tournĂ©, n’est-ce pas… Â»

 

Une rĂ©action de Michel Onfray :

Pas contre votre texte...
Il y aura des effets pervers aux deux positions : l'interdiction ( contraindre ces gamines Ă  aller dans le privĂ©, voire dans des Ă©coles coraniques, le prochain combat de ceux qui les soutiennent...)  et l'autorisation ( la première bataille gagnĂ©e, suivie d'autres, par ceux qui mènent un combat contre la rĂ©publique, pour islamiser lentement mais sĂ»rement au-delĂ  de trois ou quatre gamines prises en otage...)
Donc, vous avez raison, penser est encore le mieux sur cette question, mais on est souvent contraint de répondre à une alternative : pour ou contre - qui empêche de penser...
pensons, oui... continuons...
bien amicalement,
MO.

 

Une rĂ©action de Michèle Hobart :

Cher Monsieur,

C'est toujours avec un très grand intérêt que je lis vos publications ou que je regarde vos interventions télévisées tant la clarté de vos propos tranche agréablement avec le jargon incompréhensible dont nous abreuve l'éducation nationale depuis des années. J'ai davantage appris en vous lisant ou en vous écoutant qu'en trente ans de conférences pédagogiques.

Ceci dit, venons-en Ă  la raison pour laquelle je vous Ă©cris.

« Contre le voile et donc contre l'exclusion des jeunes filles qui le portent » - tout est dit dans le titre ... et sans avoir lu l'article on devine quels arguments y seront dĂ©veloppĂ©s tant le sujet a fait couler d'encre et de salive. Évidemment on ne peut qu'ĂŞtre d'accord avec l'analyse qui est la vĂ´tre mais j'aimerais savoir ce que vous rĂ©pondez Ă  ces jeunes filles de banlieue (« ni putes ni soumises Â») qui demandent que l'Ă©cole ne cède surtout pas Ă  la pression des islamistes ?

Que rĂ©pondre Ă  ces algĂ©riennes, dont Madame Messaoudi (professeur, Ă©crivain, dĂ©putĂ©) fait partie, qui se battent pour que les femmes dans leur pays ne soient plus obligĂ©es de porter le voile parce qu'elles ont peur ? Elles ne considèrent pas le port du voile islamique comme Ă©tant le signe d'une appartenance religieuse, comme pourrait l'ĂŞtre la croix chez les chrĂ©tiens par exemple, mais comme le signe de l'aliĂ©nation de la femme. Elles ne comprennent pas, elles non plus, pourquoi l'Ă©cole française, laĂŻque et rĂ©publicaine cède Ă  la pression des islamistes, ouvrant ainsi une brèche dans laquelle ne tarderont pas Ă  s'engouffrer les intĂ©grismes de tout poil.

Finalement les islamistes auront obtenu ce qu'ils désirent : la première brèche dans l'édifice de la laïcité. La première brèche est décisive - même si elle est la plus difficile à obtenir parce qu'elle n'a pas de modèle (comme le dit René Girard, à propos de la lapidation de la femme adultère, « la première pierre est décisive parce qu'elle est la plus difficile à jeter ... elle est la seule à ne pas avoir de modèle »). Une fois obtenue, la deuxième vient assez vite et la troisième vient plus vite encore car elle a deux modèles au lieu d'un, et ainsi de suite.

Ne craignez-vous pas qu'en n'étant pas ferme aujourd'hui sur le port du voile islamique à l'école pour sauver de l'exclusion un certain nombre de jeunes filles, nous ne mettions en danger la totalité d'entre elles qui risqueront demain de subir des pressions bien plus importantes encore ?

Que se passera-t-il quand des élèves demanderont de ne pas suivre les cours de biologie, d'éducation physique ou musicale, quand ils demanderont que soit mise à leur disposition une salle de prière au sein même de l'école, quand enfin ils exigeront la fin de la mixité ?

Que se passera-t-il lorsque dans l'espace public les femmes viendront travailler avec la burqa ?

Est-ce que les élèves de l'école de la république constituent autant de consommateurs de plus en plus exigeants vis-à-vis des services qui leurs seraient proposés, ou y a t-il quelque chose de particulier dans la nature même de l'enseignement qui le différencie, par exemple, des prestations d'une compagnie de transport aérien soucieuse de la concurrence de ses rivales et proposant une palette de formules de confort et de restauration pour satisfaire tous les goûts ?

Comment la transmission d'une culture et d'un savoir républicains (et français de surcroît) peut-elle être compatible avec la consommation en libre-service qu'est devenue aujourd'hui le mode de vie des sociétés occidentales ?

L'éducation comme réponse aux problèmes de société ne peut s'envisager que dans la durée, presque hors du temps social. Mais dès lors comment faire face à un problème immédiat qui, s'il n'est pas résolu habilement aujourd'hui, laissera la porte ouverte à une problématique bien plus complexe demain ? Est-il encore temps de laisser du temps au temps ?

 

Michèle Hobart

4/12/2003

 


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