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Plate-forme des droits de l’enfant

Plate-forme des droits de l’enfant

Conseil Général de Seine-Saint-Denis

Bobigny, le 14 novembre 2002

 

Table ronde matinée

 

Des droits de l’enfant ! Pourquoi pas des devoirs ?

Bernard LOCHE, Journaliste Ă  France 3, ancien rĂ©dacteur en chef de « Saga CitĂ©s Â», prĂ©sentateur

Pour ces journées, nous avons demandé à des experts et praticiens de nous faire part de leurs réflexions et d’échanger avec les professionnels de l’enfance.

Le premier thème porte sur la Convention internationale des droits de l’enfant et notamment sur le droit Ă  l’éducation. Le deuxième portera sur les personnes qui peuvent mettre en Ĺ“uvre ce droit et sur les entraves existantes. Ce premier thème sera animĂ© par :

·             Nigel CANTWELL, juriste international, membre du centre Innocenti de l’UNICEF, qui a participĂ© Ă  l’élaboration de la Convention ;

·             Bernard DEFRANCE, professeur de philosophie au lycĂ©e Maurice Utrillo de Stains, auteur de nombreux ouvrages sur l’école et la violence Ă  l’école et membre de DĂ©fense des Enfants International ;

·             JoĂ«lle BORDET, psychosociologue, chercheur au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).

Les interventions de Stanislas TOMKIEWICZ et de Jean-Pierre ROSENCZVEIG ont été enregistrées. Pour commencer, un film présente les réflexions des premiers concernés, les enfants, sur les droits de l’enfant.

Présentation d’un reportage

L’intervieweuse

Les enfants ont-ils des droits ?

Une enfant

Oui, mais des enfants n’en ont pas dans certains pays.

Un enfant

C'est le droit d’aller à l’école, d’avoir à manger.

Une enfant

Le droit d’être suivi par un médecin.

Un enfant

D’avoir de l’amour de leurs parents.

L’intervieweuse

Tous les enfants ont-ils les mĂŞmes droits ?

Un enfant

Non. Par exemple, certains n’ont pas le droit de sortir le soir avec leurs copains et doivent rester chez eux faire leurs devoirs.

L’intervieweuse

Si un enfant fait une bĂŞtise, doit-il conserver les mĂŞmes droits que les autres ?

Les enfants

Oui.

L’intervieweuse

Si vous avez des droits, avez-vous aussi des obligations ?

Un enfant

De travailler.

Un enfant

De respecter les autres.

L’intervieweuse

L’école est-elle un droit ou une obligation ?

Une enfant

Les deux. L’enfant est obligé d’avoir une éducation, mais c’est un droit à la base.

L’intervieweuse

Doit-on avoir de bonnes notes Ă  l’école ?

Les enfants

Non.

L’intervieweuse

Que n’aimez-vous pas Ă  l’école ?

Une enfant

Comme il y a des bagarres et des insultes, nous avons décidé avec la maîtresse qu’il fallait apprendre le règlement et ce qu’on avait le droit de faire et de ne pas faire.

L’intervieweuse

Sans punition, respecteriez-vous ces règles ?

Une enfant

Oui.

L’intervieweuse

Existe-t-il des obligations injustes ?

Une enfant

Oui, lorsqu’un enfant est arraché à ses parents.

Un enfant

Des maîtresses font des punitions collectives, alors que seuls trois ou quatre ont commis des bêtises.

L’intervieweuse

Pourrait-on vivre dans un monde oĂą il n’y aurait que des enfants ?

Une enfant

Non. Par exemple, si on veut partir en vacances, il n’y aura personne pour s’occuper de nous.

Le présentateur

Ces tĂ©moignages nous ramènent Ă  la question des droits de l’enfant et Ă  la Convention. Dans quel but a-t-elle Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e ? Comment se situe-t-elle par rapport Ă  la DĂ©claration universelle des droits de l’homme ? Pourquoi ne pose-t-elle que des droits et pas de devoirs ?

Nigel CANTWELL

Il est important de présenter l’historique de la Convention pour mieux la comprendre et la situer dans le développement des réflexions sur l’enfance et sur l’enfant en tant que porteur de droits de l’homme.

I.        L’origine de la Convention

Cette histoire est dĂ©jĂ  longue, puisque le premier texte de portĂ©e internationale date de 1923. Ce texte a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par Eglenwein Gebb, fondatrice de « Save the Children Â», aujourd’hui l’une des ONG les plus importantes dans les pays anglo-saxons. En 1924, la SociĂ©tĂ© des Nations, prĂ©curseur de l’ONU, a recommandĂ© Ă  ses membres d’appliquer les principes de cette dĂ©claration. Ce texte est très court et très simpliste et ne contient que cinq points, comme le droit Ă  ĂŞtre protĂ©gĂ© et Ă  ĂŞtre aimĂ©.

Ensuite, si les réflexions ont été nombreuses, une meilleure prise en compte de ces droits sur le plan international n’a été possible qu’avec la création des Nations Unies en 1946. En 1948, la déclaration de 1923 a été adoptée à nouveau, avec quelques modifications. L’expérience polonaise, notamment avec Korjac, a conduit à améliorer cette déclaration.

Cela a abouti en 1959 dans la première déclaration des Nations Unies sur les droits de l’enfant. Cette déclaration de 1959 reflète l’approche relativement paternaliste de l’époque. Elle ne contient pas de disposition concernant la participation de l’enfant. L’enfant a le droit de recevoir, mais pas d’agir. Il n’est pas considéré comme porteur de droits. Sur le plan civil, son seul droit consiste à avoir un nom et une nationalité.

Dès ce moment, la Pologne voulait que cette déclaration constitue une convention et qu’elle ait une portée juridique contraignante pour les États qui la ratifient. Cependant, la communauté internationale n’était pas prête pour cela. En 1978, la Pologne propose de nouveau l’adoption d’une convention. Elle reprend pour cela le texte de la déclaration paternaliste de 1959. Elle a préféré proposer ce texte, déjà accepté, car 1979 est l’année internationale de l’enfant et que le temps manquait pour en négocier un nouveau.

La Commission des droits de l’homme demande malgré tout à la Pologne un nouveau texte, plus large et prenant en compte les avancées dans le domaine de l’enfance. Le texte qu’elle propose en 1980 est un pas vers le texte actuel, mais des lacunes demeuraient quant à la participation de l’enfant et l’esprit restait le même.

II.      Le processus d’élaboration de la Convention

La position de la Pologne est comprĂ©hensible du fait que la Guerre froide la conduit Ă  privilĂ©gier les droits Ă©conomiques, sociaux et culturels et non les droits individuels, civils et politiques. Naturellement, la position de l’Ouest Ă©tait inverse. Les nĂ©gociations au sein du groupe de travail Ă©taient donc extrĂŞmement tendues. La collaboration existait, mais elle Ă©tait minimale. Avec le " dĂ©gel " de 1985, l’esprit des nĂ©gociations a profondĂ©ment changĂ©. Cela reste visible dans certaines expressions du texte dĂ©finitif, sans que cela soit forcĂ©ment nĂ©gatif.

Les ONG ont joué un rôle nouveau, car elles ont participé activement à l’élaboration de la Convention. C’est devenu un modèle pour la participation de la société civile dans l’élaboration d’un texte international. Malgré leurs différences, elles ont accepté d’être regroupées dans un groupe informel cohérent.

Pour leur part, les organisations intergouvernementales, comme l’Unicef, l’Unesco, le BIT ou l’OMS, n’ont pas joué leur rôle, ce qui est difficilement compréhensible. Le côté positif est qu’une place plus large dans les négociations a pu être donnée aux ONG.

