Plate-forme des
droits de l’enfant
Conseil Général de
Seine-Saint-Denis
Bobigny, le 14 novembre 2002
Table ronde
matinée
Des droits de l’enfant !
Pourquoi pas des devoirs ?
Bernard LOCHE, Journaliste Ă
France 3, ancien rédacteur en chef de « Saga Cités », présentateur
Pour ces journées,
nous avons demandé à des experts et praticiens de nous faire part de leurs
réflexions et d’échanger avec les professionnels de l’enfance.
Le premier thème porte
sur la Convention internationale des droits de l’enfant et notamment sur le
droit à l’éducation. Le deuxième portera sur les personnes qui peuvent mettre en
œuvre ce droit et sur les entraves existantes. Ce premier thème sera animé
par :
·
Nigel CANTWELL, juriste international, membre du
centre Innocenti de l’UNICEF, qui a participé à l’élaboration de la
Convention ;
·
Bernard DEFRANCE, professeur de philosophie au
lycée Maurice Utrillo de Stains, auteur de nombreux ouvrages sur l’école et la
violence à l’école et membre de Défense des Enfants International ;
·
Joëlle BORDET, psychosociologue, chercheur au
Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).
Les interventions de
Stanislas TOMKIEWICZ et de Jean-Pierre ROSENCZVEIG ont été enregistrées. Pour
commencer, un film présente les réflexions des premiers concernés, les enfants,
sur les droits de l’enfant.
Présentation d’un reportage
L’intervieweuse
Les enfants ont-ils
des droits ?
Une enfant
Oui, mais des enfants
n’en ont pas dans certains pays.
Un enfant
C'est le droit d’aller
à l’école, d’avoir à manger.
Une enfant
Le droit d’être suivi
par un médecin.
Un enfant
D’avoir de l’amour de
leurs parents.
L’intervieweuse
Tous les enfants
ont-ils les mĂŞmes droits ?
Un enfant
Non. Par exemple,
certains n’ont pas le droit de sortir le soir avec leurs copains et doivent
rester chez eux faire leurs devoirs.
L’intervieweuse
Si un enfant fait une
bĂŞtise, doit-il conserver les mĂŞmes droits que les autres ?
Les enfants
Oui.
L’intervieweuse
Si vous avez des
droits, avez-vous aussi des obligations ?
Un enfant
De travailler.
Un enfant
De respecter les
autres.
L’intervieweuse
L’école est-elle un
droit ou une obligation ?
Une enfant
Les deux. L’enfant est
obligé d’avoir une éducation, mais c’est un droit à la base.
L’intervieweuse
Doit-on avoir de
bonnes notes à l’école ?
Les enfants
Non.
L’intervieweuse
Que n’aimez-vous pas Ă
l’école ?
Une enfant
Comme il y a des bagarres
et des insultes, nous avons décidé avec la maîtresse qu’il fallait apprendre le
règlement et ce qu’on avait le droit de faire et de ne pas faire.
L’intervieweuse
Sans punition,
respecteriez-vous ces règles ?
Une enfant
Oui.
L’intervieweuse
Existe-t-il des
obligations injustes ?
Une enfant
Oui, lorsqu’un enfant
est arraché à ses parents.
Un enfant
Des maîtresses font
des punitions collectives, alors que seuls trois ou quatre ont commis des
bĂŞtises.
L’intervieweuse
Pourrait-on vivre dans
un monde où il n’y aurait que des enfants ?
Une enfant
Non. Par exemple, si
on veut partir en vacances, il n’y aura personne pour s’occuper de nous.
Le présentateur
Ces témoignages nous
ramènent à la question des droits de l’enfant et à la Convention. Dans quel but
a-t-elle été élaborée ? Comment se situe-t-elle par rapport à la
Déclaration universelle des droits de l’homme ? Pourquoi ne pose-t-elle
que des droits et pas de devoirs ?
Nigel CANTWELL
Il est important de
présenter l’historique de la Convention pour mieux la comprendre et la situer
dans le développement des réflexions sur l’enfance et sur l’enfant en tant que
porteur de droits de l’homme.
I.       L’origine de la Convention
Cette histoire est
déjà longue, puisque le premier texte de portée internationale date de 1923. Ce
texte a été rédigé par Eglenwein Gebb, fondatrice de « Save
the Children », aujourd’hui l’une des ONG les plus importantes dans les
pays anglo-saxons. En 1924, la Société des Nations, précurseur de l’ONU, a
recommandé à ses membres d’appliquer les principes de cette déclaration. Ce
texte est très court et très simpliste et ne contient que cinq points, comme le
droit à être protégé et à être aimé.
Ensuite, si les
réflexions ont été nombreuses, une meilleure prise en compte de ces droits sur
le plan international n’a été possible qu’avec la création des Nations Unies en
1946. En 1948, la déclaration de 1923 a été adoptée à nouveau, avec quelques
modifications. L’expérience polonaise, notamment avec Korjac, a conduit à améliorer cette
déclaration.
Cela a abouti en 1959
dans la première déclaration des Nations Unies sur les droits de l’enfant.
Cette déclaration de 1959 reflète l’approche relativement paternaliste de
l’époque. Elle ne contient pas de disposition concernant la participation de
l’enfant. L’enfant a le droit de recevoir, mais pas d’agir. Il n’est pas
considĂ©rĂ© comme porteur de droits. Sur le plan civil, son seul droit consiste Ă
avoir un nom et une nationalité.
Dès ce moment, la
Pologne voulait que cette déclaration constitue une convention et qu’elle ait
une portée juridique contraignante pour les États qui la ratifient. Cependant,
la communauté internationale n’était pas prête pour cela. En 1978, la Pologne
propose de nouveau l’adoption d’une convention. Elle reprend pour cela le texte
de la dĂ©claration paternaliste de 1959. Elle a prĂ©fĂ©rĂ© proposer ce texte, dĂ©jĂ
accepté, car 1979 est l’année internationale de l’enfant et que le temps
manquait pour en négocier un nouveau.
La Commission des
droits de l’homme demande malgré tout à la Pologne un nouveau texte, plus large
et prenant en compte les avancées dans le domaine de l’enfance. Le texte
qu’elle propose en 1980 est un pas vers le texte actuel, mais des lacunes
demeuraient quant à la participation de l’enfant et l’esprit restait le même.
II.     Le processus d’élaboration de la Convention
La position de la
Pologne est comprĂ©hensible du fait que la Guerre froide la conduit Ă
privilégier les droits économiques, sociaux et culturels et non les droits individuels,
civils et politiques. Naturellement, la position de l’Ouest était inverse. Les
négociations au sein du groupe de travail étaient donc extrêmement tendues. La
collaboration existait, mais elle Ă©tait minimale. Avec le
" dégel " de 1985, l’esprit des négociations a profondément
changé. Cela reste visible dans certaines expressions du texte définitif, sans
que cela soit forcément négatif.
Les ONG ont joué un
rôle nouveau, car elles ont participé activement à l’élaboration de la
Convention. C’est devenu un modèle pour la participation de la société civile
dans l’élaboration d’un texte international. Malgré leurs différences, elles
ont accepté d’être regroupées dans un groupe informel cohérent.
Pour leur part, les
organisations intergouvernementales, comme l’Unicef, l’Unesco, le BIT ou l’OMS,
n’ont pas joué leur rôle, ce qui est difficilement compréhensible. Le côté
positif est qu’une place plus large dans les négociations a pu être donnée aux
ONG.
Enfin, les PVD ont
joué un réel rôle dans l’élaboration du texte. Certes, 80 % des délégués
gouvernementaux actifs provenaient des pays industrialisés, de l’Ouest et de
l’Est. Les PVD manquaient d’argent pour envoyer des représentants dans les
réunions de travail à Genève. En pratique, des réunions officielles se tenaient
une semaine ou deux par an, en fin d’année, mais la réflexion était continue.
Cependant, les quelques délégués des PVD étaient très loquaces et actifs. Le
texte contient donc les références nécessaires aux besoins de la coopération
internationale pour la réalisation des droits de la Convention, notamment pour
la santé et l’éducation.
Tout aussi important
est ce que les PVD ont accepté. En particulier, ils ont accepté sans être forcé
la référence pudique, mais compréhensible, aux pratiques traditionnelles ayant
un effet nĂ©gatif pour la santĂ© des enfants. Nous voulions intĂ©grer le droit Ă
la protection contre les pratiques traditionnelles nocives et nous y sommes
donc parvenus.
III.  Le texte de 1989
Au total, le texte
actuel n’est évidemment pas parfait. Il s’agit d’un texte durement négocié qui
tient compte des différents types de droits, grâce à ces différents apports. Il
tient compte dans la mesure du possible de la situation de chaque pays.
De mon point de vue,
le plus important est que ces négociations ont été menées dans le cadre de la
Commission des droits de l’homme. C’est la première fois qu’un texte en matière
d’enfance a été adopté grâce à son travail, puisque la déclaration de 1959
avait été adoptée directement par l’Assemblée générale de l’ONU. L’enfant est
donc intégré dans le domaine des droits de l’homme.
Je crains aujourd’hui
que les droits de l’enfant soient à nouveau séparés des droits de l’homme,
alors qu’ils en sont une composante spĂ©cifique. Si nous donnons un statut Ă
part à l’enfant, nous perdrons tout le processus qui a conduit à ce que
l’enfant soit une personne reconnue au sein des droits de l’homme.
Le présentateur
Comme la DĂ©claration
universelle des droits de l’homme, la Convention internationale des droits de
l’enfant évoque les droits et non pas les devoirs. Quelles sont les raisons de
ce choix ?
Nigel CANTWELL
Comme les droits de
l’enfant sont une composante des droits de l’homme, ils ne peuvent pas exprimer
les devoirs ou les obligations, mĂŞme si le texte Ă©voque implicitement certaines
responsabilités, notamment l’âge minimum de la responsabilité pénale.
Les responsabilités
n’ont pas leur place dans un texte qui consiste essentiellement en une liste
d’obligations de l’État vis-à -vis de l’enfant, que ce soit des obligations
directes, comme l’accès à l’école, ou indirectes, par le biais des parents ou
de structures décentralisées.
Bernard DEFRANCE
Une raison très simple
pour laquelle les devoirs ne sont pas énumérés dans l’ensemble du texte est que
les devoirs sont la conséquence de l’exercice des droits. À partir du moment où
je veux exercer un droit, quel qu’il soit, je vais tenir compte d'une part de
contraintes matérielles et économiques et d'autre part d’obligations sociales.
Le devoir est la conséquence pratique de l’exercice d’une liberté en situation
collective.
Par ailleurs, des
personnes bénéficient de droits qui ne sont gagés par aucun devoir. Les
enfants, les handicapés ou les grabataires sont des sujets humains auxquels la
société reconnaît des droits fondamentaux. Les devoirs correspondants à ces
droits ne sont pas des obligations pour les personnes concernées par ces
droits, mais il y a un devoir, une responsabilité de la collectivité à leur
Ă©gard.
Vous savez qu’il est
question de pénaliser l’absentéisme avec une amende de 2 000 euros prévue
pour les parents dont les enfants sèchent l’école. Or, comme nous l’avions
relevé à DEI-France dans nos rapports depuis 1999, au moins 10 000 enfants
handicapés devraient être scolarisés en France, mais ne le sont pas, faute de
places. Ce sont donc des « sécheurs forcés » de l’école et il n’est
pas possible de punir les parents. C’est l’État ici qui devrait payer !
Faites le calcul…
De façon plus
générale, des droits ne sont gagés par aucun devoir. Jean-Pierre ROSENCZVEIG
l’exprime en disant qu’une femme qui croise un homme dans la rue n’a pas à le
remercier parce qu’il ne la viole pas !
Le présentateur
Le débat est ouvert.
Que signifie cette Convention ? Comment se l’approprier et la faire vivre
au quotidien, dans les différents métiers que les professionnels de l’enfance
exercent ?
Stéphane AUDRET, conseiller principal
d’éducation du collège Diderot à Aubervilliers
Au lendemain de
l’adoption de la Convention, une polémique était apparue à propos du paradoxe
des droits-libertés et des droits-créances. L’enfant est considéré à la fois
pour son immaturité physique et intellectuelle et pour sa capacité de
discernement. Le premier point de vue amène la mise en œuvre de droits à la
protection, tandis que le second lui donne des droits-libertés, comme la
Convention les expriment.
Bernard DEFRANCE
Cette remarque renvoie
à la question du temps dans l’éducation. L’enfant est sujet de droit – ce qui
est déjà une avancée décisive dans l’histoire humaine d’avoir reconnu l’enfant
comme un sujet –, mais en même temps il n’est pas encore citoyen. La tension
éducative se situe entre ce " déjà " et ce " pas
encore ".
Nous sommes toujours tentés par
deux types de courts-circuits :
·
traiter l’enfant trop tôt en citoyen et de lui
donner des responsabilités qu’il n'est pas encore capable d’assumer ;
·
le traiter trop tard en citoyen, en s’imaginant
qu’à 18 ans, miraculeusement, l’enfant peut accéder à des responsabilités qu’il
n’a jamais apprises.
La difficulté des
professionnels de l’enfance est de parvenir à bien régler le temps de
l’apprentissage. Nous disons ainsi souvent que l’école doit être le moment de
l’apprentissage de la loi. Il ne s’agit pas de traiter les élèves trop tôt en
citoyen, ni trop tard. L’école n’est pas un espace
de démocratie, mais un temps
d’apprentissage de la démocratie. Les logiques spatiales et temporelles ne
doivent pas ĂŞtre confondues.
Le ministre dĂ©lĂ©guĂ© Ă
l’Enseignement, Xavier DARCOS, a expliqué tout récemment que la relation
pédagogique professeur-élève est inégalitaire. Il néglige de préciser que,
certes, c’est le cas, mais que cette relation doit devenir Ă©galitaire. C’est Ă
nouveau la question du temps. À l’école, nous appelons les enfants et
adolescents des " élèves ", car ils s’élèvent à l’égalité
de ceux qui ont la responsabilité de leur éducation.
Stéphane AUDRET
S’il existe des
obligations qui sont la conséquence de droits, il existe aussi des obligations
qui ne trouvent de contrepartie en termes de droits, comme l’obligation pour
les Ă©ducateurs et les parents de manifester empathie, attention et chaleur
envers les enfants. N’y a-t-il pas des obligations qui échappent à la
définition de droits spécifiques aux enfants et qui restent inaperçues si nous
conservons un point de vue juridique ? Dès lors, à côté du droit, ne
faudrait-il pas réfléchir à une éthique qui permettrait de répondre à ces
droits des enfants qui ne peuvent être juridiquement formulés ?
Le présentateur
Une convention ne peut
pas être un guide de comportement des parents à l’égard des enfants, du soir au
matin.
Nigel CANTWELL
La Convention Ă©tablit
des normes minimales. Il peut s’agir d’aspiration, mais cela ne devrait pas
l’être pour les États qui ratifient. Au fond, elle est conçue comme un consensus
international sur le minimum à accorder à l’enfant. Chaque pays doit mettre en
œuvre des mesures de façon appropriée pour le garantir.