Enfin, les PVD ont jouĂ© un rĂ©el rĂ´le dans l’élaboration du texte. Certes, 80 % des dĂ©lĂ©guĂ©s gouvernementaux actifs provenaient des pays industrialisĂ©s, de l’Ouest et de l’Est. Les PVD manquaient d’argent pour envoyer des reprĂ©sentants dans les rĂ©unions de travail Ă  Genève. En pratique, des rĂ©unions officielles se tenaient une semaine ou deux par an, en fin d’annĂ©e, mais la rĂ©flexion Ă©tait continue. Cependant, les quelques dĂ©lĂ©guĂ©s des PVD Ă©taient très loquaces et actifs. Le texte contient donc les rĂ©fĂ©rences nĂ©cessaires aux besoins de la coopĂ©ration internationale pour la rĂ©alisation des droits de la Convention, notamment pour la santĂ© et l’éducation.

Tout aussi important est ce que les PVD ont accepté. En particulier, ils ont accepté sans être forcé la référence pudique, mais compréhensible, aux pratiques traditionnelles ayant un effet négatif pour la santé des enfants. Nous voulions intégrer le droit à la protection contre les pratiques traditionnelles nocives et nous y sommes donc parvenus.

III.   Le texte de 1989

Au total, le texte actuel n’est évidemment pas parfait. Il s’agit d’un texte durement négocié qui tient compte des différents types de droits, grâce à ces différents apports. Il tient compte dans la mesure du possible de la situation de chaque pays.

De mon point de vue, le plus important est que ces négociations ont été menées dans le cadre de la Commission des droits de l’homme. C’est la première fois qu’un texte en matière d’enfance a été adopté grâce à son travail, puisque la déclaration de 1959 avait été adoptée directement par l’Assemblée générale de l’ONU. L’enfant est donc intégré dans le domaine des droits de l’homme.

Je crains aujourd’hui que les droits de l’enfant soient à nouveau séparés des droits de l’homme, alors qu’ils en sont une composante spécifique. Si nous donnons un statut à part à l’enfant, nous perdrons tout le processus qui a conduit à ce que l’enfant soit une personne reconnue au sein des droits de l’homme.

Le présentateur

Comme la DĂ©claration universelle des droits de l’homme, la Convention internationale des droits de l’enfant Ă©voque les droits et non pas les devoirs. Quelles sont les raisons de ce choix ?

Nigel CANTWELL

Comme les droits de l’enfant sont une composante des droits de l’homme, ils ne peuvent pas exprimer les devoirs ou les obligations, même si le texte évoque implicitement certaines responsabilités, notamment l’âge minimum de la responsabilité pénale.

Les responsabilités n’ont pas leur place dans un texte qui consiste essentiellement en une liste d’obligations de l’État vis-à-vis de l’enfant, que ce soit des obligations directes, comme l’accès à l’école, ou indirectes, par le biais des parents ou de structures décentralisées.

Bernard DEFRANCE

Une raison très simple pour laquelle les devoirs ne sont pas énumérés dans l’ensemble du texte est que les devoirs sont la conséquence de l’exercice des droits. À partir du moment où je veux exercer un droit, quel qu’il soit, je vais tenir compte d'une part de contraintes matérielles et économiques et d'autre part d’obligations sociales. Le devoir est la conséquence pratique de l’exercice d’une liberté en situation collective.

Par ailleurs, des personnes bénéficient de droits qui ne sont gagés par aucun devoir. Les enfants, les handicapés ou les grabataires sont des sujets humains auxquels la société reconnaît des droits fondamentaux. Les devoirs correspondants à ces droits ne sont pas des obligations pour les personnes concernées par ces droits, mais il y a un devoir, une responsabilité de la collectivité à leur égard.

Vous savez qu’il est question de pĂ©naliser l’absentĂ©isme avec une amende de 2 000 euros prĂ©vue pour les parents dont les enfants sèchent l’école. Or, comme nous l’avions relevĂ© Ă  DEI-France dans nos rapports depuis 1999, au moins 10 000 enfants handicapĂ©s devraient ĂŞtre scolarisĂ©s en France, mais ne le sont pas, faute de places. Ce sont donc des « sĂ©cheurs forcĂ©s Â» de l’école et il n’est pas possible de punir les parents. C’est l’État ici qui devrait payer ! Faites le calcul…

De façon plus gĂ©nĂ©rale, des droits ne sont gagĂ©s par aucun devoir. Jean-Pierre ROSENCZVEIG l’exprime en disant qu’une femme qui croise un homme dans la rue n’a pas Ă  le remercier parce qu’il ne la viole pas !

Le présentateur

Le dĂ©bat est ouvert. Que signifie cette Convention ? Comment se l’approprier et la faire vivre au quotidien, dans les diffĂ©rents mĂ©tiers que les professionnels de l’enfance exercent ?

Stéphane AUDRET, conseiller principal d’éducation du collège Diderot à Aubervilliers

Au lendemain de l’adoption de la Convention, une polémique était apparue à propos du paradoxe des droits-libertés et des droits-créances. L’enfant est considéré à la fois pour son immaturité physique et intellectuelle et pour sa capacité de discernement. Le premier point de vue amène la mise en œuvre de droits à la protection, tandis que le second lui donne des droits-libertés, comme la Convention les expriment.

Bernard DEFRANCE

Cette remarque renvoie Ă  la question du temps dans l’éducation. L’enfant est sujet de droit – ce qui est dĂ©jĂ  une avancĂ©e dĂ©cisive dans l’histoire humaine d’avoir reconnu l’enfant comme un sujet –, mais en mĂŞme temps il n’est pas encore citoyen. La tension Ă©ducative se situe entre ce " dĂ©jĂ  " et ce " pas encore ".

Nous sommes toujours tentĂ©s par deux types de courts-circuits :

·             traiter l’enfant trop tĂ´t en citoyen et de lui donner des responsabilitĂ©s qu’il n'est pas encore capable d’assumer ;

·             le traiter trop tard en citoyen, en s’imaginant qu’à 18 ans, miraculeusement, l’enfant peut accĂ©der Ă  des responsabilitĂ©s qu’il n’a jamais apprises.

La difficulté des professionnels de l’enfance est de parvenir à bien régler le temps de l’apprentissage. Nous disons ainsi souvent que l’école doit être le moment de l’apprentissage de la loi. Il ne s’agit pas de traiter les élèves trop tôt en citoyen, ni trop tard. L’école n’est pas un espace de démocratie, mais un temps d’apprentissage de la démocratie. Les logiques spatiales et temporelles ne doivent pas être confondues.

Le ministre dĂ©lĂ©guĂ© Ă  l’Enseignement, Xavier DARCOS, a expliquĂ© tout rĂ©cemment que la relation pĂ©dagogique professeur-Ă©lève est inĂ©galitaire. Il nĂ©glige de prĂ©ciser que, certes, c’est le cas, mais que cette relation doit devenir Ă©galitaire. C’est Ă  nouveau la question du temps. Ă€ l’école, nous appelons les enfants et adolescents des " Ă©lèves ", car ils s’élèvent Ă  l’égalitĂ© de ceux qui ont la responsabilitĂ© de leur Ă©ducation.

Stéphane AUDRET

S’il existe des obligations qui sont la consĂ©quence de droits, il existe aussi des obligations qui ne trouvent de contrepartie en termes de droits, comme l’obligation pour les Ă©ducateurs et les parents de manifester empathie, attention et chaleur envers les enfants. N’y a-t-il pas des obligations qui Ă©chappent Ă  la dĂ©finition de droits spĂ©cifiques aux enfants et qui restent inaperçues si nous conservons un point de vue juridique ? Dès lors, Ă  cĂ´tĂ© du droit, ne faudrait-il pas rĂ©flĂ©chir Ă  une Ă©thique qui permettrait de rĂ©pondre Ă  ces droits des enfants qui ne peuvent ĂŞtre juridiquement formulĂ©s ?