Je ne suis pas
juriste. Lorsque l’on dit que l’enfant a droit à l’amour, je ne suis pas
d’accord. Nous devons tous faire pour que l’enfant soit aimé, mais il n’a pas
droit à l’amour parce que l’État ne peut pas le garantir. Dans une convention,
c’est l’État qui prend des obligations.
Bernard DEFRANCE
Il est difficile,
voire impossible, de formuler des critères d’ordre affectif dans un texte
juridique.
Cependant, comme tous
les textes de loi, la Convention s’exprime au présent de l’indicatif. Pour mes
150 élèves, il est difficile de comprendre que la
loi est la même pour tous, alors que c’est ce que signifie
l’utilisation de ce temps. Précisément, la loi est la même pour tous parce
qu’elle ne l’est pas encore. Cela nous oblige à agir pour qu’il en soit ainsi.
Nous définissons des principes qui structureront notre action, et il convient
ensuite de passer à l’action.
Par ailleurs, un code
de déontologie existe pour les travailleurs sociaux, pour la police, pour la
médecine et pour d’autres métiers de la relation humaine, il n’en existe pas
pour les enseignants. Cela leur permettrait non pas de limiter ou de cadrer
leurs actions, mais de structurer de l’intérieur leur liberté pédagogique.
Le présentateur
Une autre question est
celle de l’âge. La Convention pose une série de droits, mais il est difficile
d’avoir les mêmes droits à des âges différents, notamment les droits des
articles 12 à 17 sur le droit à l’expression, à l’information, à la liberté de
conscience : peut-on dire qu’ils ont le même sens à 3 et à 16
ans ? Comment peut-on envisager ces questions ?
Nigel CANTWELL
Il est très difficile
de définir des tranches d’âge, mais la Convention essaie d’y répondre pour le
rendre possible. Elle évoque ainsi dans son article 5 « l’évolution de la
capacité de l’enfant » ou sa « capacité croissante de pouvoir agir en
faveur de ses propres choix lui-même ». Néanmoins, la Convention prévoit
toujours un encadrement pour guider ces choix, ou au moins des
personnes-ressources, comme les parents. Il n’en demeure pas moins que la
Convention reconnaît à l’enfant le droit de devenir davantage actif dans la
réalisation de ses droits.
Cependant, nous nous
sommes rendu compte que l’enfant pouvait participer dès les premiers jours pour
des choses basiques, si nous l’observons bien. À 2 ou 3 ans, il peut réellement
participer à la prise de décision, ne serait-ce qu’en lui permettant de s’exprimer
pour les sujets qui le concernent. Cela peut paraître exagéré et je suis sur ce
point opposé à certaines interprétations erronées de la Convention. Il est
pourtant clair que si nous prenons l’enfant au sérieux, il a des droits et il
peut donc participer et influer sur les décisions prises à son encontre. Cela
permet de faire le pont entre les droits des plus âgés et ceux des plus jeunes.
Bernard DEFRANCE
Des monographies
écrites par des institutrices de maternelles et publiées aux éditions ESF montrent que chaque matin,
dans les conseils, les enfants énumèrent les énonciations de la loi. Cela
correspond à l’exercice d’un droit réel et à une véritable mise en pratique de
la loi, grâce à quoi les enfants sont reconnus comme sujets de parole.
Joëlle BORDET
La Convention
constitue un " contenant collectif " par rapport Ă des
droits minimaux que doit garantir l’État. C'est donc une grande avancée,
d’autant plus qu’elle a été ratifiée par la quasi-totalité des États. Sans ce
contenant que doit tenir l’État, il n’est pas possible de travailler sur le
règlement et l’autorité, car il n’y aura pas de protection.
Par ailleurs, la
Convention est importante en ce qu’elle considère l’enfant comme un sujet actif
de son propre destin et de sa propre responsabilité.
Cela renvoie aussi Ă
la question de l’étayage de l’autorité. Il est évident que la Convention ne
peut pas constituer un règlement, mais elle peut être un support pour
l’exercice de l’autorité. C'est une ligne de travail que nous pouvons suivre.
Sur ce point, une assistante dans une PMI me demandait comment elle pouvait
répondre à une mère qui reçoit une gifle de son enfant de 2 ans. La réponse
n’est pas simple. Nous avons donc affaire aujourd’hui à des situations
difficiles sur le plan de l’autorité.
Par ailleurs, l’une
des voies pour sortir de la logique " droits et
obligations " est la participation de l’enfant. C’est à nouveau une
question complexe.
Enfin, pour avoir
travaillé dans un commissariat de police pendant un an, je ne crois pas qu’un
code de dĂ©ontologie soit utile. Quoi qu’il en soit, un tel code ne suffit pas Ă
éclairer les pratiques des professionnels sur la question des libertés et de
l’autorité. Du moins, les professionnels n’y font pas référence.
Bernard DEFRANCE
La victime peut y
faire référence.
Joëlle BORDET
C'est vrai, mais ce
n’est pas le cas pour les professionnels, que ce soit dans leurs rapports avec
les parents ou entre eux. Sur ce point, un vide existe.
Madame AUBRAGE, Ă©ducatrice de jeunes enfants
dans un centre de PMI
Dans le cadre des
droits de l’enfant, nous essayons de faire participer à la fois les enfants et
les parents. Pour ces derniers, les droits de l’enfant sont abstraits et loin
d’eux. C’est ce qu’ils nous ont expliqué lors d’interviews.
En pratique, comment
pouvons-nous aborder la question des droits de l’enfant au quotidien ?
Le présentateur
Y a-t-il des
témoignages allant dans le même sens dans la salle ?
Une participante
La Convention des
droits de l’enfant est un texte formidable, mais nous sommes très loin de la
réalité. Nous ne savons pas comment mettre la théorie en pratique. Je demande
aux chercheurs de réfléchir non pas à de nouveaux droits à ajouter, mais à la
façon de les mettre en place.
Le présentateur
Pouvez-vous donner des
exemples ?
La participante
Il faut prendre en
considération ce que peuvent ressentir les enfants, avec des pratiques qui
conviennent. Il ne faut pas que, d’un côté, les textes prennent en compte la
parole de l’enfant et que, de l’autre, ils ne la prennent pas en compte.
Danièle de LOUVAIN, psychologue en PMI et
crèches en Seine-Saint-Denis
Joëlle BORDET pose
clairement les questions. Je voulais témoigner à partir de ma pratique de
psychologue.
Il s’agit d’une
question de transmission. Lorsque nous donnons la parole aux parents et leur
demandons ce qu’ils veulent personnellement transmettre à leurs enfants, les
réponses qu’ils apportent sont extraordinaires. Je suis stupéfaite d’entendre
des parents, accusés de ne pas être suffisamment attentifs à leur enfant,
exprimer des choses très fortes. Surtout, au moment où ils se mettent à parler,
j’observe que l’enfant, même violent, s’arrête et les regarde.
La question des droits
de l’enfant et des responsabilités qu’ils peuvent prendre entre dans le cadre
de ces jeux entre les enfants et les adultes. Leurs interactions doivent se
faire en réciprocité.
Le très beau film Être et
avoir témoigne de la façon dont un instituteur transmet les valeurs,
avec les parents. Certes, il ne faut pas ĂŞtre naĂŻf et des contraintes existent.
Il est néanmoins toujours utile d’écouter les parents et de comprendre comment
ils peuvent se positionner et témoigner.
Madame DUCLOS, principale du collège
Diderot (Aubervilliers)
Dans la continuité de
Danièle de LOUVAIN, je me suis aperçue qu’en
partageant des objectifs identiques avec les parents, ce faux problème de
droits et devoirs disparaissait. En tant que chefs d’établissement, nous
souhaitons que l’avenir des élèves soit le plus positif possible. Notre but est
la réussite et l’enfant a le droit de réussir.
Dans mon collège,
situé en zone d’éducation prioritaire, nous travaillons ensemble avec les
parents dans la perspective d’une réussite. Nous faisons en sorte que l’école
soit un tremplin social. En cas de divergence entre parents et professeurs,
nous rappelons que nous sommes tous là pour la réussite de nos enfants.
Cette réussite est un
objectif commun, que nous avons inscrit dans la charte de l’établissement
qu’est le règlement intérieur. Certes, celui-ci n’est pas un code de
déontologie, mais il a le mérite d’exister pour les élèves, notamment parce
qu’il figure sur le carnet de correspondance. Dès que ce droit de réussir est
partagé par tous, les problèmes sont moins nombreux.
Ainsi, quand un élève
vient dans mon bureau parce qu’il a fait preuve d’incivilité, je rappelle
systématiquement qu’il est là pour réussir. Cela le calme immédiatement, car
c’est un objectif commun. Les divergences restent purement formelles.
C'est donc dans cette
perspective que nous devons travailler pour dépasser les faux problèmes.
Bernard DEFRANCE
Il faut tenir compte
de trois éléments concernant la place des parents.
Premièrement, l’idée
de dĂ©mission des parents est fausse. Aucun parent ne confie ses enfants Ă
l’école six heures par jour sans s’inquiéter de ce qui se passe dans ce lieu où
il n’a presque aucun droit de regard. En fait, pour reprendre une expression
d’Adil Jazzouli, les parents ne démissionnent pas, mais ont été
" licenciés ", trop souvent à cause de conditions
d’existence difficiles. Quand une mère balaie des bureaux Ă
Boulogne-Billancourt entre 19 et 22 heures, qu’elle doit quitter la cité des
Bosquets Ă 17 heures et rentrer par le dernier bus Ă 1 heure du matin, je ne
supporte pas d’entendre mes collègues enseignants dire qu’elle n’est jamais
présente pour s’occuper de son enfant lorsqu’il sort de l’école.
Deuxièmement, il faut
tenir compte de la distinction des rôles et de la séparation des fonctions. De
façon concrète, lorsque je punis mon enfant chez moi pour une bêtise
quelconque, je n’éprouve pas le besoin de prévenir les enseignants le
lendemain. Dès lors, pourquoi obliger l’enseignant Ă avertir les parents et Ă
les faire signer en cas de mauvais comportement de l’élève en classe, si la
punition se déroule pendant le temps scolaire ? C'est d’autant plus
inutile que certains parents prennent le parti de l’enfant et incriminent la
compétence des enseignants, et que d’autres ajoutent une nouvelle punition. Les
fonctions doivent donc ĂŞtre clairement distinctes entre les professionnels et
les parents.
Troisièmement, du fait
de cette nécessaire distinction, il doit y avoir une articulation. Nous y
reviendrons.
Joëlle BORDET
La mise en pratique
des droits de l’enfant est une question essentielle pour les professionnels.
Pour sortir des discours sur la démission des parents et l’intérêt de
réglementer, il faut tenir compte de deux points.
D’une part, il faut
rappeler l’importance du rôle de la transmission. Les adultes doivent être
convaincus qu’ils ont des connaissances et des valeurs à transmettre. Les
enfants ne peuvent grandir que s’il existe des adultes suffisamment sûrs d’eux.
Les enfants ne doivent pas penser qu’ils entrent dans une société vide. Nous
devons donc assurer les parents que, même s’ils ont vécu des moments
difficiles, ils ont porteurs d’une histoire, d’une culture et de valeurs.
D’autre part, il faut
tenir compte de ce que j’appelle " la solidarité avec la fonction
parentale ". MĂŞme si, en tant que professionnels, nous ne sommes pas
parents des enfants avec lesquels nous sommes, nous sommes des adultes. Nous
avons donc une responsabilité de fonction parentale. Il serait utile de passer
d’un point de vue juridique sur les droits et les devoirs à un point de vue
anthropologique. Une société sans fonction parentale ne peut exister. Pour les
professionnels de l’enfant et de l’éducation, la question est donc de renforcer
la fonction parentale. En ce sens, nous devons tenir compte de la distinction
des places.
Les questions portant
sur la liberté d’agir des parents et sur les droits des enfants sont très
complexes, surtout lorsque les points de vue de chacun sont pris en
considération. Les systèmes de valeurs des parents, des professionnels et de la
société sont totalement différents. Par exemple, j’ai participé récemment à un
débat à la maison des parents de Peyrefitte portant sur la question de
savoir s’il faut dire aux enfants qu’on les aime. Le débat a été très animé.
Selon les cultures et la façon dont chacun est, les réponses étaient très
diverses. Ce qui paraissait une évidence pour certaines mères paraissait
choquant pour d’autres.
Ce débat est difficile
mais essentiel. Parfois, nous sommes trop dans la recherche des moyens
d’action. Il faut d’abord réfléchir à la façon dont nous parlons avec les
parents, pour qu’il soit reconnu comme un sujet actif. Il faut définir cette
façon de dialoguer et ensuite la façon dont nous devons partager la
responsabilité de la fonction parentale. En cas d’échec, l’enfant ira dans le
mur.
Françoise DESFAME, agent départemental de la
direction de la population âgée et des personnes handicapées, militante FCPE
Je suis agréablement
surprise par les propos de Madame DUCLOS sur ses relations avec les
parents d’élèves et sur la considération qu’elle donne aux élèves. Mes enfants
sont en fin de scolarité.
Jusqu’à présent, les
règlements intérieurs n’étaient jamais discutés avec les élèves. Il est établi
une fois pour toutes et est discuté en conseil d’administration entre les
professionnels que sont les enseignants et les parents d’élèves – ces derniers
étant considérés comme des professionnels de l’éducation, bien qu’ils n’ont pas
de formation –.
Dans le lycée où se
trouve mon fils, le règlement intérieur a été entièrement discuté avec les
élèves. Les enseignants ont créé une commission, dans laquelle les élèves
volontaires se sont inscrits. Ils ont discuté des devoirs et des obligations,
tant pour les élèves que pour les enseignants. Le règlement intérieur est signé
par les parents d’élèves, les élèves et les enseignants. C’est donc une
avancée, puisque même l’enseignant a des devoirs.
Par ailleurs, je rĂŞve
d’une société où il existerait des médiations pleines et entières entre les
différentes structures pour construire l’enfant et aider à la parentalité. Une
médiation est en effet nécessaire, car les différents intervenants sont
désormais tous spécialisés. Les derniers à ne pas l’être sont les parents et
les enfants. De plus, il n’existe aucune formation de parent pour les parents.
Généralement, les pédopsychiatres et d’autres spécialistes expliquent que les
parents reproduisent soit ce qu’ils ont vécu, soit, surtout, ce qu’ils ne
veulent pas revivre.
Pierre JOYEUX
La mise en application
de la Convention a deux vertus.
La première est de
donner mauvaise conscience. Lorsque je discute avec les adultes et les
professionnels sur cette mise en œuvre, je me rends compte qu’au fond une certaine
jalousie existe à l’égard des enfants : ceux-ci ont des droits alors que
ceux des adultes sont la plupart du temps bafoués. Discuter sur la mise en
place des droits de l’enfant entraîne donc inévitablement une interrogation sur
la mise en œuvre des droits de l’homme.