Le présentateur

Une convention ne peut pas être un guide de comportement des parents à l’égard des enfants, du soir au matin.

Nigel CANTWELL

La Convention établit des normes minimales. Il peut s’agir d’aspiration, mais cela ne devrait pas l’être pour les États qui ratifient. Au fond, elle est conçue comme un consensus international sur le minimum à accorder à l’enfant. Chaque pays doit mettre en œuvre des mesures de façon appropriée pour le garantir.

Je ne suis pas juriste. Lorsque l’on dit que l’enfant a droit à l’amour, je ne suis pas d’accord. Nous devons tous faire pour que l’enfant soit aimé, mais il n’a pas droit à l’amour parce que l’État ne peut pas le garantir. Dans une convention, c’est l’État qui prend des obligations.

Bernard DEFRANCE

Il est difficile, voire impossible, de formuler des critères d’ordre affectif dans un texte juridique.

Cependant, comme tous les textes de loi, la Convention s’exprime au présent de l’indicatif. Pour mes 150 élèves, il est difficile de comprendre que la loi est la même pour tous, alors que c’est ce que signifie l’utilisation de ce temps. Précisément, la loi est la même pour tous parce qu’elle ne l’est pas encore. Cela nous oblige à agir pour qu’il en soit ainsi. Nous définissons des principes qui structureront notre action, et il convient ensuite de passer à l’action.

Par ailleurs, un code de déontologie existe pour les travailleurs sociaux, pour la police, pour la médecine et pour d’autres métiers de la relation humaine, il n’en existe pas pour les enseignants. Cela leur permettrait non pas de limiter ou de cadrer leurs actions, mais de structurer de l’intérieur leur liberté pédagogique.

Le présentateur

Une autre question est celle de l’âge. La Convention pose une sĂ©rie de droits, mais il est difficile d’avoir les mĂŞmes droits Ă  des âges diffĂ©rents, notamment les droits des articles 12 Ă  17 sur le droit Ă  l’expression, Ă  l’information, Ă  la libertĂ© de conscience : peut-on dire qu’ils ont le mĂŞme sens Ă  3 et Ă  16 ans ? Comment peut-on envisager ces questions ?

Nigel CANTWELL

Il est très difficile de dĂ©finir des tranches d’âge, mais la Convention essaie d’y rĂ©pondre pour le rendre possible. Elle Ă©voque ainsi dans son article 5 « l’évolution de la capacitĂ© de l’enfant Â» ou sa « capacitĂ© croissante de pouvoir agir en faveur de ses propres choix lui-mĂŞme Â». NĂ©anmoins, la Convention prĂ©voit toujours un encadrement pour guider ces choix, ou au moins des personnes-ressources, comme les parents. Il n’en demeure pas moins que la Convention reconnaĂ®t Ă  l’enfant le droit de devenir davantage actif dans la rĂ©alisation de ses droits.

Cependant, nous nous sommes rendu compte que l’enfant pouvait participer dès les premiers jours pour des choses basiques, si nous l’observons bien. À 2 ou 3 ans, il peut réellement participer à la prise de décision, ne serait-ce qu’en lui permettant de s’exprimer pour les sujets qui le concernent. Cela peut paraître exagéré et je suis sur ce point opposé à certaines interprétations erronées de la Convention. Il est pourtant clair que si nous prenons l’enfant au sérieux, il a des droits et il peut donc participer et influer sur les décisions prises à son encontre. Cela permet de faire le pont entre les droits des plus âgés et ceux des plus jeunes.

Bernard DEFRANCE

Des monographies écrites par des institutrices de maternelles et publiées aux éditions ESF montrent que chaque matin, dans les conseils, les enfants énumèrent les énonciations de la loi. Cela correspond à l’exercice d’un droit réel et à une véritable mise en pratique de la loi, grâce à quoi les enfants sont reconnus comme sujets de parole.

Joëlle BORDET

La Convention constitue un " contenant collectif " par rapport Ă  des droits minimaux que doit garantir l’État. C'est donc une grande avancĂ©e, d’autant plus qu’elle a Ă©tĂ© ratifiĂ©e par la quasi-totalitĂ© des États. Sans ce contenant que doit tenir l’État, il n’est pas possible de travailler sur le règlement et l’autoritĂ©, car il n’y aura pas de protection.

Par ailleurs, la Convention est importante en ce qu’elle considère l’enfant comme un sujet actif de son propre destin et de sa propre responsabilité.

Cela renvoie aussi à la question de l’étayage de l’autorité. Il est évident que la Convention ne peut pas constituer un règlement, mais elle peut être un support pour l’exercice de l’autorité. C'est une ligne de travail que nous pouvons suivre. Sur ce point, une assistante dans une PMI me demandait comment elle pouvait répondre à une mère qui reçoit une gifle de son enfant de 2 ans. La réponse n’est pas simple. Nous avons donc affaire aujourd’hui à des situations difficiles sur le plan de l’autorité.

Par ailleurs, l’une des voies pour sortir de la logique " droits et obligations " est la participation de l’enfant. C’est Ă  nouveau une question complexe.

Enfin, pour avoir travaillé dans un commissariat de police pendant un an, je ne crois pas qu’un code de déontologie soit utile. Quoi qu’il en soit, un tel code ne suffit pas à éclairer les pratiques des professionnels sur la question des libertés et de l’autorité. Du moins, les professionnels n’y font pas référence.

Bernard DEFRANCE

La victime peut y faire référence.

Joëlle BORDET

C'est vrai, mais ce n’est pas le cas pour les professionnels, que ce soit dans leurs rapports avec les parents ou entre eux. Sur ce point, un vide existe.

Madame AUBRAGE, Ă©ducatrice de jeunes enfants dans un centre de PMI

Dans le cadre des droits de l’enfant, nous essayons de faire participer à la fois les enfants et les parents. Pour ces derniers, les droits de l’enfant sont abstraits et loin d’eux. C’est ce qu’ils nous ont expliqué lors d’interviews.

En pratique, comment pouvons-nous aborder la question des droits de l’enfant au quotidien ?

Le présentateur

Y a-t-il des tĂ©moignages allant dans le mĂŞme sens dans la salle ?

Une participante

La Convention des droits de l’enfant est un texte formidable, mais nous sommes très loin de la réalité. Nous ne savons pas comment mettre la théorie en pratique. Je demande aux chercheurs de réfléchir non pas à de nouveaux droits à ajouter, mais à la façon de les mettre en place.

Le présentateur

Pouvez-vous donner des exemples ?

La participante

Il faut prendre en considération ce que peuvent ressentir les enfants, avec des pratiques qui conviennent. Il ne faut pas que, d’un côté, les textes prennent en compte la parole de l’enfant et que, de l’autre, ils ne la prennent pas en compte.

Danièle de LOUVAIN, psychologue en PMI et crèches en Seine-Saint-Denis

Joëlle BORDET pose clairement les questions. Je voulais témoigner à partir de ma pratique de psychologue.

Il s’agit d’une question de transmission. Lorsque nous donnons la parole aux parents et leur demandons ce qu’ils veulent personnellement transmettre à leurs enfants, les réponses qu’ils apportent sont extraordinaires. Je suis stupéfaite d’entendre des parents, accusés de ne pas être suffisamment attentifs à leur enfant, exprimer des choses très fortes. Surtout, au moment où ils se mettent à parler, j’observe que l’enfant, même violent, s’arrête et les regarde.