La seconde est que la
Convention permet d’interroger l’ensemble des acteurs de l’éducation,
professionnels ou non, sur la manière d’éduquer. Aujourd’hui, nous avons
tendance à balancer entre deux systèmes.
·
Le système des droits-devoirs
Ce système est celui de la récompense, qui
implique que l’enfant aura des droits lorsqu’il aura fait ses devoirs. C'est en
quelque sorte le système " carotte-bâton " de l’obéissance
et du dressage. Si l’autorité est fondée sur l’obéissance, la méthode d’éducation
est nécessairement le dressage. Dans ce cadre, les droits de l’enfant gênent,
car ils remettent en cause le système.
·
Le système de l’élevage
Dans ce système, les fonctions vitales sont
assurées, mais sans plus.
Cependant, il me
semble que la Convention, avec l’avancée des connaissances sur l’enfant et les
progrès de la recherche pédagogique, repose aujourd’hui la question de
l’éducation. Elle ne peut plus se faire comme autrefois, avec les systèmes
prĂ©cĂ©demment dĂ©crits. De mon point de vue, il est passionnant de rĂ©flĂ©chir Ă
une autre éducation et à la façon de la mettre en œuvre. Ce nouveau système
devrait prendre en compte tous les acteurs de l’éducation, y compris les
enfants et les adultes.
Bernard DEFRANCE
Pour revenir Ă la
question du règlement intérieur, il s’agit également d’une question théorique
et pratique difficile. En effet, devenir citoyen et accéder à ses droits – et
donc à la conscience des devoirs qui en découlent – suppose d’apprendre que la
loi ne se discute pas parce qu’elle se discute. Elle ne se discute pas dans le
cours même de l’action. Lorsque se commet une infraction ou une incivilité
quelconque, je dois intervenir. Tous les citoyens disposent de ce pouvoir
policier d’empêcher la commission d’un acte délictueux. Si je ne le fais pas
alors que cela me serait possible, je peux ĂŞtre coupable de non-assistance de
personne en danger. En revanche, la loi se discute dans le Parlement, qui est,
au sens propre, le lieu où l’on parle pour faire ensemble la loi.
Dans cette perspective,
obéir à la loi ne signifie pas se soumettre à quelqu'un. Dans l’enseignement,
notamment dans le face-à -face singulier du professeur avec ses élèves, nous
sommes constamment portés à pervertir l’exercice de l’autorité dans la classe
par l’exercice du pouvoir sur la classe. L’exercice du pouvoir et celui de
l’autorité sont en contradiction. De même, chez les élèves, obéir et se
soumettre sont en contradiction. Celui qui se soumet n’obéit pas. La peur du
gendarme n’est pas le commencement de la sagesse. D’ailleurs, dans ce cas, la
question serait de savoir de qui le gendarme devrait avoir peur pour devenir
sage. Dès lors, le défi éducatif auquel nous sommes confrontés est d’instituer
la loi et non de l’imposer.
Le présentateur
Stéphane AUGER, qu’avez-vous mis en place
dans votre collège pour travailler la question de la règle, de la loi et de la
participation Ă leur Ă©tablissement ?
Stéphane AUGER, conseiller principal
d’éducation au collège Diderot (Aubervilliers)
Je donnerai deux
exemples.
Premièrement, je
travaille sur ces questions dans des classes où les élèves sont agités. Je
reprends le même exemple de la peur du gendarme pour leur expliquer que c’est
le contraire de l’autonomie. Si un conducteur s’arrête à un feu rouge parce
qu’il craint de recevoir une amende, il a peur du gendarme. S’il s’arrête parce
qu’il a compris que cela correspond à des règles permettant à chacun de vivre
correctement et ensemble, il évolue vers l’autonomie.
Deuxièmement, Bernard
DEFRANCE disait que le citoyen n’est pas seulement celui qui obéit à la loi,
mais aussi celui qui la fait avec les autres. Dans cette perspective, nous
avons mis en place dans notre collège une élection des délégués de classe
grandeur nature, avec des isoloirs, une urne, des fiches de candidatures
Ă©crites et une explication orale de la candidature.
Ce mode d’élection
présente trois avantages.
·
Cela permet d’abord d’apprendre la citoyenneté,
avant que l’élève devienne majeur.
·
Ensuite, le sérieux et la solennité avec lesquels
nous avons organisé cette élection permettent de faire comprendre la portée du
vote. L’élève ne vote plus pour son copain, mais pour celui qui va le
représenter le mieux. Nous obligeons les candidats à réfléchir à leurs
motivations et à leurs compétences.
·
Enfin, cela permet de disposer d’un mode
d’élection commun à toutes les classes. Antérieurement, les enseignants ne
faisaient pas toujours les Ă©lections en bonne et due forme et selon les mĂŞmes
procédures. Aujourd’hui, les critères sont les mêmes.
Ă€ partir de lĂ , nous
pouvons légitimer le rapport entre les droits et les devoirs, les premiers
impliquant les seconds. Ainsi, une déléguée m’avertissait qu’elle ne pourrait
pas participer à la journée de formation des délégués que nous avons organisée.
J’ai pu lui expliquer ses devoirs en tant que délégué, puisqu’elle savait avant
l’élection qu’elle devrait participer à cette formation.
En d’autres termes,
nous essayons de mettre en pratique le plus souvent possible la problématique
des droits et des devoirs.
Bernard DEFRANCE
L’apprentissage des
rituels et des procédures le plus tôt possible est important. Il faut
comprendre que ces rituels ne sont pas de pure forme, mais qu’ils structurent
l’exercice de la démocratie.
Par ailleurs, j’attire
toujours l’attention des acteurs sur le danger de la représentation. La
responsabilité de l’électeur ne disparaît pas avec son vote. Élire un
représentant n’est pas démissionner de ses responsabilités. Cette question
renvoie à l’articulation entre démocratie représentative et démocratie
participative.
Le présentateur
Stanislas TOMKIEWICZ
est pédopsychiatre et a travaillé en particulier sur les enfants polyhandicapés
et sur la délinquance juvénile. Il a mené le combat contre les maltraitances en
institution. Avec Jo Finder, il a conduit l’expérience du
foyer en semi-liberté de Vitry dans les années 1960.
Dans une intervention
enregistrée, il nous explique sa position sur la Convention et sur la façon
dont il a pu la mettre en pratique dans son expérience quotidienne.
Stanislas TOMKIEWICZ
Au niveau de la
pratique, nous ne constatons pas grand-chose. Je prendrai deux exemples.
Premièrement, sur le
plan juridique, nous avons posé le très beau principe que l’enfant a le droit
de voir ses deux parents. Cependant, ce qui Ă©tait un droit est devenu un
devoir. Quand l’un des deux parents est un pervers notoire, qu’il a maltraité
l’enfant et que ce dernier ne veut plus le voir, le système médico-social
pousse néanmoins l’enfant à le rencontrer le parent. Les associations comme SOS
Papa ou Papas orphelins mettent une pression sur les pères, quel qu’ait été
leur comportement.
La société estime que
les liens doivent être conservés même lorsque le père est en prison. Je suis
d’accord s’il s’agit d’un père condamnĂ© pour avoir volĂ©, mais je suis opposĂ© Ă
l’obligation faite aux enfants d’aller voir les pères qui les ont violés ou
battus. De plus, les enfants doivent pardonner. Il doit donc se faire en
quelque sorte le thérapeute de son père pervers. Cela montre qu’une loi est
facilement détournée de son sens.