La question des droits de l’enfant et des responsabilités qu’ils peuvent prendre entre dans le cadre de ces jeux entre les enfants et les adultes. Leurs interactions doivent se faire en réciprocité.

Le très beau film Être et avoir témoigne de la façon dont un instituteur transmet les valeurs, avec les parents. Certes, il ne faut pas être naïf et des contraintes existent. Il est néanmoins toujours utile d’écouter les parents et de comprendre comment ils peuvent se positionner et témoigner.

Madame DUCLOS, principale du collège Diderot (Aubervilliers)

Dans la continuité de Danièle de LOUVAIN, je me suis aperçue qu’en partageant des objectifs identiques avec les parents, ce faux problème de droits et devoirs disparaissait. En tant que chefs d’établissement, nous souhaitons que l’avenir des élèves soit le plus positif possible. Notre but est la réussite et l’enfant a le droit de réussir.

Dans mon collège, situé en zone d’éducation prioritaire, nous travaillons ensemble avec les parents dans la perspective d’une réussite. Nous faisons en sorte que l’école soit un tremplin social. En cas de divergence entre parents et professeurs, nous rappelons que nous sommes tous là pour la réussite de nos enfants.

Cette réussite est un objectif commun, que nous avons inscrit dans la charte de l’établissement qu’est le règlement intérieur. Certes, celui-ci n’est pas un code de déontologie, mais il a le mérite d’exister pour les élèves, notamment parce qu’il figure sur le carnet de correspondance. Dès que ce droit de réussir est partagé par tous, les problèmes sont moins nombreux.

Ainsi, quand un élève vient dans mon bureau parce qu’il a fait preuve d’incivilité, je rappelle systématiquement qu’il est là pour réussir. Cela le calme immédiatement, car c’est un objectif commun. Les divergences restent purement formelles.

C'est donc dans cette perspective que nous devons travailler pour dépasser les faux problèmes.

Bernard DEFRANCE

Il faut tenir compte de trois éléments concernant la place des parents.

Premièrement, l’idĂ©e de dĂ©mission des parents est fausse. Aucun parent ne confie ses enfants Ă  l’école six heures par jour sans s’inquiĂ©ter de ce qui se passe dans ce lieu oĂą il n’a presque aucun droit de regard. En fait, pour reprendre une expression d’Adil Jazzouli, les parents ne dĂ©missionnent pas, mais ont Ă©tĂ© " licenciĂ©s ", trop souvent Ă  cause de conditions d’existence difficiles. Quand une mère balaie des bureaux Ă  Boulogne-Billancourt entre 19 et 22 heures, qu’elle doit quitter la citĂ© des Bosquets Ă  17 heures et rentrer par le dernier bus Ă  1 heure du matin, je ne supporte pas d’entendre mes collègues enseignants dire qu’elle n’est jamais prĂ©sente pour s’occuper de son enfant lorsqu’il sort de l’école.

Deuxièmement, il faut tenir compte de la distinction des rĂ´les et de la sĂ©paration des fonctions. De façon concrète, lorsque je punis mon enfant chez moi pour une bĂŞtise quelconque, je n’éprouve pas le besoin de prĂ©venir les enseignants le lendemain. Dès lors, pourquoi obliger l’enseignant Ă  avertir les parents et Ă  les faire signer en cas de mauvais comportement de l’élève en classe, si la punition se dĂ©roule pendant le temps scolaire ? C'est d’autant plus inutile que certains parents prennent le parti de l’enfant et incriminent la compĂ©tence des enseignants, et que d’autres ajoutent une nouvelle punition. Les fonctions doivent donc ĂŞtre clairement distinctes entre les professionnels et les parents.

Troisièmement, du fait de cette nécessaire distinction, il doit y avoir une articulation. Nous y reviendrons.

Joëlle BORDET

La mise en pratique des droits de l’enfant est une question essentielle pour les professionnels. Pour sortir des discours sur la démission des parents et l’intérêt de réglementer, il faut tenir compte de deux points.

D’une part, il faut rappeler l’importance du rôle de la transmission. Les adultes doivent être convaincus qu’ils ont des connaissances et des valeurs à transmettre. Les enfants ne peuvent grandir que s’il existe des adultes suffisamment sûrs d’eux. Les enfants ne doivent pas penser qu’ils entrent dans une société vide. Nous devons donc assurer les parents que, même s’ils ont vécu des moments difficiles, ils ont porteurs d’une histoire, d’une culture et de valeurs.

D’autre part, il faut tenir compte de ce que j’appelle " la solidaritĂ© avec la fonction parentale ". MĂŞme si, en tant que professionnels, nous ne sommes pas parents des enfants avec lesquels nous sommes, nous sommes des adultes. Nous avons donc une responsabilitĂ© de fonction parentale. Il serait utile de passer d’un point de vue juridique sur les droits et les devoirs Ă  un point de vue anthropologique. Une sociĂ©tĂ© sans fonction parentale ne peut exister. Pour les professionnels de l’enfant et de l’éducation, la question est donc de renforcer la fonction parentale. En ce sens, nous devons tenir compte de la distinction des places.

Les questions portant sur la liberté d’agir des parents et sur les droits des enfants sont très complexes, surtout lorsque les points de vue de chacun sont pris en considération. Les systèmes de valeurs des parents, des professionnels et de la société sont totalement différents. Par exemple, j’ai participé récemment à un débat à la maison des parents de Peyrefitte portant sur la question de savoir s’il faut dire aux enfants qu’on les aime. Le débat a été très animé. Selon les cultures et la façon dont chacun est, les réponses étaient très diverses. Ce qui paraissait une évidence pour certaines mères paraissait choquant pour d’autres.

Ce débat est difficile mais essentiel. Parfois, nous sommes trop dans la recherche des moyens d’action. Il faut d’abord réfléchir à la façon dont nous parlons avec les parents, pour qu’il soit reconnu comme un sujet actif. Il faut définir cette façon de dialoguer et ensuite la façon dont nous devons partager la responsabilité de la fonction parentale. En cas d’échec, l’enfant ira dans le mur.

Françoise DESFAME, agent départemental de la direction de la population âgée et des personnes handicapées, militante FCPE

Je suis agréablement surprise par les propos de Madame DUCLOS sur ses relations avec les parents d’élèves et sur la considération qu’elle donne aux élèves. Mes enfants sont en fin de scolarité.

Jusqu’à présent, les règlements intérieurs n’étaient jamais discutés avec les élèves. Il est établi une fois pour toutes et est discuté en conseil d’administration entre les professionnels que sont les enseignants et les parents d’élèves – ces derniers étant considérés comme des professionnels de l’éducation, bien qu’ils n’ont pas de formation –.

Dans le lycée où se trouve mon fils, le règlement intérieur a été entièrement discuté avec les élèves. Les enseignants ont créé une commission, dans laquelle les élèves volontaires se sont inscrits. Ils ont discuté des devoirs et des obligations, tant pour les élèves que pour les enseignants. Le règlement intérieur est signé par les parents d’élèves, les élèves et les enseignants. C’est donc une avancée, puisque même l’enseignant a des devoirs.

Par ailleurs, je rêve d’une société où il existerait des médiations pleines et entières entre les différentes structures pour construire l’enfant et aider à la parentalité. Une médiation est en effet nécessaire, car les différents intervenants sont désormais tous spécialisés. Les derniers à ne pas l’être sont les parents et les enfants. De plus, il n’existe aucune formation de parent pour les parents. Généralement, les pédopsychiatres et d’autres spécialistes expliquent que les parents reproduisent soit ce qu’ils ont vécu, soit, surtout, ce qu’ils ne veulent pas revivre.

Pierre JOYEUX

La mise en application de la Convention a deux vertus.