Deuxièmement, nous
avons pris conscience dans les années 1970 que l’école pouvait exercer des
violences contre l’enfant. La pédagogie autoritaire fait fi de l’enfant en tant
qu’être humain, avec une volonté et des sentiments. Ainsi, une gamine ne peut
pas se plaindre d’un humour déplacé lorsqu’un professeur lui :
« Essuie le tableau. C’est héréditaire chez toi, car les Portugaises sont
des femmes de ménage. » En revanche, elle sera punie si elle dit au professeur :
« Ce n’est pas de votre faute, vous êtes idiot de façon
congénitale. » Cet exemple signifie qu’en théorie tout est changé, mais
qu’en pratique rien ne change, bien que de grandes avancées se soient
produites. Nous nous sommes donc aperçu que l’école peut être violente et
qu’elle devait adoucir ses mœurs par rapport aux enfants.
Or, dans les années
1980 et 1990, nous avons dit que les fauteurs de troubles à l’école sont les
enfants. Cela signifie que l’histoire précédente a été complètement renversée.
Nous discutons désormais des violences à l’école et non plus de la façon
d’humaniser l’école à l’égard des enfants. Toute une campagne médiatique va
dans ce sens, en criminalisant les élèves. La télévision insiste sur les actes
mauvais et néglige tous les autres. Les statistiques sont faussées. L’ennemi de
la société n'est plus l’homme politique qui vole l’État, le contribuable qui ne
paie pas ses impôts ou les propriétaires qui n’entretiennent pas leurs
ascenseurs. Aujourd’hui, l’ennemi de la société est l’enfant qui se réunit dans
des cages d’escalier, comme cela se faisait déjà au temps de Pagnol.
Le présentateur
Stanislas TOMKIEWICZ
explique que le fait de disposer d’une Convention ne signifie pas que la
situation soit réglée.
Nigel CANTWELL
Comme une loi
interdisant de commettre un meurtre ne fait pas disparaître les meurtres, une
convention sur les droits de l’enfant ne fait pas disparaître les
maltraitances. De toute façon, le combat pour les droits de l’homme est un
combat continuel pour faire en sorte que l’État les respecte et pour que les
esprits et les réalités changent.
Par ailleurs, je ne me
sens pas obligé de défendre la Convention comme un instrument juridique tentant
de mettre en place une certaine conception de la façon dont nous devrions
répondre aux droits de l’enfant en tant qu’être humain, parce que je connais
ses limites et les manipulations dont elle peut faire l’objet.
Comme pour les
conventions contre la torture, la discrimination raciale ou sexuelle, il existe
des problèmes plus ou moins graves dans tous les pays. L’un des intérêts
essentiels de ces conventions est de constituer une base Ă partir de laquelle
nous pouvons travailler ensemble. Il ne faut pas se focaliser sur les
conventions en disant qu’elles sont des " lettres mortes ".
Claude ROMÉO, directeur de
l’enfance et de la famille de Seine-Saint-Denis
Pour prolonger ce
débat sur la façon de mettre en œuvre une convention, nous pouvons aussi
évoquer les mineurs isolés qui débarquent à Roissy. Une haute juridiction
française a décidé que ces mineurs n’ont pas droit à la protection prévue par
la Convention mais sont soumis à la loi sur l’immigration. C’est une vraie
question : comment peut-on faire respecter la Convention par les pays
signataires ? Si la Convention est un acte important, elle n’est pas
correctement traduite dans la loi.
Pierrette ALBIN, médecin scolaire
Nous avons de grandes
difficultés à appliquer la Convention des droits de l’enfant, sans que cela
provienne de notre fait. Il ne faut pas culpabiliser les professionnels, mais
plutĂ´t les pouvoirs publics.
Nous intervenons dans
le domaine de la protection de l’enfance et nous constatons que l’État – qui a
d’autres priorités et des limites financières –, ne répond pas aux problèmes de
la souffrance des enfants. Il n’apporte pas de solution pour ceux qui ont des
maladies psychiatriques avérées : il manque des places en institution et
des thérapeutes.
Au total, la
Convention existe, mais nous ne pouvons pas répondre, ce qui nous culpabilise
et nous décourage. Je voudrais donc savoir comment nous pouvons faire appliquer
ces textes.
Madame DUSSELIER, mère d’un enfant handicapé
Les problèmes de ces
jeunes sont réels. Les écoles ne veulent pas toujours les prendre. Les IME et
les IMP ne peuvent pas toujours les intégrer, faute de place.
J’habitais auparavant
dans le département 89 et un car scolaire ramassait tous les jeunes. Un jour,
le Conseil général a expliqué que les enfants handicapés n’avaient plus le
droit au transport scolaire, soi-disant parce que l’IME recevait déjà des
crédits de son côté.
Je me demande donc
comment ces jeunes peuvent être intégrés.
Joëlle BORDET
C'est un problème
fondamental. En travaillant dans le domaine de l’éducation, nous sommes constamment
pris par ce type de contradictions. Plus les adultes sont en mesure de faire
des demandes et connaissent le droit public, plus les professionnels sont mis
en difficulté, car ils n’ont pas de réponse.
Les professionnels que
je rencontre dans le quartier des Poètes à Peyrefitte sont de plus en plus
découragés ne veulent plus des partenariats avec les institutions, car aucune
réponse n’est apportée. Malgré tous les efforts de la protection de l’enfance
en Seine-Saint-Denis, les problèmes demeurent. En clair, des enfants dorment
dans des baignoires et des familles logent Ă vingt dans un appartement, alors
que des logements sont vacants. Des enfants ne vont pas chez le dentiste ou
n’ont pas de lunettes. La protection minimale des enfants n’est pas assurée,
alors mĂŞme que nous sommes en France.
La Convention devrait
permettre d’interpeller les États pour qu’ils agissent, car les professionnels
ne peuvent constamment jouer le rôle d’écran. Néanmoins, les professionnels ont
aussi leur part de responsabilité. Ils devraient se mobiliser pour agir et
interpeller leurs structures, surtout à un moment où l’action éducative est
particulièrement mise en danger. Les professionnels de proximité doivent
travailler afin de mobiliser les politiques sur ces questions, car cela pose le
problème de la solidarité des classes moyennes avec les plus pauvres.
Bernard DEFRANCE
C'est vrai. Les adultes ayant la
responsabilité des enfants jouent leur rôle citoyen dans la mesure où ils
donnent le « bon exemple ». En d’autres termes, un adulte est
d’autant plus structurant pour un enfant qui grandit qu’il donne lui-même
l’exemple de ses propres engagements.
Je suis responsable
d’une association de défense des droits au quotidien en Seine-Saint-Denis, en
matière de logement, consommation, santé, etc. Nous tenons des permanences
juridiques – pour ma part, pendant vingt ans Ă la citĂ© des Bosquets Ă
Montfermeil –. Je sais donc qu’il existe des moyens d’action. Il s’agit
d’utiliser les outils que la loi met à notre disposition, même s’ils ont
imparfaits et lents. Nous pouvons obliger une société HLM à louer des
appartements qu’elle garde libres alors que d’autres logements sont surpeuplés.
Nous pouvons amener les sociétés de HLM à rembourser des trop-perçus. C'est
toujours très bénéfique pour la famille. De plus, les enfants voient des
adultes qui agissent et ne se subissent pas la vie quotidienne.
Un membre du groupe Kapal,
rappeur, auteur et père de famille
J’ai eu la chance de
faire de nombreux ateliers de culture en France au cours de nombreuses
tournées. J’en ai fait également en détention avec des mineurs. Tous les
professionnels ont une tâche difficile à accomplir. Pour moi, il s’agit d’un
travail de fourmi et très important à réaliser.