La première est de donner mauvaise conscience. Lorsque je discute avec les adultes et les professionnels sur cette mise en Ĺ“uvre, je me rends compte qu’au fond une certaine jalousie existe Ă  l’égard des enfants : ceux-ci ont des droits alors que ceux des adultes sont la plupart du temps bafouĂ©s. Discuter sur la mise en place des droits de l’enfant entraĂ®ne donc inĂ©vitablement une interrogation sur la mise en Ĺ“uvre des droits de l’homme.

La seconde est que la Convention permet d’interroger l’ensemble des acteurs de l’éducation, professionnels ou non, sur la manière d’éduquer. Aujourd’hui, nous avons tendance à balancer entre deux systèmes.

·             Le système des droits-devoirs

Ce système est celui de la rĂ©compense, qui implique que l’enfant aura des droits lorsqu’il aura fait ses devoirs. C'est en quelque sorte le système " carotte-bâton " de l’obĂ©issance et du dressage. Si l’autoritĂ© est fondĂ©e sur l’obĂ©issance, la mĂ©thode d’éducation est nĂ©cessairement le dressage. Dans ce cadre, les droits de l’enfant gĂŞnent, car ils remettent en cause le système.

·             Le système de l’élevage

Dans ce système, les fonctions vitales sont assurées, mais sans plus.

Cependant, il me semble que la Convention, avec l’avancée des connaissances sur l’enfant et les progrès de la recherche pédagogique, repose aujourd’hui la question de l’éducation. Elle ne peut plus se faire comme autrefois, avec les systèmes précédemment décrits. De mon point de vue, il est passionnant de réfléchir à une autre éducation et à la façon de la mettre en œuvre. Ce nouveau système devrait prendre en compte tous les acteurs de l’éducation, y compris les enfants et les adultes.

Bernard DEFRANCE

Pour revenir à la question du règlement intérieur, il s’agit également d’une question théorique et pratique difficile. En effet, devenir citoyen et accéder à ses droits – et donc à la conscience des devoirs qui en découlent – suppose d’apprendre que la loi ne se discute pas parce qu’elle se discute. Elle ne se discute pas dans le cours même de l’action. Lorsque se commet une infraction ou une incivilité quelconque, je dois intervenir. Tous les citoyens disposent de ce pouvoir policier d’empêcher la commission d’un acte délictueux. Si je ne le fais pas alors que cela me serait possible, je peux être coupable de non-assistance de personne en danger. En revanche, la loi se discute dans le Parlement, qui est, au sens propre, le lieu où l’on parle pour faire ensemble la loi.

Dans cette perspective, obéir à la loi ne signifie pas se soumettre à quelqu'un. Dans l’enseignement, notamment dans le face-à-face singulier du professeur avec ses élèves, nous sommes constamment portés à pervertir l’exercice de l’autorité dans la classe par l’exercice du pouvoir sur la classe. L’exercice du pouvoir et celui de l’autorité sont en contradiction. De même, chez les élèves, obéir et se soumettre sont en contradiction. Celui qui se soumet n’obéit pas. La peur du gendarme n’est pas le commencement de la sagesse. D’ailleurs, dans ce cas, la question serait de savoir de qui le gendarme devrait avoir peur pour devenir sage. Dès lors, le défi éducatif auquel nous sommes confrontés est d’instituer la loi et non de l’imposer.

Le présentateur

StĂ©phane AUGER, qu’avez-vous mis en place dans votre collège pour travailler la question de la règle, de la loi et de la participation Ă  leur Ă©tablissement ?

Stéphane AUGER, conseiller principal d’éducation au collège Diderot (Aubervilliers)

Je donnerai deux exemples.

Premièrement, je travaille sur ces questions dans des classes où les élèves sont agités. Je reprends le même exemple de la peur du gendarme pour leur expliquer que c’est le contraire de l’autonomie. Si un conducteur s’arrête à un feu rouge parce qu’il craint de recevoir une amende, il a peur du gendarme. S’il s’arrête parce qu’il a compris que cela correspond à des règles permettant à chacun de vivre correctement et ensemble, il évolue vers l’autonomie.

Deuxièmement, Bernard DEFRANCE disait que le citoyen n’est pas seulement celui qui obéit à la loi, mais aussi celui qui la fait avec les autres. Dans cette perspective, nous avons mis en place dans notre collège une élection des délégués de classe grandeur nature, avec des isoloirs, une urne, des fiches de candidatures écrites et une explication orale de la candidature.

Ce mode d’élection présente trois avantages.

·             Cela permet d’abord d’apprendre la citoyennetĂ©, avant que l’élève devienne majeur.

·             Ensuite, le sĂ©rieux et la solennitĂ© avec lesquels nous avons organisĂ© cette Ă©lection permettent de faire comprendre la portĂ©e du vote. L’élève ne vote plus pour son copain, mais pour celui qui va le reprĂ©senter le mieux. Nous obligeons les candidats Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  leurs motivations et Ă  leurs compĂ©tences.

·             Enfin, cela permet de disposer d’un mode d’élection commun Ă  toutes les classes. AntĂ©rieurement, les enseignants ne faisaient pas toujours les Ă©lections en bonne et due forme et selon les mĂŞmes procĂ©dures. Aujourd’hui, les critères sont les mĂŞmes.

À partir de là, nous pouvons légitimer le rapport entre les droits et les devoirs, les premiers impliquant les seconds. Ainsi, une déléguée m’avertissait qu’elle ne pourrait pas participer à la journée de formation des délégués que nous avons organisée. J’ai pu lui expliquer ses devoirs en tant que délégué, puisqu’elle savait avant l’élection qu’elle devrait participer à cette formation.

En d’autres termes, nous essayons de mettre en pratique le plus souvent possible la problématique des droits et des devoirs.

Bernard DEFRANCE

L’apprentissage des rituels et des procédures le plus tôt possible est important. Il faut comprendre que ces rituels ne sont pas de pure forme, mais qu’ils structurent l’exercice de la démocratie.

Par ailleurs, j’attire toujours l’attention des acteurs sur le danger de la représentation. La responsabilité de l’électeur ne disparaît pas avec son vote. Élire un représentant n’est pas démissionner de ses responsabilités. Cette question renvoie à l’articulation entre démocratie représentative et démocratie participative.

Le présentateur

Stanislas TOMKIEWICZ est pédopsychiatre et a travaillé en particulier sur les enfants polyhandicapés et sur la délinquance juvénile. Il a mené le combat contre les maltraitances en institution. Avec Jo Finder, il a conduit l’expérience du foyer en semi-liberté de Vitry dans les années 1960.

Dans une intervention enregistrée, il nous explique sa position sur la Convention et sur la façon dont il a pu la mettre en pratique dans son expérience quotidienne.

Stanislas TOMKIEWICZ

Au niveau de la pratique, nous ne constatons pas grand-chose. Je prendrai deux exemples.

Premièrement, sur le plan juridique, nous avons posé le très beau principe que l’enfant a le droit de voir ses deux parents. Cependant, ce qui était un droit est devenu un devoir. Quand l’un des deux parents est un pervers notoire, qu’il a maltraité l’enfant et que ce dernier ne veut plus le voir, le système médico-social pousse néanmoins l’enfant à le rencontrer le parent. Les associations comme SOS Papa ou Papas orphelins mettent une pression sur les pères, quel qu’ait été leur comportement.

La société estime que les liens doivent être conservés même lorsque le père est en prison. Je suis d’accord s’il s’agit d’un père condamné pour avoir volé, mais je suis opposé à l’obligation faite aux enfants d’aller voir les pères qui les ont violés ou battus. De plus, les enfants doivent pardonner. Il doit donc se faire en quelque sorte le thérapeute de son père pervers. Cela montre qu’une loi est facilement détournée de son sens.

Deuxièmement, nous avons pris conscience dans les annĂ©es 1970 que l’école pouvait exercer des violences contre l’enfant. La pĂ©dagogie autoritaire fait fi de l’enfant en tant qu’être humain, avec une volontĂ© et des sentiments. Ainsi, une gamine ne peut pas se plaindre d’un humour dĂ©placĂ© lorsqu’un professeur lui : « Essuie le tableau. C’est hĂ©rĂ©ditaire chez toi, car les Portugaises sont des femmes de mĂ©nage. Â» En revanche, elle sera punie si elle dit au professeur : « Ce n’est pas de votre faute, vous ĂŞtes idiot de façon congĂ©nitale. Â» Cet exemple signifie qu’en thĂ©orie tout est changĂ©, mais qu’en pratique rien ne change, bien que de grandes avancĂ©es se soient produites. Nous nous sommes donc aperçu que l’école peut ĂŞtre violente et qu’elle devait adoucir ses mĹ“urs par rapport aux enfants.

Or, dans les années 1980 et 1990, nous avons dit que les fauteurs de troubles à l’école sont les enfants. Cela signifie que l’histoire précédente a été complètement renversée. Nous discutons désormais des violences à l’école et non plus de la façon d’humaniser l’école à l’égard des enfants. Toute une campagne médiatique va dans ce sens, en criminalisant les élèves. La télévision insiste sur les actes mauvais et néglige tous les autres. Les statistiques sont faussées. L’ennemi de la société n'est plus l’homme politique qui vole l’État, le contribuable qui ne paie pas ses impôts ou les propriétaires qui n’entretiennent pas leurs ascenseurs. Aujourd’hui, l’ennemi de la société est l’enfant qui se réunit dans des cages d’escalier, comme cela se faisait déjà au temps de Pagnol.

Le présentateur

Stanislas TOMKIEWICZ explique que le fait de disposer d’une Convention ne signifie pas que la situation soit réglée.

Nigel CANTWELL

Comme une loi interdisant de commettre un meurtre ne fait pas disparaître les meurtres, une convention sur les droits de l’enfant ne fait pas disparaître les maltraitances. De toute façon, le combat pour les droits de l’homme est un combat continuel pour faire en sorte que l’État les respecte et pour que les esprits et les réalités changent.

Par ailleurs, je ne me sens pas obligé de défendre la Convention comme un instrument juridique tentant de mettre en place une certaine conception de la façon dont nous devrions répondre aux droits de l’enfant en tant qu’être humain, parce que je connais ses limites et les manipulations dont elle peut faire l’objet.

Comme pour les conventions contre la torture, la discrimination raciale ou sexuelle, il existe des problèmes plus ou moins graves dans tous les pays. L’un des intĂ©rĂŞts essentiels de ces conventions est de constituer une base Ă  partir de laquelle nous pouvons travailler ensemble. Il ne faut pas se focaliser sur les conventions en disant qu’elles sont des " lettres mortes ".

Claude ROMÉO, directeur de l’enfance et de la famille de Seine-Saint-Denis

Pour prolonger ce dĂ©bat sur la façon de mettre en Ĺ“uvre une convention, nous pouvons aussi Ă©voquer les mineurs isolĂ©s qui dĂ©barquent Ă  Roissy. Une haute juridiction française a dĂ©cidĂ© que ces mineurs n’ont pas droit Ă  la protection prĂ©vue par la Convention mais sont soumis Ă  la loi sur l’immigration. C’est une vraie question : comment peut-on faire respecter la Convention par les pays signataires ? Si la Convention est un acte important, elle n’est pas correctement traduite dans la loi.

Pierrette ALBIN, médecin scolaire

Nous avons de grandes difficultés à appliquer la Convention des droits de l’enfant, sans que cela provienne de notre fait. Il ne faut pas culpabiliser les professionnels, mais plutôt les pouvoirs publics.

Nous intervenons dans le domaine de la protection de l’enfance et nous constatons que l’État – qui a d’autres prioritĂ©s et des limites financières –, ne rĂ©pond pas aux problèmes de la souffrance des enfants. Il n’apporte pas de solution pour ceux qui ont des maladies psychiatriques avĂ©rĂ©es : il manque des places en institution et des thĂ©rapeutes.

Au total, la Convention existe, mais nous ne pouvons pas répondre, ce qui nous culpabilise et nous décourage. Je voudrais donc savoir comment nous pouvons faire appliquer ces textes.

Madame DUSSELIER, mère d’un enfant handicapé

Les problèmes de ces jeunes sont réels. Les écoles ne veulent pas toujours les prendre. Les IME et les IMP ne peuvent pas toujours les intégrer, faute de place.

J’habitais auparavant dans le département 89 et un car scolaire ramassait tous les jeunes. Un jour, le Conseil général a expliqué que les enfants handicapés n’avaient plus le droit au transport scolaire, soi-disant parce que l’IME recevait déjà des crédits de son côté.

Je me demande donc comment ces jeunes peuvent être intégrés.

Joëlle BORDET

C'est un problème fondamental. En travaillant dans le domaine de l’éducation, nous sommes constamment pris par ce type de contradictions. Plus les adultes sont en mesure de faire des demandes et connaissent le droit public, plus les professionnels sont mis en difficulté, car ils n’ont pas de réponse.

Les professionnels que je rencontre dans le quartier des Poètes à Peyrefitte sont de plus en plus découragés ne veulent plus des partenariats avec les institutions, car aucune réponse n’est apportée. Malgré tous les efforts de la protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis, les problèmes demeurent. En clair, des enfants dorment dans des baignoires et des familles logent à vingt dans un appartement, alors que des logements sont vacants. Des enfants ne vont pas chez le dentiste ou n’ont pas de lunettes. La protection minimale des enfants n’est pas assurée, alors même que nous sommes en France.

La Convention devrait permettre d’interpeller les États pour qu’ils agissent, car les professionnels ne peuvent constamment jouer le rôle d’écran. Néanmoins, les professionnels ont aussi leur part de responsabilité. Ils devraient se mobiliser pour agir et interpeller leurs structures, surtout à un moment où l’action éducative est particulièrement mise en danger. Les professionnels de proximité doivent travailler afin de mobiliser les politiques sur ces questions, car cela pose le problème de la solidarité des classes moyennes avec les plus pauvres.

Bernard DEFRANCE

C'est vrai. Les adultes ayant la responsabilitĂ© des enfants jouent leur rĂ´le citoyen dans la mesure oĂą ils donnent le « bon exemple Â». En d’autres termes, un adulte est d’autant plus structurant pour un enfant qui grandit qu’il donne lui-mĂŞme l’exemple de ses propres engagements.

Je suis responsable d’une association de défense des droits au quotidien en Seine-Saint-Denis, en matière de logement, consommation, santé, etc. Nous tenons des permanences juridiques – pour ma part, pendant vingt ans à la cité des Bosquets à Montfermeil –. Je sais donc qu’il existe des moyens d’action. Il s’agit d’utiliser les outils que la loi met à notre disposition, même s’ils ont imparfaits et lents. Nous pouvons obliger une société HLM à louer des appartements qu’elle garde libres alors que d’autres logements sont surpeuplés. Nous pouvons amener les sociétés de HLM à rembourser des trop-perçus. C'est toujours très bénéfique pour la famille. De plus, les enfants voient des adultes qui agissent et ne se subissent pas la vie quotidienne.