Il ne faut cependant
pas perdre de vue que le monde des adultes est hyper-violent. Ainsi, s’il est
vrai que les enfants ont des droits, il ne faut pas oublier que la double peine
existe aussi en France. La loi ne punit pas de la même façon un enfant de
nationalité étrangère et un Français. Le monde des adultes n’est donc pas si
cohérent et l’enfant repère rapidement ces incohérences. Notre tâche en est
d’autant plus difficile.
Nous parlons aussi de
la violence dans la société ou dans l’école. Pourtant, nous sommes dans un
monde dans lequel la violence est diversement interprétée. Lorsqu’un pays en
attaque un autre, cela peut ĂŞtre compris comme du terrorisme. Cela constitue
surtout un prétexte pour effectuer des choses ignobles. Les enfants en sont
témoin et le savent. Lorsque Karim et Mouloud sont accusés d’avoir frappé
Jean-Pierre parce que ce dernier a lancé une pierre contre Karim, il faut bien
comprendre qu’ils ne font que reproduire le fait que des pays forts s’allient
pour frapper un pays plus faible. Notre travail est donc difficile, car nous
sommes confrontés à quelque chose qui nous dépasse.
Il ne faut pas oublier
non plus que le président, que nous avons largement élu, a parlé du
« bruit et de l’odeur ». Il a donc un passif assez lourd.
Enfin, je citerai
Pierre Desproges : « L’enfant croit au Père Noël. L’adulte
vote. »
Au total, deux mondes
s’opposent, et il nous est difficile de faire le lien entre eux.
Le présentateur
Comment peut-on
dépasser ces problèmes ?
Bernard DEFRANCE
C’est ce que me disent
mes 150 élèves au lycée Utrillo à Stains ou les jeunes que je rencontre dans
les cités. Ils constatent qu’ils se retrouvent un an en prison car ils ont
recelé une marchandise « tombée du camion », alors qu’en même temps
des hommes politiques ne sont pas condamnés car ils ont, paraît-il, remboursé
l’argent qu’ils avaient pris.
Cette réaction est
compréhensible mais est insuffisante. Il faut aussi rappeler à l’enfant que le
fait de constater un non-respect de la loi par des adultes est une raison
supplémentaire pour qu’il commence lui-même à respecter la loi. Comme le disait
Montesquieu, « ce n’est pas le peuple naissant qui dégénère. Il ne se perd
que lorsque les hommes faits sont déjà corrompus. »
La difficulté des
éducateurs est de leur tenir ce langage : ce n’est pas parce qu’un
imbécile brûle un feu rouge à côté de moi que cela m’autorise à en faire
autant.
Le présentateur
La dimension pénale de
la Convention doit aussi être prise en considération. L’article 40 de la
Convention dispose que l’enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la
loi pénale a droit à un traitement tenant compte de sa dignité, de son âge et
de son avenir. Les dispositions prises doivent, si possible, Ă©viter de recourir
à la procédure judiciaire. La Convention relève de la protection des mineurs et
de leur Ă©ducation.
Cet article fait
directement Ă©cho Ă l’esprit de l’ordonnance de 1945. Nous avons demandĂ© Ă
Jean-Pierre ROSENCZVEIG, président du tribunal pour enfants de Bobigny, s’il
considérait que cette ordonnance était remise en cause aujourd’hui et comment
il percevait l’évolution de la législation.
IV.   La loi sur la sécurité intérieure
Jean-Pierre ROSENCZVEIG
L’ordonnance
privilégie la protection et le droit à l’éducation, non seulement pour l’enfant
en danger, mais aussi pour l’enfant délinquant. L’article 2 de l’ordonnance de
1945 garantit ce droit à l’éducation.
Ces droits n’évoluent
pas beaucoup aujourd’hui. Je ne sais pas s’ils vont régresser. Des progrès
existent malgré tout. Nous avons vécu dans une dynamique de progrès avec la
Convention internationale des droits de l’enfant. De 1989 à 1995, de nombreuses
adaptations juridiques ont permis de faire en sorte que le droit français soit
encore plus en conformité avec le droit international. Cette dynamique a
ensuite ralenti. La dernière avancée est la loi de janvier 2002 sur l’accès de
l’enfant à ses origines.
Comme le droit
français est relativement à jour, les avancées ne passent plus par le droit,
mais par la pratique. Nous devons faire en sorte que le quotidien soit conforme
au droit. Par exemple, les enfants handicapĂ©s doivent pouvoir avoir accès Ă
l’éducation.
Le gouvernement a été
très prudent en ne remettant pas en cause les fondements de l’ordonnance de
1945. Sans doute, des amodiations ont été apportées dans un sens répressif,
afin de donner une réponse rapide aux infractions, mais cela ne compromet pas
la cohérence de l’ordonnance. La loi du 9 septembre est au fond assez modérée.
Bien sûr, comme les Français l’ont montré lors des élections, ils veulent
davantage de répression. Les dispositions sont donc plus répressives que les
précédentes. Cependant, même le retrait des allocations familiales aux parents
n’existe qu’avec de nombreuses conditions et sous le contrôle du juge, qui
conserve un rĂ´le essentiel.
V.     La mise en pratique
La Convention oblige Ă
se préoccuper du droit dans la pratique. Dans la dernière période, des
politiques ont été mises en place pour que les droits se concrétisent :
une information sur le droit, un soutien à l’exercice des droits ou encore la
présence d’un avocat dans les procédures judiciaires concernant les enfants.
Aujourd’hui, environ 700 avocats d’enfants exercent en France. La Convention a
accéléré la mise en œuvre de ces mesures.
Maintenant, la
question est de savoir aujourd’hui s’il ne faudrait pas autant rappeler les
devoirs que les droits aux jeunes, notamment en considérant les mœurs
juvéniles. Sur ce point, le débat reste le même qu’il y a dix ans : c’est
parce que les enfants ont des droits que nous pouvons exiger d’eux des devoirs.
Le fait qu’ils aient une existence juridique le rend possible.
Nombre de jeunes
prédélinquants ne sont pas dans une phase de rébellion contre l’autorité
parentale, mais de socialisation, c’est-à -dire de réintégration dans la
société. Ils sont dans une crise trans-générationnelle comme les délinquants de
jadis ont pu les traverser. Ils ont leur groupe social, la rue, avec sa mafia,
ses trafics. Ils doivent défendre leur territoire. Ces enfants sont à vif, avec
un profond sentiment d’injustice, sans espoir de changement. Ils sont donc dans
une autre société. Ils refusent d’ailleurs que des étrangers à leur société les
rejoignent.
L’argument selon
lequel davantage d’argent améliorerait la situation est simpliste dans le
domaine de l’éducation. S’il est nécessaire, il faut aussi faire preuve
d’imagination et se mobiliser pour inventer de nouvelles méthodes éducatives.
Ces enfants ne peuvent pas aller dans une Ă©cole classique et il faut donc une
nouvelle forme de pédagogie.
Ces enfants sont
invivables, au moins dans un premier temps. Il faut donc trouver ceux qui
pourront tenir, ce qui n’est pas une simple question de la rémunération. Il
s’agit donc de s’adapter aux enfants. La difficulté du rôle du travailleur
social est qu’il doit vivre avec eux en permanence.
L’intervieweuse
En tant que juge,
pouvez-vous apporter des solutions ?