Un membre du groupe Kapal, rappeur, auteur et père de famille

J’ai eu la chance de faire de nombreux ateliers de culture en France au cours de nombreuses tournées. J’en ai fait également en détention avec des mineurs. Tous les professionnels ont une tâche difficile à accomplir. Pour moi, il s’agit d’un travail de fourmi et très important à réaliser.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que le monde des adultes est hyper-violent. Ainsi, s’il est vrai que les enfants ont des droits, il ne faut pas oublier que la double peine existe aussi en France. La loi ne punit pas de la même façon un enfant de nationalité étrangère et un Français. Le monde des adultes n’est donc pas si cohérent et l’enfant repère rapidement ces incohérences. Notre tâche en est d’autant plus difficile.

Nous parlons aussi de la violence dans la société ou dans l’école. Pourtant, nous sommes dans un monde dans lequel la violence est diversement interprétée. Lorsqu’un pays en attaque un autre, cela peut être compris comme du terrorisme. Cela constitue surtout un prétexte pour effectuer des choses ignobles. Les enfants en sont témoin et le savent. Lorsque Karim et Mouloud sont accusés d’avoir frappé Jean-Pierre parce que ce dernier a lancé une pierre contre Karim, il faut bien comprendre qu’ils ne font que reproduire le fait que des pays forts s’allient pour frapper un pays plus faible. Notre travail est donc difficile, car nous sommes confrontés à quelque chose qui nous dépasse.

Il ne faut pas oublier non plus que le prĂ©sident, que nous avons largement Ă©lu, a parlĂ© du « bruit et de l’odeur Â». Il a donc un passif assez lourd.

Enfin, je citerai Pierre Desproges : « L’enfant croit au Père NoĂ«l. L’adulte vote. Â»

Au total, deux mondes s’opposent, et il nous est difficile de faire le lien entre eux.

Le présentateur

Comment peut-on dĂ©passer ces problèmes ?

Bernard DEFRANCE

C’est ce que me disent mes 150 Ă©lèves au lycĂ©e Utrillo Ă  Stains ou les jeunes que je rencontre dans les citĂ©s. Ils constatent qu’ils se retrouvent un an en prison car ils ont recelĂ© une marchandise « tombĂ©e du camion Â», alors qu’en mĂŞme temps des hommes politiques ne sont pas condamnĂ©s car ils ont, paraĂ®t-il, remboursĂ© l’argent qu’ils avaient pris.

Cette rĂ©action est comprĂ©hensible mais est insuffisante. Il faut aussi rappeler Ă  l’enfant que le fait de constater un non-respect de la loi par des adultes est une raison supplĂ©mentaire pour qu’il commence lui-mĂŞme Ă  respecter la loi. Comme le disait Montesquieu, « ce n’est pas le peuple naissant qui dĂ©gĂ©nère. Il ne se perd que lorsque les hommes faits sont dĂ©jĂ  corrompus. Â»

La difficultĂ© des Ă©ducateurs est de leur tenir ce langage : ce n’est pas parce qu’un imbĂ©cile brĂ»le un feu rouge Ă  cĂ´tĂ© de moi que cela m’autorise Ă  en faire autant.

Le présentateur

La dimension pénale de la Convention doit aussi être prise en considération. L’article 40 de la Convention dispose que l’enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale a droit à un traitement tenant compte de sa dignité, de son âge et de son avenir. Les dispositions prises doivent, si possible, éviter de recourir à la procédure judiciaire. La Convention relève de la protection des mineurs et de leur éducation.

Cet article fait directement écho à l’esprit de l’ordonnance de 1945. Nous avons demandé à Jean-Pierre ROSENCZVEIG, président du tribunal pour enfants de Bobigny, s’il considérait que cette ordonnance était remise en cause aujourd’hui et comment il percevait l’évolution de la législation.

IV.    La loi sur la sécurité intérieure

Jean-Pierre ROSENCZVEIG

 

L’ordonnance privilégie la protection et le droit à l’éducation, non seulement pour l’enfant en danger, mais aussi pour l’enfant délinquant. L’article 2 de l’ordonnance de 1945 garantit ce droit à l’éducation.

Ces droits n’évoluent pas beaucoup aujourd’hui. Je ne sais pas s’ils vont régresser. Des progrès existent malgré tout. Nous avons vécu dans une dynamique de progrès avec la Convention internationale des droits de l’enfant. De 1989 à 1995, de nombreuses adaptations juridiques ont permis de faire en sorte que le droit français soit encore plus en conformité avec le droit international. Cette dynamique a ensuite ralenti. La dernière avancée est la loi de janvier 2002 sur l’accès de l’enfant à ses origines.

Comme le droit français est relativement à jour, les avancées ne passent plus par le droit, mais par la pratique. Nous devons faire en sorte que le quotidien soit conforme au droit. Par exemple, les enfants handicapés doivent pouvoir avoir accès à l’éducation.

Le gouvernement a été très prudent en ne remettant pas en cause les fondements de l’ordonnance de 1945. Sans doute, des amodiations ont été apportées dans un sens répressif, afin de donner une réponse rapide aux infractions, mais cela ne compromet pas la cohérence de l’ordonnance. La loi du 9 septembre est au fond assez modérée. Bien sûr, comme les Français l’ont montré lors des élections, ils veulent davantage de répression. Les dispositions sont donc plus répressives que les précédentes. Cependant, même le retrait des allocations familiales aux parents n’existe qu’avec de nombreuses conditions et sous le contrôle du juge, qui conserve un rôle essentiel.

V.      La mise en pratique

La Convention oblige Ă  se prĂ©occuper du droit dans la pratique. Dans la dernière pĂ©riode, des politiques ont Ă©tĂ© mises en place pour que les droits se concrĂ©tisent : une information sur le droit, un soutien Ă  l’exercice des droits ou encore la prĂ©sence d’un avocat dans les procĂ©dures judiciaires concernant les enfants. Aujourd’hui, environ 700 avocats d’enfants exercent en France. La Convention a accĂ©lĂ©rĂ© la mise en Ĺ“uvre de ces mesures.

Maintenant, la question est de savoir aujourd’hui s’il ne faudrait pas autant rappeler les devoirs que les droits aux jeunes, notamment en considĂ©rant les mĹ“urs juvĂ©niles. Sur ce point, le dĂ©bat reste le mĂŞme qu’il y a dix ans : c’est parce que les enfants ont des droits que nous pouvons exiger d’eux des devoirs. Le fait qu’ils aient une existence juridique le rend possible.

Nombre de jeunes prédélinquants ne sont pas dans une phase de rébellion contre l’autorité parentale, mais de socialisation, c’est-à-dire de réintégration dans la société. Ils sont dans une crise trans-générationnelle comme les délinquants de jadis ont pu les traverser. Ils ont leur groupe social, la rue, avec sa mafia, ses trafics. Ils doivent défendre leur territoire. Ces enfants sont à vif, avec un profond sentiment d’injustice, sans espoir de changement. Ils sont donc dans une autre société. Ils refusent d’ailleurs que des étrangers à leur société les rejoignent.

L’argument selon lequel davantage d’argent améliorerait la situation est simpliste dans le domaine de l’éducation. S’il est nécessaire, il faut aussi faire preuve d’imagination et se mobiliser pour inventer de nouvelles méthodes éducatives. Ces enfants ne peuvent pas aller dans une école classique et il faut donc une nouvelle forme de pédagogie.

Ces enfants sont invivables, au moins dans un premier temps. Il faut donc trouver ceux qui pourront tenir, ce qui n’est pas une simple question de la rémunération. Il s’agit donc de s’adapter aux enfants. La difficulté du rôle du travailleur social est qu’il doit vivre avec eux en permanence.

L’intervieweuse

En tant que juge, pouvez-vous apporter des solutions ?