Jean-Pierre ROSENCZVEIG
Je ne peux que
répondre par l’affirmative, car sinon le juge pour enfant ne sert à rien. La
vraie question demeure celle des moyens, qui sont insuffisants en quantité –
les décisions que nous prenons sont souvent mises en œuvre trop tardivement –
et en qualité – de nouvelles équipes et de nouvelles structures doivent être
capables de prendre en charge ces enfants –. Quoi qu’il en soit, c’est un
combat continu. Rien ne sera jamais parfait.
Nous avons besoin de
personnes capables d’analyser de manière plus performante les situations. En
effet, pour agir il faut mieux comprendre. En comprenant mieux, nous pourrions
faire beaucoup d’économies. Il s’agit moins de créer des structures d’accueil
que de trouver des personnes capables de mieux analyser les situations pour
éviter d’avoir à recourir à des placements.
Le présentateur
Pour Jean-Pierre
ROSENCZVEIG, l’ordonnance de 1945 est donc solide. Êtes-vous d’accord avec
cette analyse ?
Bernard DEFRANCE
Il faut prendre en
considération la responsabilité des acteurs de la chaîne punitive. Le Canard
enchaîné de ce matin montre que toutes les dispositions les plus
répressives de la loi sur la sécurité intérieure existent déjà dans le Code
pénal. Ainsi, l’extorsion de fonds sous la menace est déjà punie de sept ans de
prison. La nouvelle loi propose une sanction de six mois.
Du point de vue des
jeunes, ces mesures sont donc extrêmement dérisoires, mais en même temps
particulièrement nuisibles. Par exemple, la question des cages d’escalier est
un problème récurrent. Nous proposons des solutions depuis douze ans.
·
Ainsi, lorsqu’un quartier est réhabilité, il faut
supprimer tous les appartements au rez-de-chaussée, car la vie y est invivable.
·
Dans le même sens, l’intime est actuellement
collectivisé de force. En effet, dans les habitats collectifs, des structures
matérielles doivent permettre de faire en sorte que tout ce qui est de l’ordre
de l’intime soit respecté : le voisin ne doit pas entendre les scènes de
ménage de la famille voisine.
·
Les quartiers sont marqués par une insuffisance
voire une absence de liens associatifs. Il est nécessaire de les recréer.
·
Lorsqu’une famille loge au vingtième étage d’un
immeuble, il n’est pas possible de surveiller les enfants dans les cours. Il
est préférable de construire des unités d’habitation à taille humaine.
·
Dans une cité, aucun espace ne permet de se
rencontrer en privé. Tant que des hôtels Formule 1 ne sont pas construits,
un garçon et une fille ne peuvent vivre une vie intime. Dès que c'est le cas,
ces hôtels ne désemplissent pas. Ils restent toutefois trop coûteux pour
certains.
Par ailleurs, les
policiers s’indignent que la justice ne fasse pas toujours son travail. Elle
s’avère soit trop clémente, soit trop sévère. Il est vrai que des injustices
très graves sont commises par les juges. Lorsqu’un jeune détruit un abribus, il
se retrouve emprisonné pendant un an, soit autant qu’un préfet qui a organisé
une opération terroriste contre une paillote. Pour les jeunes, c'est
inacceptable. Cette situation rend particulièrement difficile l’action des
policiers au quotidien.
Claude ROMÉO
Une mobilisation des
éducateurs serait nécessaire, car il y a des changements graves. La
responsabilité pénale des enfants devient une priorité. Nous ne parlons plus de
la protection de l’enfance, mais de la violence des enfants. Pourtant, les
enfants sont de plus en plus maltraités. Les suicides ont augmenté de 7 %
en 2001. Dans le même sens, le fait que la délinquance des mineurs ne
représente que 20 % de la délinquance totale n’est pas suffisamment mis en
avant.
Par ailleurs, le
gouvernement explique que l’ordonnance de 1945 n’est pas remise en cause.
Pourtant, les centres fermés constituent de fait une remise en cause des
valeurs et de l’esprit de cette ordonnance. Des problèmes d’accueil ne sont pas
résolus. Plus généralement, aucune politique éducative n’est mise en place et
la situation est de plus en plus sinistrĂ©e. Je note que la rĂ©fĂ©rence Ă
l’enfance a été supprimée dans la dénomination du ministère de la famille.
L’accent n'est donc pas mis sur la prévention mais sur la répression, même si
les textes n’ont pas été aussi loin que souhaité.
Au total, les
professionnels doivent se mobiliser. S’ils se taisent, ils auront leur part de
responsabilité, notamment dans la réouverture des centres fermés.
Joëlle BORDET
La politique actuelle
fait reculer l’éducatif au profit du punitif. Elle simplifie les problèmes Ă
leur plus simple expression. Par exemple, cette politique nous fait croire que
les jeunes restent dans les cages d’escalier car ils ne veulent pas sortir. Le
problème est bien plus complexe.
Au fond, le problème
de l’incivilité est traité par le punitif et non par l’éducation. Il serait
nécessaire de rappeler Convention et d’y faire référence. Nous devons aussi
travailler à l’apprentissage de la démocratie.
Cela ne signifie pas
que les éducateurs n’ont pas leur part de responsabilité. Ils ne sont pas
toujours là où il le faudrait. Ils ne font rien dans les cages d’escalier et ne
s’opposent pas assez au vandalisme. Les éducateurs ont perdu leur place de
premier interlocuteur des jeunes au profit de la police.
Nous savons pourtant
que les méthodes punitives ne résolvent pas les difficultés. Les solutions
proposées prétendent punir, mais elles échouent et se limitent à blesser. Cette
politique ne fait que révéler la peur des adultes. La punition n’est en effet
pas conçue comme une occasion pour le jeune de se reconstruire comme sujet humain,
mais comme une vengeance et une agression.
Une participante
Je suis inquiète de
l’avenir des pratiques éducatives dans les politiques publiques. La politique
sécuritaire empêche en effet une présence des éducateurs au sein de l’espace
public.
Par ailleurs,
concernant la place de l’enfant dans les familles, il faut aussi tenir compte
de difficultés très concrètes. Aujourd’hui, dans certains domaines, les enfants
possèdent davantage de connaissance que leurs parents. Il leur est donc
d’autant plus difficile de leur dire non.
Enfin, la Convention a
permis des avancées, mais reste idéaliste. Il est nécessaire de travailler
concrètement sur la socialisation des adolescents.
Le présentateur
Pouvez-vous apporter
quelques mots de conclusion sur les débats à propos de la Convention ?
Joëlle BORDET
Il ne s’agit pas
seulement de se demander ce qu’est la Convention, mais de se demander comment
nous pouvons nous en servir. Elle doit servir concrètement pour élever nos
enfants. Elle doit nous permettre de réfléchir à la façon dont nous faisons
passer nos valeurs.
Nous devons aussi nous
saisir de la Convention pour interroger nos propres pratiques professionnelles,
de la même façon qu’elle permet d’interroger les politiques de l’État. Elle
donne des pistes pour la démocratie, car elle nous oblige à la questionner de
nouveau.
Enfin, sur la
maltraitance, la question de la blessure psychologique ne doit pas ĂŞtre
négligée.
Bernard DEFRANCE
La Convention présente
l’intérêt d’avoir été ratifié par tous les pays du monde, sauf les États-Unis
et la Somalie, c’est-à -dire un pays sans État et un pays qui souhaite pouvoir
continuer d’appliquer la peine de mort aux mineurs.
Comme la loi, la
Convention ne se discute pas, car elle se discute. Elle constitue un outil
normatif mais aussi un outil de travail permettant les recours.
Enfin, la Convention
permet de faire l’inventaire des situations, de constater ce qui est fait et ce
qui reste Ă faire. Elle montre les questions en devenir. Elle reste en cours de
construction.