Jean-Pierre ROSENCZVEIG

Je ne peux que répondre par l’affirmative, car sinon le juge pour enfant ne sert à rien. La vraie question demeure celle des moyens, qui sont insuffisants en quantité – les décisions que nous prenons sont souvent mises en œuvre trop tardivement – et en qualité – de nouvelles équipes et de nouvelles structures doivent être capables de prendre en charge ces enfants –. Quoi qu’il en soit, c’est un combat continu. Rien ne sera jamais parfait.

Nous avons besoin de personnes capables d’analyser de manière plus performante les situations. En effet, pour agir il faut mieux comprendre. En comprenant mieux, nous pourrions faire beaucoup d’économies. Il s’agit moins de créer des structures d’accueil que de trouver des personnes capables de mieux analyser les situations pour éviter d’avoir à recourir à des placements.

Le présentateur

Pour Jean-Pierre ROSENCZVEIG, l’ordonnance de 1945 est donc solide. ĂŠtes-vous d’accord avec cette analyse ?

Bernard DEFRANCE

Il faut prendre en considération la responsabilité des acteurs de la chaîne punitive. Le Canard enchaîné de ce matin montre que toutes les dispositions les plus répressives de la loi sur la sécurité intérieure existent déjà dans le Code pénal. Ainsi, l’extorsion de fonds sous la menace est déjà punie de sept ans de prison. La nouvelle loi propose une sanction de six mois.

Du point de vue des jeunes, ces mesures sont donc extrêmement dérisoires, mais en même temps particulièrement nuisibles. Par exemple, la question des cages d’escalier est un problème récurrent. Nous proposons des solutions depuis douze ans.

·             Ainsi, lorsqu’un quartier est rĂ©habilitĂ©, il faut supprimer tous les appartements au rez-de-chaussĂ©e, car la vie y est invivable.

·             Dans le mĂŞme sens, l’intime est actuellement collectivisĂ© de force. En effet, dans les habitats collectifs, des structures matĂ©rielles doivent permettre de faire en sorte que tout ce qui est de l’ordre de l’intime soit respectĂ© : le voisin ne doit pas entendre les scènes de mĂ©nage de la famille voisine.

·             Les quartiers sont marquĂ©s par une insuffisance voire une absence de liens associatifs. Il est nĂ©cessaire de les recrĂ©er.

·             Lorsqu’une famille loge au vingtième Ă©tage d’un immeuble, il n’est pas possible de surveiller les enfants dans les cours. Il est prĂ©fĂ©rable de construire des unitĂ©s d’habitation Ă  taille humaine.

·             Dans une citĂ©, aucun espace ne permet de se rencontrer en privĂ©. Tant que des hĂ´tels Formule 1 ne sont pas construits, un garçon et une fille ne peuvent vivre une vie intime. Dès que c'est le cas, ces hĂ´tels ne dĂ©semplissent pas. Ils restent toutefois trop coĂ»teux pour certains.

Par ailleurs, les policiers s’indignent que la justice ne fasse pas toujours son travail. Elle s’avère soit trop clémente, soit trop sévère. Il est vrai que des injustices très graves sont commises par les juges. Lorsqu’un jeune détruit un abribus, il se retrouve emprisonné pendant un an, soit autant qu’un préfet qui a organisé une opération terroriste contre une paillote. Pour les jeunes, c'est inacceptable. Cette situation rend particulièrement difficile l’action des policiers au quotidien.

Claude ROMÉO

Une mobilisation des Ă©ducateurs serait nĂ©cessaire, car il y a des changements graves. La responsabilitĂ© pĂ©nale des enfants devient une prioritĂ©. Nous ne parlons plus de la protection de l’enfance, mais de la violence des enfants. Pourtant, les enfants sont de plus en plus maltraitĂ©s. Les suicides ont augmentĂ© de 7 % en 2001. Dans le mĂŞme sens, le fait que la dĂ©linquance des mineurs ne reprĂ©sente que 20 % de la dĂ©linquance totale n’est pas suffisamment mis en avant.

Par ailleurs, le gouvernement explique que l’ordonnance de 1945 n’est pas remise en cause. Pourtant, les centres fermés constituent de fait une remise en cause des valeurs et de l’esprit de cette ordonnance. Des problèmes d’accueil ne sont pas résolus. Plus généralement, aucune politique éducative n’est mise en place et la situation est de plus en plus sinistrée. Je note que la référence à l’enfance a été supprimée dans la dénomination du ministère de la famille. L’accent n'est donc pas mis sur la prévention mais sur la répression, même si les textes n’ont pas été aussi loin que souhaité.

Au total, les professionnels doivent se mobiliser. S’ils se taisent, ils auront leur part de responsabilité, notamment dans la réouverture des centres fermés.

Joëlle BORDET

La politique actuelle fait reculer l’éducatif au profit du punitif. Elle simplifie les problèmes à leur plus simple expression. Par exemple, cette politique nous fait croire que les jeunes restent dans les cages d’escalier car ils ne veulent pas sortir. Le problème est bien plus complexe.

Au fond, le problème de l’incivilité est traité par le punitif et non par l’éducation. Il serait nécessaire de rappeler Convention et d’y faire référence. Nous devons aussi travailler à l’apprentissage de la démocratie.

Cela ne signifie pas que les éducateurs n’ont pas leur part de responsabilité. Ils ne sont pas toujours là où il le faudrait. Ils ne font rien dans les cages d’escalier et ne s’opposent pas assez au vandalisme. Les éducateurs ont perdu leur place de premier interlocuteur des jeunes au profit de la police.

Nous savons pourtant que les méthodes punitives ne résolvent pas les difficultés. Les solutions proposées prétendent punir, mais elles échouent et se limitent à blesser. Cette politique ne fait que révéler la peur des adultes. La punition n’est en effet pas conçue comme une occasion pour le jeune de se reconstruire comme sujet humain, mais comme une vengeance et une agression.

Une participante

Je suis inquiète de l’avenir des pratiques éducatives dans les politiques publiques. La politique sécuritaire empêche en effet une présence des éducateurs au sein de l’espace public.

Par ailleurs, concernant la place de l’enfant dans les familles, il faut aussi tenir compte de difficultés très concrètes. Aujourd’hui, dans certains domaines, les enfants possèdent davantage de connaissance que leurs parents. Il leur est donc d’autant plus difficile de leur dire non.

Enfin, la Convention a permis des avancées, mais reste idéaliste. Il est nécessaire de travailler concrètement sur la socialisation des adolescents.

Le présentateur

Pouvez-vous apporter quelques mots de conclusion sur les dĂ©bats Ă  propos de la Convention ?

Joëlle BORDET

Il ne s’agit pas seulement de se demander ce qu’est la Convention, mais de se demander comment nous pouvons nous en servir. Elle doit servir concrètement pour élever nos enfants. Elle doit nous permettre de réfléchir à la façon dont nous faisons passer nos valeurs.

Nous devons aussi nous saisir de la Convention pour interroger nos propres pratiques professionnelles, de la même façon qu’elle permet d’interroger les politiques de l’État. Elle donne des pistes pour la démocratie, car elle nous oblige à la questionner de nouveau.

Enfin, sur la maltraitance, la question de la blessure psychologique ne doit pas être négligée.

Bernard DEFRANCE

La Convention présente l’intérêt d’avoir été ratifié par tous les pays du monde, sauf les États-Unis et la Somalie, c’est-à-dire un pays sans État et un pays qui souhaite pouvoir continuer d’appliquer la peine de mort aux mineurs.

Comme la loi, la Convention ne se discute pas, car elle se discute. Elle constitue un outil normatif mais aussi un outil de travail permettant les recours.

Enfin, la Convention permet de faire l’inventaire des situations, de constater ce qui est fait et ce qui reste à faire. Elle montre les questions en devenir. Elle reste en cours de construction.


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